Rapport d’information sur la réforme du corps diplomatique

La réforme de la haute fonction publique, dont découle la suppression des deux corps d’encadrement supérieur du Quai d’Orsay, a eu un large écho à l’intérieur de ce ministère qui a vécu, le 2 juin dernier, sa première grève depuis vingt ans.

Ce contexte inédit a conduit la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale a créer, le 21 septembre dernier, une mission d’information sur la réforme du corps diplomatique, conduite par les rapporteurs Arnaud Le Gall et Vincent Ledoux. L’objectif de la mission d’information et du groupe de travail était d’évaluer l’incidence de la réforme de la haute fonction publique sur le Quai d’Orsay et de faire des propositions sur l’avenir du corps diplomatique.

L’équipe de l’ASFE vous propose de revenir sur des points marquants de ce rapport dont la première partie traite des paramètres de la réforme et les réactions qu’elle a suscitées au sein du Quai d’Orsay, tandis que la deuxième partie porte sur l’appréciation de chacun des rapporteurs.

La réforme de la haute fonction publique :  des objectifs pluriels 

La réforme de l’encadrement supérieur de l’État a plusieurs objectifs affichés, elle ambitionne notamment de rendre la fonction publique :

  • plus accessible afin de renforcer la diversité sociale au sein de la haute fonction publique à travers la création des « Prépas Talents ».
  • mieux former les élèves afin d’adapter la formation aux évolutions nationales et internationales. Pour atteindre cet objectif, l’emblématique École nationale de l’administration (ENA) est remplacée par l’Institut national du service public (INSP), dont les missions sont plus larges puisqu’il assurera la formation initiale des futurs administrateurs de l’État, mais aussi la formation de « troncs communs » des élèves issus de quatorze écoles d’encadrement supérieur de l’État. L’INSP s’est également vu adjoindre une mission de formation continue des cadres supérieurs de l’État. 
  • reconfigurer le parcours professionnel des diplomates. La réforme ne remet pas en cause les différents concours, ainsi le Quai d’Orsay continuera d’organiser le recrutement des secrétaires des affaires étrangères. En revanche, le concours d’Orient de catégorie A+ (à distinguer du concours d’Orient de catégorie A, permettant de recruter des secrétaires des affaires étrangères) sera organisé par l’INSP, qui gérera aussi le concours général des administrateurs de l’État. Les épreuves du concours d’Orient qui seront organisées par l’INSP évolueront pour intégrer davantage de mises en situation professionnelle.
    • La formation initiale : La réforme de l’encadrement supérieur de l’État, qui se traduit par le remplacement de l’ENA par l’INSP, a des conséquences sur la formation des diplomates. D’une part, l’INSP formera un plus grand nombre de diplomates, puisque cette école intègre les lauréats du concours d’Orient de catégorie A+. D’autre part, l’INSP devrait accorder une place plus importante aux compétences managériales dans la formation des hauts fonctionnaires. Le renforcement de la formation concorde avec la création par le MEAE d’une nouvelle école qui a vocation à répondre à un enjeu de meilleure visibilité et au besoin de renforcer la formation des personnels du ministère en même temps que les liens avec le monde académique. Il s’agit de L’École pratique des métiers de la diplomatie, elle rassemble les différents dispositifs de formation préexistants : l’Institut de formation aux affaires administratives et consulaires (IFAC), l’Institut diplomatique et consulaire (IDC) et le Collège des hautes études de l’Institut diplomatique (CHEID).
    • L’affectation : avant la réforme, les lauréats des concours organisés par le Quai d’Orsay (secrétaires des affaires étrangères et conseillers des affaires étrangères « Orient ») pour les élèves de l’ENA, le classement de sortie déterminait qui pouvait rejoindre le MEAE.

      Aucune modification n’a été retenue pour le régime applicable aux secrétaires des affaires étrangères, en revanche la réforme remplace le classement de sortie à la sortie de l’ENA par un principe d’ « appariement » à la sortie de l’INSP qui conduira, d’un côté, l’employeur public à choisir et à classer les élèves, sur la base de curriculum vitae anonymisés, et de l’autre côté, les étudiants à classer les employeurs publics par ordre de préférence. Lorsqu’un appariement sera constaté, un entretien aura lieu entre l’étudiant et l’employeur public

Une réforme qui ne fait pas consensus

Une réforme nécessaire et encadrée selon le rapporteur Vincent Ledoux (Renaissance)

La réforme semble nécessaire pour prendre en compte l’évolution du contexte international, marqué par le retour des rapports de force entre puissances, ainsi que l’accroissement de la fonction européenne et internationale dans l’action publique. Par ailleurs, le travail des diplomates relève de plus en plus du champ de la « diplomatie publique », qui consiste à promouvoir l’image de son pays d’origine auprès de l’opinion publique de son pays d’accréditation, notamment dans des domaines techniques, comme la santé publique ou la lutte contre le réchauffement climatique.

