« Un bruit rauque et assourdissant qui vient des entrailles de la terre »

Pour la triste date d’anniversaire des tremblements de terre qui ont frappé le Sud Est de la Turquie, notre représentante sur place Belgin Ozdilmen, Conseillère des Français de l’étranger, a eu l’opportunité de s’entretenir avec Sylvie Fontana, rescapée de cet événement.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Née à Avignon (France) en 1972, je suis titulaire d’une licence en histoire ancienne de l’université de Haute-Alsace à Mulhouse, d’un master en archéologie et histoire de l’art de l’Université Marc Bloch de Strasbourg. J’ai participé à des fouilles archéologiques en France, en Syrie, au Liban, en Turquie et en Jordanie. En dehors de mes études, j’ai été bénévole dans une association à but non lucratif pour des personnes en phase terminale, secrétaire générale et superviseur de projets à la Délégation Régionale du Tourisme à Strasbourg pour le Ministère de la Culture et du Tourisme.

Depuis quand vivez vous en Turquie et pourquoi avez vous choisi de vous y installer ?

En 2006, je me suis installée à Gaziantep quand j’ai épousé mon mari, un archéologue turc de la région, tout en continuant de travailler pour le Deutsche Archäologische Institut à Damas jusqu’en 2008. Les années qui ont suivi, j’ai effectué des missions ponctuelles sur plusieurs sites archéologiques de Turquie avant de me “sédentariser” définitivement en 2015, date à laquelle j’entre au Département des Affaires Etrangères de la Municipalité Métropolitaine de Gaziantep en tant que chargé de projet.

Vous étiez à Gaziantep lorsque le tremblement de terre s’est déclenché. Pouvez-vous raconter ce terrible moment ?

D’abord ce sont des sensations : les mouvements violents de notre lit qui oscille de droite à gauche (il est un peu plus de 4h du matin), le bruit fracassant des jarres et verres qui se trouvent sur les étagères de notre cuisine et qui se brisent sur le sol carrelé, et un bruit rauque, assourdissant qui vient des entrailles de la terre. Je vois notre chat filer comme une trombe sous notre lit, terrorisé… Instinctivement mon mari et moi sautons sur nos pieds. Incroyable : c’est un tremblement de terre !

Après avoir été si souvent briffé par les services de sécurité de l’Ambassade sur les risques de séisme, on le voyait comme un mirage. C’est maintenant une réalité. On oublie en grande partie ce que la plaquette d’information dit à ce sujet sur le moment : j’ai attrapé mon mari par les épaules et nous nous sommes arc-boutés sous l’encadrement de la porte de notre chambre à coucher. Nous nous « ancrons » dans le sol pour ne pas tituber. La maison semble faire des va-et-vient. Deux secousses entrecoupées de quelques secondes. Les secousses, le bruit des objets qui continuent de tomber, tout semble durer des heures.

Nous ne voulons qu’une chose: c’est que cela cesse. Nous n’avons cependant jamais eu peur pour notre sécurité : nous habitons un bâtiment neuf, à 3 étages, installé directement sur le rocher, en plein centre de Gaziantep, approuvé par DASK. Une fois les secousses terminées, nous nous habillons rapidement avec ce que nous trouvons à portée de main, je prends mes papiers importants que j’ai toujours dans une sacoche, je mets mon chat dans son sac de transport, j’attrape les clés de la maison et nous sortons de l’appartement.

Nous croisons un de nos voisins qui frappent à chaque porte pour faire sortir les locataires. Les enfants cris leur terreur et sanglotent. Nous nous assurons que personnes n’est resté dans l’immeuble. Tous les voisins sont dehors, les plus âgés encore en vêtements de nuit, en chaussons, dans la neige. Nous prenons nos voisines les plus âgées dans notre voiture et rejoignons un espace découvert, le parc qui se trouve à deux rues de là. Pendant 5 heures, nous écoutons la radio, le moteur allumé pour rester au chaud. Quand tout semble s’être apaisé, nous retournons vers l’immeuble ; je franchis quatre à quatre les marches des escaliers, je rentre dans l’appartement sans vraiment regarder, saisi mon téléphone portable que j’avais oublié – rempli de messages bien sûr -, fourre un sac d’habits de rechanges et je ressors. Nos voisins feront de même.

