TELECHARGER LA FICHE PDF
A la demande du groupe La France Insoumise (LFI) à l’Assemblée nationale, une mission d’information relative à l’impôt universel s’était constituée en février dernier. Défendu par Jean-Luc Mélenchon dans son programme à l’élection présidentielle 2017 (proposé initialement par Dominique Strauss-Khan en 2007, soutenu par Olivier Faure depuis l’an dernier) l’impôt universel est une fiscalité fondée sur la nationalité et non plus la résidence.
Le rapport issu de ces travaux a été rendu public mardi 17 septembre. Les multiples auditions, ainsi que l’analyse du système américain – qui prévoit ce type d’imposition – ont conduit les députés membres de la mission d’information à mettre de côté l’idée de l’impôt universel dont la mise en œuvre s’avèrerait impraticable, puisqu’elle nécessiterait d’une part la révision de l’ensemble des conventions fiscales signées par la France (au nombre de 128 en avril 2019) et d’autre part des modalités de contrôle et de perception de l’impôt en territoire étranger.
Le rapport d’information s’est davantage concentré sur le « renforcement des moyens de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale », et a formulé diverses propositions dans ce sens. Nous synthétisons ici les considérations sur le principe de territorialité de l’imposition française et son lien avec la citoyenneté, ainsi que les principales mesures préconisées pour « lutter contre l’évasion fiscale et renforcer le lien entre imposition et citoyenneté ». Rappelons que ces mesures n’ont aucun caractère contraignant et ne sont à ce stade que des pistes de réflexion. Pour autant, si ces mesures venaient à être mise en place, elles auraient des conséquences bien plus larges que simplement les potentiels exilés fiscaux, et concerneraient l’ensemble des Français de l’étranger.
Encore une fois, les députés de cette mission – par ailleurs issus de tous les groupes politiques de l’Assemblée (LREM, UDI, PS, Modem, etc.) – semblent être partis du présupposé que les Français qui partent à l’étranger le font pour des raisons fiscales, démontrant leur ignorance de notre communauté, mais aussi leur difficulté à comprendre le monde dans lequel nous vivons.
L’imposition française repose sur la notion de domicile fiscal
L’article 4 B du Code général des impôts définit les critères de domicile fiscal en France et la nationalité n’en fait pas partie. Ainsi il convient de distinguer la qualité de citoyen français et celle de contribuable français, ceux-ci n’étant pas forcément de nationalité française.
Selon l’article 4B du CGI, sont considérés comme ayant leur domicile fiscal en France :
- a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ;
- b. Celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu’elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ;
- c. Celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques.
Les personnes considérées comme ayant leur domicile fiscal en France sont résidents fiscaux française et sont soumis à une obligation fiscale dite illimitée, c’est-à-dire sur l’ensemble de leurs revenus, que ceux-ci soient de source française ou de source étrangère. Les contribuables non-résidents fiscaux sont soumis, eux, à une obligation fiscale limitée et ne sont redevables de l’impôt sur le revenu qu’au titre de leurs revenus de source française. Le modèle OCDE qui prévoit des standards internationaux contenus dans les conventions fiscales « repose ainsi sur un principe d’obligation fiscale des contribuables, illimitée au profit de leur État de résidence, et limitée au profit de l’État source du revenu. »
Proposition du rapport :
Le rapport recommande d’élargir les critères du domicile fiscal et de retenir la notion de richesse accumulée sur le territoire couplé à celle de présence effective sur le territoire en complément de celle de « centres d’intérêts économiques ».
Concrètement cela voudrait dire qu’une personne « qui aurait accumulé sur le territoire français, grâce aux services publics et aux infrastructures publiques de la France, une certaine richesse », serait considéré comme fiscalement domicilié en France. Cela vient introduire la notion de redevabilité du citoyen envers l’Etat, se traduisant dans l’impôt même lorsqu’il quitte le territoire national.
Ce critère nouveau viendrait s’appliquer plus particulièrement aux personnes ayant déménagé dans un Etat n’ayant pas signé avec la France de convention fiscale (qui détermine l’Etat de résidence des personnes). La notion de « richesse accumulée sur le territoire » est à notre sens très floue et absconse, difficilement quantifiable.
Non-résident et exil fiscal
Même si le rapport prend le soin de préciser que la fiscalité n’est qu’une raison parmi d’autres motivant un départ à l’étranger, il n’en indique pas moins que l’exil fiscal est pratiqué par certains contribuables – « les plus fortunés » – qui utilisent « les failles du système international sur le plan fiscal. L’exil fiscal est difficile à quantifier car l’inscription au registre des Français de l’étranger n’a pas de caractère obligatoire.
Proposition du rapport : Le rapport préconise de mener une réflexion sur les moyens d’identifier les Français établis fiscalement hors de France. Une des idées avancées est d’obliger le contribuable dont la résidence fiscale est à l’étranger à déclarer à l’administration fiscale l’ensemble de ces revenus mondiaux.
