Yvan Corno vit à Hong Kong en Chine depuis plus de 25 ans et a fondé Oqido, une société spécialisée dans l’approvisionnement de textiles, de loisirs créatifs et de matériaux de construction en Asie. Spécialiste de la chaîne d’approvisionnement, l’ASFE a souhaité s’entretenir avec lui. Retour sur son parcours.
Yvan Corno, vous avez étudié le management en France avant de poursuivre votre carrière professionnelle en Asie. Pouvez-vous nous parler de votre parcours?
J’ai débuté mon parcours académique par un DUT Techniques de Commercialisation à Quimper entre 1988 et 1990, avant de poursuivre avec une Maîtrise de Sciences de Gestion à l’IGR de Rennes de 1990 à 1992. J’ai ensuite complété ma formation par un DESS en Gestion de Production à Caen en 1993.
Après mes études, j’ai voyagé de septembre 1993 à janvier 1994, explorant Berlin, Moscou et traversant la Russie en empruntant le Transsibérien. J’ai ensuite passé plusieurs mois en Chine avant d’arriver à Hong Kong.
Séduit par l’Asie et animé par l’envie d’y rester, j’ai décidé de chercher un emploi sur place. C’est ainsi que j’ai obtenu mon premier poste en septembre 1994, dans une usine de lunettes située à Dongguan, en Chine.
Quelques années plus tard, en 1996-1997, j’ai tenté une première aventure entrepreneuriale, qui s’est malheureusement soldée par un échec. Je me suis alors réorienté vers le domaine des achats à Hong Kong, où j’ai pris la direction de plusieurs bureaux d’achat pour des entreprises françaises.
Fort de ces expériences, j’ai franchi une nouvelle étape en 2013 en créant ma propre structure, Oqido, spécialisée dans l’approvisionnement de textiles, de loisirs créatifs et de matériaux de construction en Asie.
Vous travaillez en Asie, et plus particulièrement en Chine. Quelles sont les principales différences que vous avez observées dans les approches managériales par rapport à votre formation théorique en France ?
La formation généraliste que j’ai suivie m’a offert une base solide pour la suite de mon parcours, en couvrant un large éventail de domaines tels que la vente, le marketing, la finance, le droit, la qualité et la production. Elle m’a également permis d’acquérir une première expérience grâce à de nombreux stages, ainsi qu’à ma participation à une junior entreprise et à un projet de création d’entreprise en deuxième année de DUT.
Cependant, la confrontation avec la réalité du monde de l’entreprise – et a fortiori en Chine – a été assez brutale. Le management y est avant tout pragmatique, et les diplômes, aussi prestigieux soient-ils, sont rapidement relégués au second plan. Ce qui prime avant tout, ce sont l’engagement dans le travail, la loyauté et la capacité d’adaptation.
Avec plus de 25 ans d’expérience dans le commerce en Asie, comment analysez-vous l’évolution des dynamiques de la chaîne d’approvisionnement dans cette région et à l’échelle internationale ?
Au cours des trois dernières décennies, les chaînes d’approvisionnement en Asie ont connu un développement spectaculaire, au point de se retrouver aujourd’hui au cœur des grands enjeux économiques, géopolitiques et environnementaux à l’échelle mondiale.
Cette évolution repose sur deux dynamiques majeures. D’une part, la Chine a connu une ascension fulgurante, s’imposant comme « l’atelier du monde » et entraînant dans son sillage l’essor industriel et logistique de l’ensemble de la région asiatique. L’optimisation des infrastructures, la montée en compétence des fournisseurs et la diversification des capacités de production ont permis à l’Asie de devenir un maillon central des échanges internationaux. D’autre part, les crises et bouleversements des cinq à dix dernières années – tensions commerciales entre grandes puissances, pandémie de Covid-19, guerre en Ukraine, instabilité au Moyen-Orient, sans oublier les exigences croissantes en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) – ont révélé que les chaînes d’approvisionnement ne sont pas seulement des enjeux économiques. Elles sont aussi devenues des questions stratégiques de souveraineté et de durabilité.
Quelles sont les principales préoccupations actuelles exprimées concernant les enjeux de l’approvisionnement dans le commerce mondial ?
L’un des principaux défis actuels en matière d’approvisionnement est la nécessité de s’adapter en permanence, et parfois de manière radicale, à un environnement de plus en plus volatil, tout en conservant une vision stratégique à long terme.
Les entreprises doivent faire face à des changements parfois radicaux, qu’ils soient liés à des tensions géopolitiques, à des crises sanitaires ou économiques, aux évolutions réglementaires, ou encore aux exigences croissantes en matière de développement durable. Dans ce contexte, la flexibilité et l’anticipation sont devenues essentielles pour assurer la résilience des chaînes d’approvisionnement.

Quels conseils donneriez-vous aux entreprises pour atténuer les risques liés à ces tensions dans leur chaîne d’approvisionnement ? Est-ce réellement possible ?
Atténuer les risques liés aux tensions dans la chaîne d’approvisionnement est un véritable exercice d’équilibriste. Il s’agit non seulement de diversifier pour répartir les risques, comprendre et si possible choisir des dépendances, nouer des relations de partenariat avec des fournisseurs, au-delà des relations purement transactionnelles. Voilà pour les principes, le plus dur étant bien évidemment la mise en œuvre concrète.
Pouvez-vous nous présenter Oqido ? Quelles motivations vous ont poussé à créer une société spécialisée dans l’optimisation des achats, le contrôle de production et la conformité en approvisionnement ?
Oqido est un bureau d’achat indépendant spécialisé dans le développement et la production de différentes gammes de produits en Asie pour le compte de clients européens. Notre siège est basé à Hong Kong, et nous disposons de deux antennes en Asie : l’une à Ningbo, en Chine, et l’autre à Dhaka, au Bangladesh. Nos principales activités couvrent trois secteurs : le textile, le loisir créatif et la construction.
Quels sont, selon vous, les principaux défis à relever pour rendre les chaînes d’approvisionnement plus durables dans les années à venir ? Les entreprises peuvent-elles concilier efficacité et engagement en matière de développement durable ?
La relocalisation de certaines productions, en rapprochant les sites de fabrication des lieux de consommation, peut être une solution pertinente lorsque cela est économiquement viable. Elle permet de réduire les distances parcourues, de limiter l’empreinte carbone liée au transport et d’améliorer la réactivité des flux logistiques. Pour le reste, il devient impératif d’adopter une vision plus globale et responsable de la chaîne de valeur. Cela passe avant tout par une meilleure connaissance de l’ensemble des acteurs impliqués dans nos approvisionnements. Collaborer étroitement avec les fournisseurs, cartographier leur impact environnemental et mettre en place des initiatives conjointes pour réduire progressivement les émissions carbone sont des leviers essentiels. Les fournisseurs font face aux mêmes défis climatiques que nous, et leurs émissions sont, en fin de compte, aussi les nôtres. Il est donc indispensable de développer une approche concertée et organisée.