Selon Vincent Ledoux, l’ouverture du Quai d’Orsay sur les autres administrations offre les gages de la préservation d’un outil diplomatique française de qualité. Elle n’entraînera en rien la perte du prestige de la diplomatie française, car aucun État étranger ne dispose d’un modèle administratif qui comporte l’équivalent d’un haut encadrement généraliste doté de garanties statutaires et d’un prestige social comparables à celui des hauts fonctionnaires français.

Cette réforme vise à décloisonner les carrières des diplomates et diversifier les carrières des hauts fonctionnaires en favorisant des parcours plus fluides au sein de l’administration de l’État, pour renforcer l’attractivité de la fonction publique. Le pilotage des carrières des hauts fonctionnaires en fonction de leurs compétences, et non plus en fonction de leurs corps permettra à l’État de mieux affecter les compétences dont il dispose en fonction de ses besoins. Ainsi pour le rapporteur, la réforme viendra « sécuriser » les nominations en luttant notamment contre le poids des réseaux qui sans même l’intervention du politique, contribue beaucoup à une forme d’arbitraire dans les affectations au Quai d’Orsay. 

Pour ce faire la réforme prévoit deux garde-fous :

– un examen des compétences, qui garantit la transparence et l’objectivation des conditions de nomination des diplomates. La plupart des postes à responsabilité seront de facto confiés aux agents qui auront fait leur carrière au MEAE ou, lorsqu’ils viennent de l’extérieur, à ceux qui auront effectué des mobilités au sein du ministère plus tôt dans leur carrière ;

–  la création d’une commission d’aptitude, chargée de formuler un avis sur l’aptitude professionnelle des personnes candidates à une première nomination en qualité de chef de mission diplomatique.  

En somme, pour le rapporteur Vincent Ledoux l’esprit de la réforme est de nature à garantir une formation de qualité et une ouverture des diplomates sur la société.  À cet égard, la création des « Prépas Talents » et l’ouverture d’une voie d’accès spécifique à l’INSP pour les élèves de ces classes préparatoires, qui accueillent des étudiants boursiers, concourent à la démocratisation de l’accès à la haute fonction publique. 

Par ailleurs, il considère la suppression du classement de sortie de l’ENA et l’affirmation du principe d’appariement comme une réponse apportée à une situation insatisfaisante, permettant de mieux orienter les talents de l’international vers le MEAE. Car actuellement, le classement de sortie contraint le Quai d’Orsay à devoir recruter des élèves qui n’ont pas toujours le profil pour devenir diplomates, mais qui souhaitent rejoindre le ministère pour son prestige. 

Enfin, la réforme se traduit par un effort très positif pour renforcer la formation des diplomates en la mettant en cohérence avec les évolutions en cours de leur métier, notamment en les formant aux compétences managériales et à la maîtrise des outils numériques.

Le rapporteur préconise toutefois d’accompagner la réforme d’un dispositif d’évaluation robuste permettant d’en assurer le suivi de ses effets, et qui doit donner lieu à publication annuelle.    

Le bien-fondé des états généraux de la diplomatie

Le rapporteur Vincent Ledoux reconnaît que les États généraux de la diplomatie sont l’occasion d’enrichir la réforme et de répondre au malaise, qui affecte le Quai d’Orsay, en permettant à ces personnels d’être des acteurs et de faire des propositions sur l’avenir des métiers diplomatiques et consulaires. Les états généraux constituent une opportunité d’engager d’autres réformes nécessaires pour le Quai d’Orsay afin de « réarmer » la diplomatie française, dans un contexte favorable marqué par la fin « de l’hémorragie des moyens budgétaires et humains la loi de finances pour 2023 ».

Une réforme nuisant à la qualité de la diplomatie française, selon le rapporteur Arnaud Le Gall (LFI)

Selon lui, cette réforme nuira profondément à la qualité de la diplomatie française, car le postulat selon lequel le MEAE est perçu comme étant un ministère fermé est erroné. Il avance que le Quai d’Orsay est l’une des administrations les plus ouvertes et les plus diversifiées, notamment parce qu’il est composé pour moitié d’agents contractuels et que les personnels qui composent l’encadrement supérieur du Quai d’Orsay en 2019, sont occupés par des personnels en détachement ou intégrés au MEAE. 

La réforme crée au Quai d’Orsay un séisme comparable à celui produit par la mise en place de l’ENA en 1945, qui avait privé le ministère d’une partie de son autonomie dans le recrutement des diplomates. Or, selon le rapporteur, l’exécutif donne l’impression de « naviguer à vue », ce qui ne peut que susciter inquiétudes et questionnements.  Le rapporteur interpelle sur le fait que cette réforme s’inscrit dans un mouvement de rénovation de l’État qui est axé essentiellement sur la volonté d’introduire des outils de l’entreprise dans la gestion publique, voire l’alignement de l’État sur les entreprises fortement marqué par les théories du « new public management ».

Le rapporteur justifie la défiance qui s’est manifestée vis-à-vis de cette réforme. 

