Italie : « une violence de genre »

Maitre Géraldine Pagano est avocate spécialisée sur les violences faites aux femmes en Italie. Témoin des évolutions légales sur les violences de genre en Italie – entre autres – elle revient pour nous sur la situation des femmes. Ironie du sort à l’approche de la journée internationale contre les violences faites aux femmes, l’actualité italienne a été bouleversée cette semaine avec l’enlèvement et le meurtre d’une étudiante de 22 ans par son ex-petit ami sans histoire. Une minute de « bruit » et non pas de silence est organisée à travers le pays en son hommage.

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je m’occupe depuis presque 25 ans des problèmes liés à la maltraitance et à la violence en famille en tant qu’avocate d’une association italienne, Differenza Donna, qui se bat contre les différences de genre et aide directement les victimes de violences domestiques.

Vous êtes avocate, spécialisée sur les droits des femmes : pourquoi avoir choisi de les défendre en particulier ?

Les victimes de violence ignorent souvent qu’elles sont des victimes, elles se cupabilisent. Mon métier me permet de les aider à sortir de la spirale de la violence et d’éviter autant que possible qu’elles y retombent. C’est une grande satisfaction personnelle quand elles réussissent à en sortir.

L’Italie a connu un changement juridique radical en matière de lutte contre les violences intra familiales. A quoi est-il dû ?

Je pense que le monde est en train de connaitre de nombreux changements juridiques par rapport aux violences faites aux femmes. L’Italie a fait un grand pas en avant en ratifiant en 2013, comme beaucoup d’autres pays, la Convention d’Istanbul pour prévenir et lutter contre la violence domestique. Cette nouvelle convention internationale a accéléré les changements juridiques en Italie.

Une vraie prise de conscience a également eu lieu depuis 2020. L’ampleur des violences conjugales durant les premiers mois de confinement (21 meurtres de femmes perpétrés à domicile par leur conjoint entre le mois de janvier et d’avril 2020) avait conduit le gouvernement italien à lancer en urgence une campagne de prévention « Libera puoi » (« Tu peux être libre ») ainsi que le renforcement d’un numéro vert, le 1522, disponible 24h/24.

Ce numéro national anti-violence et anti-harcèlement a été promu en 2006 par la Présidence du Conseil du Ministère-Dipartiment Pari Opportunità (pour l’égalité des chances entre hommes et femmes) et est géré depuis quelques années par Differenza Donna, association dont le siège se situe à Rome dans un appartement saisi au grand banditisme.

Quel est le contenu de ce nouveau « Code rose »? 

Le code rose existe depuis plusieurs années. A coté des codes rouges, jaune et vert des urgences des hôpitaux, il existe un code rose pour les femmes victimes de violence.

Du personnel spécialisé (assistantes sociales, opératrices des centres anti-violences, gynécologues et bien sûr urgentistes) accueillent les femmes, essayent de comprendre avec elles ce qui se passe, leur donnent des conseils et les soutiennent, même pour une éventuelle plainte aux autorités et un suivi. Le but est aussi de faire émerger le phénomène de la violence qui risquerait d’être submergé. Un nombre incroyable de femmes battues par leur mari déclare s’être blessées toutes seules. Seule la patience des opérateurs du code rose permet souvent de découvrir la vérité.

Les opérateurs du numéro vert 1522 redirigent vers un centre antiviolences qui coordonne tout le parcours. Un seul tribunal, celui de la famille, devrait être en charge des violences faites aux femmes. L’aide juridictionnelle « Patrocinio a Spese dello Stato » est accordée automatiquement aux femmes victimes de violences (maltraitance, harcèlement et violence sexuelle) dans le cadre de la procédure pénale. Des mesures d’urgence préventives sont à la disposition des juges dès le dépôt de plainte : éloignement de la personne violente du domicile commun, interdiction de s’approcher des victimes et de communiquer, assignation à domicile (avec ou sans bracelet électronique), détention préventive.

Quels sont les effets sur le terrain de cette réglementation ? Y a-t-il eu une prise de conscience ?

Il y a eu ces dernières années une nette amélioration et un renforcement des mesures pour aider les victimes, pour les protéger, pour les informer. Les centres antiviolences proposent :

  • une ligne d’écoute 24 heures sur 24h
  • un placement en refuge en cas de danger grave
  • un accueil des enfants de tous âges
  • un soutien à la maternité
  • des conseils juridiques, accueil social et un soutien psychologique
  • un accueil anti-harcèlement
  • la mise en place de procédures auprès des services locaux (écoles, hôpitaux, consultants, etc)
  • le lancement de procédures auprès des institutions (Tribunaux, Communes, Régions, etc)
  • une médiation interculturelle
  • des groupes d’entraide et de parole.

L’accent a aussi été mis sur la formation et les prérogatives des forces de l’ordre : ils peuvent désormais mettre en sécurité des victimes et leurs enfants mais les ressources financières restent souvent insuffisantes. Les Tribunaux ne peuvent pas toujours faire face à l’augmentation croissante des plaintes, il faudrait aussi augmenter le personnel et les magistrats spécialisés.

Quels sont les premiers conseils que vous donneriez à une femme victime de violences en Italie ? 

Le premier conseil à donner aux victimes c’est de se faire aider pour dénoncer l’auteur des violences. Il ne faut pas dénoncer tout court mais entreprendre un parcours de sortie de la violence, il faut être consciente d’être victime pour s’en sortir. Le centres antiviolences sont les premiers alliés des femmes, leur aide est fondamentale, non seulement au moment de la plainte, mais aussi du suivi et de la mise en protection des victimes. Il faut donc appeler le 1522 afin d’avoir les premiers renseignements et pour se confier au personnel spécialisé qui orientera ensuite les femmes vers les centres antiviolences et les autorités.

Le deuxième conseil est celui d’éviter tout contact avec la personne qui a été mise en cause et de ne pas accepter de dernier rendez-vous qui, dans certains cas, s’est malheureusement avéré fatal pour la victime1.

Enfin, un guide en français disponible sur le site de l’ambassade de France en Italie a été rédigé par le paquet de Tivoli et l’association dont je fais partie, afin de guider les victimes de violences intra-familiales et conjugales.

Maitre Géraldine Pagano, avocate spécialisée sur les violences faites aux femmes en Italie

Note de l’équipe : la moyenne du nombre d’appels par jour est passée d’environ 200 à 450-500 pour l’ensemble du pays suite à la disparition de Giulia Cecchettin la semaine dernière qui avait accepté un dernier rendez-vous avec son ex-petit ami.

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