« Des vulnérabilités particulières existent pour les femmes expatriées »

Laure-Julia Hostein est avocate de formation et auteure du premier mémoire de recherche sur les violences faites aux femmes françaises résidant à l’étranger. Travail scientifique inédit, elle nous en dit plus sur le résultat de ses recherches et sur les violences conjugales et intrafamiliales qui touchent les femmes françaises hors de France.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Avocate de formation, je m’intéresse depuis très longtemps aux droits humains et à la protection des personnes en situation de vulnérabilité. Après une première expérience au sein d’une ONG au Honduras, j’ai été rapporteure à la Cour nationale du droit d’asile où j’ai instruit de nombreux dossiers de femmes persécutées. Ces derniers ont mis en lumière des vulnérabilités particulières et la nécessité d’un système de protection spécifique, capable de prendre en compte tout un ensemble de problématiques : reconnaissance des actes de persécutions, mise en place de procédures adaptées, y compris devant les juges.

Par la suite, j’ai travaillé à l’accompagnement des femmes victimes de violences de genre, tout d’abord au sein du Collectif Féministe Contre le Viol, une association qui apporte un soutien individuel aux victimes et qui tente de porter leurs voix pour impulser des politiques publiques. Ayant intégré le barreau de Paris en 2010, j’ai continué à soutenir les femmes victimes, y compris devant les assises, avant d’ouvrir une parenthèse d’expatriation à Malte avec mes enfants et mon conjoint à partir de 2018.

Cette aventure familiale a été l’occasion d’enseigner la langue et culture française au sein d’une association du réseau Français Langue Maternelle (FLAM) et dans une école indépendante, tout en poursuivant mon engagement pour soutenir des femmes vulnérables au sein d’une association maltaise. Par ailleurs, j’ai entamé des recherches dans le cadre de plusieurs diplômes inter universitaires sur le genre et je me suis intéressée tout particulièrement à la question des violences faites aux femmes en situation d’expatriation. 

Pourquoi avoir choisi ce sujet de mémoire ?

La problématique des violences conjugales recouvre un champ complexe, alliant des aspects à la fois socio-économiques, médico-psychologiques, juridiques, familiaux, etc. L’étape fondamentale qui consiste, pour la victime, à verbaliser les violences, implique tout un maillage de mise en confiance où l’entourage familial, amical mais aussi institutionnel, joue un rôle majeur. Il est dès lors évident que, lorsque des éléments d’extranéité se rajoutent, les difficultés pour entamer un parcours de sortie sont amplifiées.

Or, à ma connaissance, quasiment aucune étude ou recherche scientifique ne porte spécifiquement sur la problématique des violences conjugales dont sont victimes les Françaises expatriées. Peu d’articles de presse, généralistes ou spécifiques à l’expatriation, abordent cette question. Pourtant, nous savons que les violences conjugales sont présentes au sein de toutes les catégories socioprofessionnelles et qu’elles touchent donc toutes les Françaises, y compris celles qui résident à l’étranger.

A rebours du cliché de la vie privilégiée et facile de l’expatriée, il m’a paru pertinent de confronter les réalités statistiques – quand elles existent – avec le contexte particulier de la vie en expatriation. Autrement dit, est-ce que des vulnérabilités particulières existent pour les femmes expatriées qui les exposeraient à certaines formes de violences conjugales et limiteraient du coup leur capacité à s’en sortir ?

Votre installation il y a quelques années hors de France, à Malte, a-t-il eu un impact sur votre démarche ?

Oui, assurément. Durant l’année 2019-2020, j’ai travaillé comme médiatrice culturelle au sein d’une ONG sur un projet dénommé Violet Support Online. L’objectif était d’apporter une aide et un soutien aux membres de la communauté francophone de Malte, victimes de violences fondées sur le genre. J’ai mené des actions visant à promouvoir cette plateforme en ligne auprès des représentants de la communauté francophone expatriée (ambassades, consulats, Alliance française, différentes associations francophones de l’étranger, etc.). C’est dans ce contexte que je me suis aperçue à quel point la question des violences conjugales était encore un sujet tabou au sein du milieu expatrié.

Par ailleurs, la pandémie de la COVID-19 a entraîné la fermeture des aéroports et/ou des frontières dans de nombreux pays, dont Malte. Ces restrictions sur la liberté d’aller et venir ont eu parfois un impact aggravant sur les victimes de violences conjugales en situation d’expatriation car elles se sont retrouvées, malgré elles, bloquées à l’étranger. Une première rencontre avec Isabelle Tiné, fondatrice du groupe Facebook Expats Nanas : séparées divorcées m’a confirmé le silence qui entourait cette question et l’importance de mener des recherches sur cette problématique.

Quel est l’impact de l’expatriation sur la vulnérabilité des femmes françaises victimes de violences conjugales à l’étranger ?