Elle s’explique selon lui par :

  • la baisse continue des moyens du Quai d’Orsay
  • par des crispations conjoncturelles entre le président de la République et les diplomates, tant sur le choix de nominations que sur les options de politique étrangère. Ainsi, il affirme que certains ont estimé qu’il s’agissait d’une mesure de représailles.
  • l’absence de dialogue et le contournement de la discussion parlementaire par l’exécutif ont conduit à renforcer l’opposition à cette réforme. Le travail d’audition conduit par les rapporteurs a montré que les principaux intéressés n’ont pas toujours la même compréhension des paramètres des changements qui les concernent.

Pour le rapporteur, l’interministérialisation peut constituer une entrave à la carrière des diplomates. Car elle concerne, à terme, toutes les catégories de personnels, ce qui se traduirait par une vraie perte de compétences et d’expérience. Le métier de diplomate est spécifique et se construit sur le temps long, au fil des affectations, par la sédimentation des expériences.

Il conclut que la nouvelle gestion par les compétences interministérielle est perçue comme un pari très risqué sur les capacités de l’État gestionnaire à garantir la préservation du métier diplomatique. Il est à craindre que la réforme vienne renforcer ce risque, favorisant ainsi « le fait du Prince ».

Arnaud Le Gall affirme qu’en supprimant le corps, la frontière entre le diplomate et le non-diplomate disparaît avec le risque, si la gestion par les compétences fonctionne mal, de diluer les compétences diplomatiques et de perdre ce qui faisait l’excellence de la diplomatie française. Selon lui la singularisation entraînée par cette réforme est d’autant plus dommageable que plusieurs pays partenaires considéraient la diplomatie de notre pays comme l’une des meilleures, si ce n’est la meilleure, au monde.

In fine pour les deux rapporteurs, il était d’opportun d’organiser une réflexion au champ large, qui ne se limite pas aux seules conséquences de la réforme de l’encadrement supérieur de l’État. Car il est incontestable que la diplomatie a besoin d’une réforme en profondeur pour retrouver du souffle. Toutefois, si pour le rapporteur Vincent Ledoux, cette réforme est mal comprise, car elle représente une opportunité pour notre diplomatie, le rapporteur Arnaud Le Gall considère pour sa part qu’elle nuira profondément à la qualité de la diplomatie française. Notons par ailleurs que de l’aveu même des acteurs de la réforme, il est reconnu qu’elle souffre d’un défaut de communication.

Pour en savoir plus sur la fonction diplomatique à l’étranger.

7 commentaires

  1. si certain diplomates sortaient un peu plus de leur fonction pour s integrer a la vie actif du pays d accueil,ils s apercevraient que bien souvent ils disent des choses fausses,mais,pardon c est peut etre de la diplomatie

  2. Il n’y a pas que le projet de réforme qui manque de communication. C’est la diplomatie dans son ensemble qui en manque. Il y a une loi qui permet l’accès aux documents administratifs, mais elle ne s’applique pas aux documents diplomatiques. Peut-on m’expliquer pourquoi les documents échangés par des diplomates qui sont censés représenter leurs peuples seraient, de façon générale, cachés aux peuples en question ? Le droit d’accès aux documents diplomatiques devrait être la règle et le secret, l’exception. Peut-être des fonctionnaires provenant d’autres administrations pourront-ils insuffler un souffle de transparence dans la diplomatie française…

  3. Dans les Ambassades, si vous vous intégrez bien a la vie locale, vous êtes accuse de « fricoter » avec les locaux, une sorte de trahison en quelque sorte !

  4. La politique étrangère française est peut-être aberrante et nuisible aux intérêts de la France, il n’en reste pas moins que le personnel des ambassades et des consulats pour les questions quotidiennes des Français de l’étranger est d’une grande qualité : dans toutes mes démarches j’ai trouvé des gens compétents, attentifs et réellement concernés ; leur plus grande préoccupation semblant être de trouver un moyen de bien faire malgré les consignes venant d’on ne sait où.
    Encore merci à ce corps dévoué et meilleurs vœux pour 2023.

    1. Oui, ça fait deux mois que j’essaie de prendre un rendez-vous au Consulat d’Amsterdam pour renouveler mon passeport. C’est ça la compétence ?

      1. J’essaie depuis novembre à Francfort…
        j’ai fini par profiter d’un déplacement en France et ai fait la demande pour CNI et passeport en France.
        Et il n’y a toujours pas de rendez-vous pour Francfort. Il faudrait passer son temps en ligne et essayer toutes les 10 minutes..
        On m’a expliqué que le calendrier ne comprend que 28 jours.. C’est pas étonnant..
        Mais ce ne sont pas les employés mais les gens plus haut placés qui prennent des décisions pas du tout applicables.
        Je regrette le temps où on pouvait téléphoner et prendre rendez vous!
        C’était bien plus simple.
        C.Lechevalier

        1. Bonjour Catherine,

          Nous prenons bonne note de votre remarque : c’est malheureusement le cas d’une grande partie des consulats actuellement.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *