En Haïti, la population sombre dans le chaos

Depuis l’assassinat du président haïtien survenu l’année dernière, l’île d’Haïti connaît progressivement un véritable effondrement. Le contexte politique est extrêmement tendu, l’insécurité est à son paroxysme et des milliers de personnes souffrent de malnutrition et de manque d’eau. L’ASFE s’est entretenue avec Christelle Chignard, Conseillère des Français d’Haïti, afin d’en savoir plus sur ce pays qui connait de multiples crises.

Un centaine de gangs armées contrôle une grande partie d’Haïti, les bandes armées prospèrent et ne sont pas inquiétées. Pouvez-vous nous donner plus d’informations concernant la situation sécuritaire actuelle ?

La crise sécuritaire en Haïti ne date pas de l’assassinat du président Moïse. En effet depuis plusieurs années, nous avons assisté à une politisation de la violence et un développement des gangs dans les communes les plus importantes de la capitale. Il y a régulièrement des affrontements entre gangs cherchant à étendre leur contrôle dans une zone ou l’autre et il y a des victimes collatérales.

Aujourd’hui des communes entières vivent dans la peur et sont désertées par leurs habitants. La circulation des personnes et des biens n’est plus possible sans un coût financier ou des prises de risques supplémentaires. L’insécurité en Haïti c’est aussi des kidnapping. Vous pouvez être ciblé ou non, riche, de la classe moyenne ou pauvre, les cas enregistrés sont tellement divers que n’importe qui peut être victimes d’enlèvements.

Cette situation a contribué grandement à un exode d’une classe moyenne et de professionnels vers la Floride ou la République dominicaine. Les gens se déplacent de moins en moins et pour le strict nécessaire par peur. La situation sécuritaire est de plus en plus dégradée à cause du développement des zones de non droit et des pénuries de carburants ; à l’insécurité physique s’est ajouté l’insécurité alimentaire et sanitaire.

Quelle explication apportez-vous à ce manque de sécurité, à cet essor de la corruption et de l’impunité ? Quelle est la réaction globale de la population haïtienne face à ce constat dramatique ?

Qui peut expliquer toutes les raisons de l’essor de la corruption dans un pays ? Est-ce un déficit de morale, l’impunité, le manque de vision patriotique ? En revanche les observations de tout un chacun sont que le manque de sécurité s’est développé avec la faiblesse accrue de la police et de la justice.

Aucune élection n’a eu lieu depuis la dernière élection présidentielle de 2016 et les institutions de l’État n’ont pu être renouvelées. Les maires et les juges ont été nommés sous le pouvoir du président Moïse, il n’y a pas de parlement et il y a trop d’insécurité pour organiser des élections. Ce cercle vicieux a plongé la population haïtienne dans la peur et le stress.

Depuis juillet 2021, aucune négociation entre le gouvernement et l’opposition n’a pu aboutir à des actions concrètes et les moyens du gouvernement en place s’amenuisent. Ceci a poussé le Premier ministre en place, Ariel Henry, par l’intermédiaire de son ministre des affaires étrangères à demander une assistance internationale aux Nations Unies pour contrecarrer la crise sanitaire et sécuritaire à laquelle fait face la population.

Certains crient à la trahison, imaginant l’intervention étrangère comme étant une occupation et, une autre partie de la population est en accord avec cette démarche estimant que la police nationale et l’armée balbutiante n’ont pas la force et les moyens de répondre aux gangs armés qui gagnent du terrain.

En sus des problématiques de malnutrition et du manque crucial d’eau, la population haïtienne est également confrontée à une épidémie de choléra. Quels sont les moyens mis en place par les autorités afin de lutter efficacement contre cette crise sanitaire et alimentaire ? Haïti reçoit-il le soutien d’organisations internationales ou de pays voisins ?

Depuis le scandale du choléra importé lors de la mission de la Minustha, les autorités haïtienne ont développé avec les Nations unies des plans d’action pour faire face à ce risque d’épidémie. Des centres de traitement de patients du choléra ont été installés dans divers quartiers pour prendre en charge rapidement les victimes et éviter les cas de décès.

Malheureusement, à cause de la situation sécuritaire et de la crise de carburant, le nombre de centres est restreint et ne peut pas toucher les populations les plus vulnérables d’une part et d’autre part les gens ont du mal à arriver aux centres car ils doivent risquer leur vie ou ne trouvent pas de moyen de transport.

L’OMS/OPS apporte son soutien au ministère de la Santé pour le volet du choléra et les Nations unies ont lancé un appel pour lever 145.6 millions de dollars pour aider Haïti à faire face au problème du choléra et de la précarité alimentaire. Il y a un Bureau de Gestion des Risques et Désastre mais qui intervient lors de cyclone ou tremblement de terre pour assurer la coordination des aides fournies par les ONG. Malheureusement les autorités n’ont d’autre choix que de recourir à l’aide internationale.

Une crise sécuritaire, une crise alimentaire, une crise sanitaire mais également une crise économique et financière. Trop nombreux sont les Haïtiens qui rencontrent d’importantes difficultés à subvenir à leurs besoins, et cela est notamment dû à la forte inflation qui touche ce pays des Caraïbes. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet aspect ?

