Evolutions législatives à Hong Kong : faut-il être inquiets ?

Émilie Tran-Sautedé est Conseillère des Français de l’étranger, dans la circonscription de Hong Kong et Macao, où elle représentante aussi l’ASFE. Elle est également enseignante-chercheuse en Sciences Politiques.

Une loi sur la sécurité nationale avait été adoptée à HK suite aux manifestations pro-démocraties de 2019. De quoi s’agissait-il ? 

Hong Kong est une Région Administrative Spéciale qui a sa propre autonomie législative. Mais au lendemain des manifestions pro-démocratie, le gouvernement central à Pékin a fait adopter et ainsi imposer une loi décidée et votée à Pékin, sur la sauvegarde de la sécurité nationale à Hong Kong, également appelée LSN.

Entrée en vigueur le 30 juin 2020, celle-ci comprend 66 articles qui criminalisent quatre types d’actes : la sécession, la subversion, les activités terroristes et la collusion avec un pays étranger ou avec des éléments extérieurs qui mettraient en danger la sécurité nationale. La loi stipule les peines correspondantes, qui dans les cas les plus graves, peuvent entraîner une peine d’emprisonnement à vie. Sauf circonstances spécifiées, Hong Kong exerce sa souveraineté sur les infractions prévues par la Loi sur la sécurité nationale. Ainsi la LSN donne lieu à la création d’un nouveau comité, chargé de la sauvegarde de la sécurité nationale et dirigé par le Chef de l’exécutif de Hong Kong. Les forces de police de Hong Kong et le département de la Justice ont aussi créé des unités spéciales pour examiner les crimes qui relèvent de la sécurité nationale. Il revient au Chef de l’exécutif de nommer les juges qui statueront ces crimes. 

Mais la LSN prévoit aussi que le gouvernement central de Pékin établisse à Hong Kong un Bureau pour superviser et guider le travail des autorités hongkongaises dans la sauvegarde de la sécurité nationale. En cas de conflit entre les lois locales de Hong Kong et la LSN, c’est cette dernière qui prévaut. Pékin a le pouvoir d’interpréter comme il l’entend la LSN.

La LSN a ainsi rendu illégal un large éventail d’actes dissidents. Des centaines de manifestants de 2019, d’activistes et d’anciens députés de l’opposition ont été arrêtés. De nombreux médias pro-démocratie à Hong Kong ont fermé, notamment le Apple Daily du magnat Jimmy Lai, connu pour être critique envers les autorités de Pékin. 

Pour beaucoup de résidents de Hong Kong, qu’ils soient Chinois ou étrangers expatriés, c’est « la fin de Hong Kong ». Les plus critiques affirment que la LSN a instauré un climat de peur dans la ville, d’aucuns iront jusqu’à dire de « terreur blanche ». La LSN est considérée comme une raison majeure qui a poussé à l’exode des milliers de Hongkongais ces trois dernières années. Beaucoup ont fini par se retrouver au Royaume-Uni après que le gouvernement britannique a introduit un visa spécial. Mais même en partant, on n’est pas pour autant épargné par la portée de la LSN. La police de Hong Kong a en effet émis des mandats d’arrêt et offert des primes aux personnes détenant des informations qui permettraient l’arrestation de 13 personnes qui vivent désormais à l’étranger, comme l’activiste Nathan Law. Pour les autorités de Pékin et de Hong Kong, la LSN est nécessaire pour maintenir la stabilité et nient le fait qu’elle ait affaibli en quoi que ce soit l’autonomie de Hong Kong. 

Un projet de loi, sorte de seconde partie de ce premier texte, a été présenté il y a quelques semaines à HK. Le texte proposait notamment que la trahison, l’insurrection, le sabotage mettant en péril la sécurité nationale et le fait d’inciter des membres de l’armée chinoise à la rébellion soient puni de la prison à perpétuité. Quelles mesures contient le texte finalement adopté ? Sur quels aspects de cette loi faut-il être le plus attentifs ? Certains droits ou libertés fondamentales sont-ils compromis ? 

Entrée en vigueur le 23 mars dernier, cette seconde loi qu’on appelle l’Article 23, permet des procès à huis clos et le droit pour la police de détenir des suspects jusqu’à 16 jours sans inculpation. Des organisations et des entreprises peuvent être interdites d’opérer à Hong Kong si elles sont considérées comme « travaillant pour des forces étrangères ». L’article 23 élargit l’éventail des infractions de la LSN, couvrant notamment le vol de secrets d’État et l’espionnage.

La loi a une définition large et vague de ce qui peut constituer des « secrets d’État ». Elle inclut, entre autres choses, les « décisions politiques majeures », le « développement économique ou social » et les « affaires extérieures » de Hong Kong. Elle définit aussi le sabotage qui pourrait mettre en danger la sécurité nationale, de manière intentionnelle ou par « négligence ». Elle vise également à criminaliser les actes liés à l’informatique qui portent atteinte à la sécurité nationale. Le doxxing – l’acte malveillant de publier les informations personnelles des gens en ligne – des policiers a été cité dans le document de consultation comme un exemple possible de cette infraction.

L’ingérence extérieure vise les actes de collaboration avec des « forces extérieures » pour influencer ou interférer avec les autorités nationales et locales. Les exemples incluent de recevoir des fonds ou des directives de ces « forces extérieures », qui pourraient inclure des gouvernements étrangers, des organisations politiques ou des individus. L’insurrection vise des actes tels que l’aide à une force armée – ou à l’organisation à laquelle appartient ladite force – dans un conflit armé contre la Chine. Les autorités ont cité à plusieurs reprises les troubles dus aux manifestations pro-démocratie de plusieurs mois en 2019 comme motif pour légiférer cette nouvelle infraction. Enfin, en plus de la trahison, qui comprend des infractions telles que la levée de guerre contre la Chine, la nouvelle loi cherche à criminaliser les exercices militaires non autorisés et la « complicité de trahison », commise par quelqu’un qui a connaissance de la trahison mais ne la signale pas. Les personnes reconnues coupables de trahison, d’insurrection, d’incitation à la mutinerie d’un membre de l’armée chinoise ou de collusion avec une force extérieure pour endommager ou affaiblir les infrastructures publiques pourraient être condamnées à la réclusion à perpétuité.