Comment se sont déroulés les jours qui ont suivi pour vous et votre famille ? 

Ne parlons pas de ceux qui ont perdus la vie dans ce terrible tremblement de terre ou de ceux qui se sont retrouvés coincés sous les décombres pendant des heures, des jours… Ce n’est pas narrable. Certains sont restés dans leur voiture pendant des jours, sans chauffage, juste avec quelques couvertures, avec de jeunes enfants, sans accès à l’eau ou à des sanitaires décents, sans nourriture aussi parfois parce que bien sûr, les magasins étaient fermés.

Nous, nous avons eu de la chance. Quelques heures après le premier séisme, nous avons pu nous refugier sur le lieu de travail de mon mari. Nous y vivrons le deuxième séisme, à quelques heures d’intervalle du premier, mais le bâtiment est solide et nous avons passé le choc du premier séisme. Nous passerons 10 jours dans le bureau de mon mari. Avec notre chat ! Il était hors de question de se trouver ailleurs qu’à Gaziantep où mon mari a en outre de la famille, des connaissances.

De là, nous avons respectivement coordonné toute l’aide que nous pouvions apporter ; nous étions en mesure de le faire ; mon mari aux divers musées de la région, ceux de Kahramanmaraş et Hatay particulièrement touchés ; moi avec les services de la mairie ou simplement à répondre aux appels au secours de certaines personnes sur les réseaux sociaux ; cela allait de besoins simples mais importants comme des couches ou du lait pour bébés, des serviettes périodiques jusqu’à des choses plus volumineuses et souvent plus difficile à trouver comme l’envoi de tentes, d’habits chauds, de nourriture.

Car même si un grand nombre d’habitants de Gaziantep avait fui la ville dès le deuxième jour, une grande majorité des habitants n’avaient aucune famille vers qui se tourner. Les besoins étaient énormes et la détresse immense. Mais je dois dire que mise à part certains actes individuels condamnables, l’entraide a souvent été exemplaire. L’aide extérieure, tant nationale qu’internationale, a été quant à elle extraordinaire ! Après 10 jours, nous avons réintégré notre appartement, notre immeuble ayant été inspecté : à part des lézardes, il a bien tenu. Dans l’appartement, peu de dégâts finalement. Pas de chauffage car pas de gaz, des coupures d’eau mais il y a l’électricité. Nous avons repris respectivement un rythme de «travail régulier » deux semaines après le séisme. 

A ce jour, les habitants de Gaziantep ont-ils pu reprendre une vie normale ?

Pendant les mois qui ont suivis les tremblements de terre du 6 février, nous avions l’impression que les secousses étaient perpétuelles : il y a eu en effet beaucoup de répliques, phénomène tout à fait naturel, mais les « spasmes » étaient aussi dans nos corps. Etrangement, nous ressentions en permanence une impression de vertige, des sensations de secousses qui émanaient de tout notre être. Le corps traumatisé. La peur d’un autre séisme puissant était évidemment dans le cœur de chacun, la panique était dans les yeux de beaucoup quand une secousse se produisait. Cela a duré plusieurs mois.

Maintenant, tout cela est loin et en même temps ne l’est pas. Il n’y a pas une famille qui n’a pas été affectée par la perte d’un être proche ou d’une connaissance. Même si tout a été mis en place rapidement pour se relever de ce drame, les gravas des bâtiments détruits lors ou après le séisme sont toujours là, comme une cicatrice béante, un rappel à la vigilance… surtout à l’approche de la date anniversaire. Il y a encore une minorité de gens qui ne sont pas logés en dur, et qui vivent encore dans des tentes, d’autres qui ont quitté la ville et la région définitivement. Mais la vie reprend ses droits et il faut faire preuve de résilience. Dans les grandes lignes, on peut parler d’une reprise à la vie normale, mais plus d’une vie sans insouciance.  

Sylvie Fontana, rescapée du séisme en Turquie du 6 février 2023.

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