En effet, la population et les entreprises subissent de plein fouet la crise économique. Le chômage fait rage et a exacerbé la précarité des plus vulnérables et plongé dans la difficulté ou la pauvreté la classe moyenne. Cette crise alimentaire et économique est le résultat de l’insécurité ; la fermeture du port pendant plus de deux mois ; la non circulation libre des denrées agricoles venant des provinces à cause de la présence de gangs armés qui détournent ou rançonnent les camions de marchandise; le doublement du prix du carburant et la vente sur le marché noir jusqu’à six fois le prix à la pompe ; l’arrêt des exportations.

Tout ceci a engendré un inflation allant parfois jusqu’à 200% sur une comparaison annuelle pour certains produits comme le lait, l’huile, le sucre. Le riz et la farine ont pris près de 75% d’augmentation. Les salaires ne suivent pas et beaucoup de personnes ont perdu leur emploi ou ont dû accepter des réductions de salaires pendant cette crise. La population en général s’appauvrit et la solidarité est de plus en plus difficile à soutenir car c’est une crise générale.

Qu’en est-il de la situation des Français résidant sur place mais également de la place des institutions françaises implantées sur l’île ?

Les Français résidant sur place sont dans le même bateau. Qu’ils soient entrepreneurs en Haïti ou expatriés travaillant pour des ONG ou des institutions privées c’est le même mot d’ordre, la prudence. C’est triste à dire mais nous devons développer des réflexes de survie en augmentant la sécurité chez soi, en s’assurant d’être ravitaillé en produits alimentaires, eau et source d’énergie, en se renseignant sur la situation dans les rues à travers des groupes WhatsApp. 

Les chefs d’îlots font un bon travail à ce niveau et cela rassure d’être informé, d’être relié à la communauté française d’une certaine façon. L’ambassade de France envoie des points par mail sur la situation des enlèvements, qui est la plus grande hantise de tous, et fait des rappels sur les précautions à prendre. La vie n’est pas simple en Haïti et nos concitoyens n’ont pas tous les moyens de s’acheter un véhicule blindé ou de se payer les services de compagnies de sécurité rapprochées. Certains Français vivent dans des quartiers plus difficiles que d’autres et 95% des Français vivant en Haïti n’ont pas d’autre moyen que d’être plus vigilants.

Le lycée Alexandre Dumas qui fonctionne en distanciel depuis septembre 2021, selon les directives du MEAE, continue de le faire. Beaucoup de familles sont parties ou ont inscrit leurs enfants dans d’autres écoles car ce mode de fonctionnement impactait négativement leurs enfants et leurs familles ou ne voulaient plus continuer à vivre dans ce climat. Après 14 mois d’attente, nous ne savons pas quand le lycée pourra reprendre son fonctionnement normal et la conséquence de cette crise est que le lycée a perdu plus de 60% de ses élèves. Le lycée Alexandre Dumas a aujourd’hui besoin du soutien financier de l’AEFE pour franchir ce cap difficile de son histoire car les parents ne pourraient subir une augmentation des frais de scolarité dans cette situation économique précaire.

Cette aide financière de l’AEFE avait été mentionnée lors de la décision de fermeture en présentiel et nous sommes confiants que, dans l’objectif du Gouvernement de maintenir et d’augmenter le nombre d’élèves dans les lycées Français à travers le monde, ce soutien viendra à temps.

L’Institut français à dû aussi recourir à Internet pour diffuser ces activités et faire les cours en ligne.

Voyez-vous dans un avenir proche quelques signes d’amélioration et d’optimisme ?

La situation est très inquiétante, la communication sur ce qui se fait pour sortir ce pays du chaos dans lequel il se trouve est floue. C’est à travers les rumeurs et les réseaux sociaux qu’on entend parler de mission, d’intervention de support à la police nationale pour le début de 2023 pour stabiliser la situation et permettre d’organiser des élections. On ne sait pas grand chose à cette date sur les avancées des négociations locales entre le gouvernement et la société civile.

La population est résiliente mais combien de temps peut-elle encore subir cette situation ? Les problèmes sont profonds : d’une part certains continuent d’espérer car ils ne peuvent pas quitter ce pays qu’ils aiment, où ils sont investis, qu’ils ont adopté ou qui est le leur. D’autre part, certains pensent à partir. 

Avez-vous autre chose à ajouter ?

Je souhaite rajouter que la communauté française en Haïti est très courageuse et aime son pays d’accueil. Beaucoup s’interrogent sur l’avenir et le rôle que la France compte jouer en Haïti dans le dénouement de cette crise et comme la France fait partie du Core Group, quel visage aura cette action internationale sur le terrain et compte-t-elle augmenter les actions de coopération et l’aide humanitaire pour donner un peu d’espérance à ce pays ? Personne ne mérite de vivre ce qui se passe en Haïti.

Je tiens aussi à remercier l’ASFE qui me contacte régulièrement pour s’informer de la situation de nos compatriotes et de la situation en Haïti. Et pour terminer je profite de cette occasion pour vous souhaiter à toutes et à tous un une bonne et heureuse année 2023.

Propos recueillis le 20/12/2022

Christelle Chignard, Conseillère des Français d’Haïti.

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