Quel est réellement la motivation ou l’objectif de ce nouvel arsenal législatif ? 

Les responsables de Hong Kong ont justifié l’article 23 en affirmant que la plupart des infractions énumérées dans la nouvelle législation sont également couvertes par des lois similaires dans les pays occidentaux. 

Cependant, les critiques affirment que la nouvelle loi donne aux autorités un autre outil pour réprimer les dissidents et éroder les libertés promises à l’ancienne colonie britannique lors de sa rétrocession à la Chine en 1997. Aux yeux des défenseurs des droits de l’homme, l’Article 23 porte la répression à un niveau supérieur et montre l’empressement du gouvernement à démanteler davantage la protection des droits de l’homme et à tourner le dos à ses obligations internationales. 

La LSN précédemment imposée par Pékin avait déjà fait taire la dissidence et les voix de la société civile. Hong Kong n’a plus connu de manifestations à grande échelle au cours des trois dernières années et demie. 

Le gouvernement de Hong Kong n’a eu de cesse de répéter aux médias locaux et internationaux qu’il était « scandaleux » de montrer Hong Kong du doigt, alors que d’autres pays ont également des lois pour protéger leur sécurité nationale. Face aux craintes exprimées que l’article 23 puisse réduire l’attrait de Hong Kong en tant que centre d’affaires international, les autorités ont rétorqué que l’article 23 fera avancer la ville « de la stabilité à la prospérité » et que la nouvelle législation n’affecterait pas les entreprises « normales ».

Sous un tel régime, les entreprises installées à Hong Kong ont adopté des mesures supplémentaires pour mitiger les risques politiques, par exemple, en recrutant des consultants politiques pour évaluer les risques et établir des liens politiques. Ce sont tous des coûts nouveaux, qui entraînent une nouvelle manière d’aborder de faire des affaires.

Les étrangers qui vivent à Hong-Kong sont-ils inquiets ?

Oui et non. En fait, tout dépend de l’activité professionnelle que l’on a. Ainsi les journalistes et les enseignants-chercheurs en sciences sociales se sentent plus concernés que celles et ceux dans d’autres secteurs d’activités… 

Hong Kong reste un centre financier mondial, même si les actions de Pékin ont compromis sa position. Des taxes relativement faibles, un système financier très développé, une réglementation légère ont fait de Hong Kong l’un des marchés les plus attractifs au monde et l’ont distingué de centres financiers tels que Shanghai et Shenzhen. Les entreprises multinationales et les banques – dont beaucoup ont leur siège régional asiatique à Hong Kong – ont historiquement utilisé la ville comme porte d’entrée pour faire des affaires en Chine continentale en partie en raison de sa proximité avec la deuxième économie mondiale et de son système juridique fiable basé sur le droit commun britannique. Le scénario idéal est de maintenir Hong Kong en tant que centre financier sans toutes les libertés. Mais la question est de savoir si Hong Kong peut maintenir son statut de place financière internationale sous un régime plus sécuritaire.

Les dirigeants de certaines entreprises ayant une forte présence à Hong Kong ont exprimé des préoccupations concernant les lois sur la sécurité nationale, ne voyant pas de bonne augure les pouvoirs étendus accordés aux autorités continentales. L’administration Biden a mis en garde contre le fait que les entreprises pourraient violer la loi sur la sécurité nationale vague sans s’en rendre compte. 

Certaines entreprises ont quitté la ville ou renforcent leurs effectifs dans d’autres métropoles telles que Singapour, Tokyo, et Dubai tandis que les actions de Hong Kong ont chuté depuis 2019 et que le marché des introductions en bourse de la région continue de décliner. Les entreprises de médias sociaux, en particulier, ont exprimé leur malaise à propos d’une partie de la loi qui les oblige à remettre les données utilisateurs au gouvernement de Hong Kong. Même TikTok, une application appartenant à l’entreprise basée sur le continent ByteDance, a suspendu ses opérations dans la ville.

Avez-vous quelque chose à ajouter ?

En dépit de ce tableau peu réjouissant, qui donne lieu parfois au China bashing dans les médias occidentaux, les Françaises et les Français qui résident à Hong Kong sont, dans l’ensemble, relativement satisfaits de leur vie ici. La ville offre un cadre et une qualité de vie assez exceptionnels. Après trois années de politiques anti-Covid très dures qui ont coupé la Chine, y compris Hong Kong et Macao, du reste du monde, nous profitons à plein de la liberté de mouvement retrouvée et des nombreuses activités culturelles offertes en cette année où la France et la Chine célèbrent les soixante ans de leurs relations diplomatiques qui mettent à l’honneur les échanges culturels et humains.

La visite de notre ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Stéphane Séjourne, à Pékin lundi, en amont de la visite du Président Xi Jinping en France, entérine des échanges plus étroits et une coopération renforcée entre Paris et Pékin. Comme l’ont indiqué les sujets abordés lors de ses rencontres avec le Premier ministre chinois Li Qiang et le ministre des Affaires étrangères Wang Yi, allant de l’économie et du commerce à la guerre en Ukraine, il existe des dissensions, mais aussi de nombreux problèmes sur lesquels les deux pays partagent un désir commun de coordination.

Emilie Tran-Sautedé

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