Sans nier l’importance du phénomène de l’exil fiscal, il nous paraît dommage, encore une fois, que l’expatriation soit accolée à la notion d’exil fiscal entretenant le doute sur les motivations des personnes quittant la France avant tout pour des motifs professionnels, familiaux ou personnels. La question que l’on peut se poser quant à cette proposition est la raison de cette obligation déclarative – revenus de source française ET étrangère – alors que les non-résidents fiscaux ne sont imposables que sur leurs revenus français.
Pertinence de la territorialité de l’imposition
Le rapport estime que le principe de territorialité de l’impôt ne permet pas de lutter efficacement contre une concurrence fiscale renforcée par la liberté de circulation des capitaux et des techniques bancaires et contre l’optimisation fiscale légale. Le rapport avance l’idée qu’un impôt fondé sur la citoyenneté différentiel – c’est à dire selon la fiscalité de l’Etat de résidence- viendrait « neutraliser » les différences de régimes fiscaux entre les pays et donc l’exil fiscal. En pratique, moins l’imposition du pays de résidence serait élevée, plus celle dû à l’administration fiscale française serait importante.
Le rapport pointe immédiatement les difficultés qu’un tel système engendrerait : cas des binationaux ou des couples dont la nationalité est différente, risque d’iniquité fiscale au regard de la qualité du système scolaire ou médical du pays de résidence, problème de définition de l’assiette de l’imposition, du traitement et de la vérification des informations. Cela sans compter l’inévitable travail de révision des conventions fiscales afin d’éviter les doubles impositions.
Le but étant d’entraver l’exil fiscal des contribuables fortunés, cet imposition universelle ne s’appliquerait pas en deçà d’un seuil de revenu déterminé afin de ne pas pénaliser les personnes aux modestes ressources.
Des mécanismes alternatifs à l’impôt universel
Après avoir conclu aux difficultés tant politiques, juridiques et techniques d’un impôt universel, le rapport s’interroge sur des dispositifs alternatifs qui restent néanmoins fondés sur l’appartenance citoyenne.
Propositions du rapport :
Le rapport propose d’adapter en France un mécanisme d’obligation fiscale limitée étendue pour les nationaux partant dans des pays à fiscalité privilégiée. Ce mécanisme permet plusieurs années après l’expatriation de continuer à imposer l’ensemble des revenus du contribuable non-résident alors même que ce dernier n’est normalement imposé que sur ses revenus de source française lors de son départ de France.
Le rapport avance également l’idée d’une taxation spéciale pour les expatriés en guise de contribution au pacte républicain. Il s’agirait d’une contribution – modulable en fonction du pays de résidence – due par le citoyen français dont la résidence fiscale est située dans un pays étranger et dont les revenus excédent 200 000 euros.
Le rapport évoque également la possibilité de mettre un place une forme de prêt contingent. Il s’agirait d’une forme de « prêt citoyen » correspondant aux services publics et aux infrastructures dont le citoyen a bénéficié. Le prêt ne se déclencherait qu’à certaines conditions notamment le changement de résidence fiscale vers un pays à fiscalité privilégiée.
Renforcement des moyens des services fiscaux
Le rapport demande le déploiement de moyens humains et techniques supplémentaires à la DGFiP (direction générale des finances publiques) notamment au sein de la Direction des impôts des non-résidents
CCL : Le rapport prend pour hypothèse de départ qu’un impôt universel viendrait résoudre les problèmes d’évasion, d’exil et d’optimisation fiscale. Le postulat qu’un impôt fondé sur la citoyenneté permettrait d’entraver de telles pratiques est discutable. Le rapport d’information propose sur le même plan des mesures reprenant l’esprit d’un impôt universel et des mesures de lutte contre l’évasion fiscale, entretenant l’amalgame, si souvent fait entre non-résidents et exilés fiscaux. Nous serons vigilant à l’évolution données aux préconisations du rapport et interviendront si à certaines d’entre-elles est donnée une traduction concrète.
TELECHARGER LA FICHE PDF
La plupart des propositions du rapport seraient contraires à l’arrêt De Ruyter de la Cour de justice européenne, en ce qu’elles entraveraient la liberté de circulation.
Chère Olympe,
L’arrêt de Ruyter soulève avant tout les principes d’unicité d’affiliation à un régime de sécurité sociale et d’unicité de cotisation qui interdit le cumul des législations applicables en matière de sécurité sociale. Il fait en effet valoir le principe fondamental de libre-circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne mais au regard des cotisations sociales.
Les Etats membres de l’Union européenne restent libres quant à l’imposition des citoyens (ce qui n’est pas le cas quant aux cotisations sociales cf de Ruyter). Ainsi un Etat serait en droit de fonder une imposition sur la nationalité sans que cela contreviennent au principe fondamental de libre-circulation des travailleurs qui abolit toute discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions d’emploi et de travail mais pas en ce qui concerne l’imposition.