Dans le cadre de mes recherches, je me suis intéressée plus particulièrement à la question des Françaises qui partent en expatriation à la suite d’une opportunité professionnelle de leur partenaire. Ce cas de figure est encore très largement majoritaire et contribue à renforcer les inégalités de genre au sein des couples, ce qui engendre des vulnérabilités importantes et pluridimensionnelles pour les femmes.

Différents facteurs y participent : l’éloignement géographique, la dépendance financière et administrative, l’isolement familial et amical, les barrières culturelles et linguistiques, les difficultés à retrouver un emploi en adéquation avec ses compétences, etc.

Par ailleurs, la construction d’un nouveau réseau social se réalise souvent au sein d’une communauté d’expatriés restreinte et commune aux deux membres du couple, ce qui rend plus difficile la verbalisation des violences subies et les démarches à entamer pour quitter un conjoint violent. La question des enfants, pour les victimes qui voudraient rentrer en France, peut également constituer un frein important au départ, notamment dans les couples binationaux.

En outre, selon les pays de résidence, les législations nationales ne répriment pas toujours les violences conjugales en tant que telles ou sous toutes leurs formes, à l’instar des violences économiques pourtant très prégnantes en expatriation. Ainsi, lorsque des rapports de domination existent au sein des couples, les mécanismes sous-jacents aux violences conjugales se trouvent facilités par le contexte de l’expatriation. 

Quels leviers et autres mécanismes d’action de politiques publiques nationales et européennes avez-vous identifiés ?

Malheureusement, peu de mesures politiques ont été mises en œuvre pour lutter efficacement contre les violences conjugales dans ce contexte spécifique, et elles résultent majoritairement d’initiatives d’élu·es parlementaires engagé·es sur cette problématique plutôt que d’initiatives gouvernementales.

Une des avancées majeures et indispensable pour mettre en lumière la réalité de cette problématique, consiste en l’obligation de mentionner désormais dans le Rapport du Gouvernement sur la situation des Français de l’étranger les cas de violences conjugales recensés à l’étranger. Les entretiens que j’ai menés dans le cadre de mon mémoire auprès d’élu·es représentant la communauté française de l’étranger, d’associations et de réseaux sociaux montrent que ces chiffres sous-estiment très largement le nombre de cas de violences conjugales dont sont victimes les Françaises expatriées. Ils ont néanmoins le mérite d’exister.

Par ailleurs, le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères s’est également engagé à actualiser l’annuaire des associations et structures locales vers lesquelles peuvent se tourner les Françaises expatriées victimes de violences conjugales et a mobiliser l’ensemble des postes consulaires afin de relayer sur leur site internet la création de la plateforme SAVE YOU. L’importante communication qui a entouré le lancement de cette plateforme peut d’ailleurs être soulignée.

Une autre mesure qui me semble importante concerne le nouveau dispositif de dépôt de plainte en ligne que le Gouvernement français s’est engagé à rendre accessible aux Françaises de l’étranger victimes de violences conjugales. 

Au niveau de l’Union européenne (UE), il existe encore d’importantes disparités d’un État membre à l’autre. L’adhésion récente de l’UE à la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (dite Convention d’Istanbul) doit être saluée. Cela permettra, je l’espère, d’harmoniser l’arsenal juridique en matière de lutte contre les violences faites aux femmes au sein des États membres de l’UE (certains comme la Hongrie ou la Lituanie ne l’ayant toujours pas ratifiée), voire d’imaginer une réponse commune sur cette question. 

Quelle est la conclusion de vos travaux de recherche ? Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Il me semble indispensable que les autorités françaises s’emparent pleinement de cette problématique et portent une politique globale et intégrale, car aujourd’hui, le soutien apporté aux Françaises expatriées victimes de violences conjugales est encore trop disparate. De nombreuses mesures très concrètes pourraient être mises en place, mais elles demandent une véritable volonté politique ainsi que des moyens humains et financiers, à l’image de la politique ambitieuse menée ces dernières années par les autorités espagnoles.

La première étape, essentielle, est une meilleure compréhension des mécanismes du contrôle coercitif et des violences conjugales car celles-ci sont trop souvent assimilées, à tort, à des disputes ou à des conflits de couple. Dès lors, l’existence d’enjeux de pouvoir et de contrôle, et donc de rapports de domination, ne sont pas identifiés. Les violences conjugales sont minimisées, voire banalisées et justifiées par des circonstances extérieures à l’auteur des violences, ce qui contribue à nier la gravité des faits subis et à renforcer le silence des victimes.

Les entretiens que j’ai menés démontrent que les personnels diplomatiques et consulaires, les conseiller.ères des « Français de l’étranger » et les membres d’association des Français de l’étranger sont les principales personnes ressources vers qui les victimes ont tendance à se rapprocher.

L’élaboration d’un programme de formation réaliste et ambitieux à leur endroit constituerait une première étape importante de sensibilisation afin d’apporter une réponse appropriée aux victimes. Des campagnes de communication de lutte contre toutes les formes de violences conjugales spécifiquement dédiées à la communauté Française expatriée pourraient également être mises en œuvre. 

Laure-Julia Hostein, avocate et auteure

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