L’accord franco-algérien de 1968 fait parler de lui

Alors que l’Assemblée nationale rejetait, le 7 décembre, un texte présenté par Les Républicains visant à dénoncer l’accord franco-algérien de 1968, la Première ministre Elisabeth Borne a affirmé qu’une renégociation de cet accord était à l’ordre du jour. Ce dernier confère un statut particulier aux Algériens en matière de circulation, de séjour et d’emploi en France. L’ASFE fait le point avec Karim Dendene, Conseiller des Français de l’étranger dans la circonscription d’Alger.

Pourriez-vous commencer par rappeler en quoi consiste le statut particulier des Algériens en matière de circulation, de séjour et d’emploi en France ? 

Les algériens sont régis par un statut spécifique qui confère quelques avantages. Par exemple en matière d’établissement, un Algérien porteur d’un projet commercial ou artisanal n’a pas à prouver, préalablement à l’obtention du premier titre de séjour, la viabilité de son activité. Ce n’est pas le cas pour les étrangers relevant du droit commun (Ceseda). 

Les avantages de ce statut concernent aussi le regroupement familial. Les durées de titres de séjours sont plus longues, tandis que les délais pour être rejoint par la famille sont plus courts. Par exemple, un algérien établi en France peut être rejoint par sa famille au bout d’un an, contre 18 mois pour les autres nationalités. De plus, les membres de famille admis au séjour en France au titre du regroupement familial reçoivent un titre de séjour de même durée que celui de la personne qu’ils rejoignent.

De même, en dehors de toute vie privée ou familiale établie sur le territoire français, les ressortissants algériens peuvent solliciter un certificat de résidence de 10 ans après 3 ans de séjour, contre 5 ans dans le cadre du droit commun, sous condition de ressources suffisantes.

Pour autant, sur le terrain, l’application des textes n’est pas aussi évidente. Le consulat représente le premier verrou à lever en vue d’une installation en France. En tant que Conseiller des Français de l’étranger qui fréquente régulièrement les milieux consulaires, je peux vous assurer que chaque dossier de demande de visa, y compris pour de courts séjours, est scrupuleusement analysé et n’obtient pas toujours une suite favorable. C’est d’ailleurs un sujet de mécontentement régulier au sein de la population locale. Par ailleurs, il est important de rappeler que les accords de 1968 n’apportent pas que des avantages. 

Ce statut a-t-il évolué depuis les accords de 1968 ? 

Avant 1968, la circulation des Algériens était régie par les Accords d’Evian. Cela consistait en une liberté totale de circulation et de résidence en France. Les Accords de 1968 sont venus restreindre cette liberté, suivis de 3 avenants qui, chacun, ont apporté leur lot de restrictions. Par exemple, l’avenant de 1985 instaure pour la première fois une obligation de visas pour les Algériens souhaitant séjourner en France. Présenté en France comme une évolution favorable, l’accord de 1968 inaugurait en réalité une succession de restrictions.      

Pourquoi fait-il aujourd’hui débat en France ?  

Je ne sais pas. Lorsqu’on écoute certains débats en France, on a le sentiment que les Algériens seraient libres d’y circuler et de s’y établir comme bon leur semble. Or, comme indiqué précédemment, le plus souvent ce n’est pas le cas. 

Le désaccord franco-algérien sur la question des OQTF pourrait-il en être la raison ?

C’est possible. Toujours est-il que s’il y a autant d’OQTF visant des Algériens en France, c’est qu’il n’est pas si aisé pour eux de s’y installer, comme le prétendent certains médias.  

Quelle est votre position sur le texte présenté par Les Républicains visant à dénoncer l’accord franco-algérien de 1968 ?

Mon analyse diffère de celle du parti auquel j’appartiens, Horizons, qui a soutenu l’initiative des LR. Selon certains juristes, une dénonciation de l’accord de 1968 ne pourrait aboutir qu’à un retour à une simple application des Accords d’Evian et donc, de toutes les libertés qu’ils octroyaient avant 1968. C’est précisément l’effet inverse recherché par les LR !

En effet, les accords d’Evian n’ont jamais été annulés. Et l’accord de 1968 y est clairement adossé puisqu’il s’inscrit “dans le cadre de la déclaration de principe des Accords d’Évian”. Il serait donc faux de penser qu’une dénonciation de l’accord de 1968 aboutirait à l’application du droit commun (Ceseda) aux ressortissants Algériens, comme semblent le penser les Républicains. Un retour au droit commun pour les Algériens ne peut passer que par l’annulation préalable des Accords d’Evian, ce qui à mon sens n’est pas souhaitable. En tant que franco-algérien, je pense qu’il faudrait même veiller à une meilleure et stricte application desdits accords, dans différents domaines, dans l’intérêt des deux pays. D’ailleurs vous m’interrogiez il y a quelques semaines sur l’ouverture d’établissement scolaires en Algérie. La réponse se trouve dans ces accords, mais c’est un autre sujet.      

Cette soudaine mise sur le devant de la scène peut-elle nuire à la relation entre Paris et Alger ?

À l’évidence, vu d’Alger, l’appel à une dénonciation de l’Accord de 1968 fait grincer des dents. Selon Elisabeth Borne, il semblerait que l’Algérie pourrait être favorable à une renégociation de l’accord – ce qui me paraît plausible – comme cela a été le cas à trois reprises par le passé. 

En cas de révision de l’accord, quelles seraient les demandes respectives des deux parties ? 

Personne ne le sait véritablement à ce stade. Toutefois, côté algérien, la levée de restrictions sur l’autorisation du nombre d’heures travaillées par les étudiants établis en France est attendue, dans la mesure où leur statut est moins favorable que celui des autres nationalités. Je le répète, l’accord de 1968 ne confère pas que des avantages aux Algériens. Il est à noter, par exemple, que certains titres de séjours ouverts à toutes les nationalités, ne le sont pas aux ressortissants d’Algérie. C’est le cas entre autres du Passeport talent. 

Vous souhaitez ajouter quelque chose ?

Simplement rappeler mon point de vue : dénonciation non. Renégociation, certainement !

Karim Dendene, Conseiller des Français de l’étranger dans la circonscription d’Alger.

2 commentaires

  1. Bonjour, juste une précision
    Pour les personnes nées avant l’indépendance de l’Algérie sur le territoire chérifien sous protectorat français sont elles considérées de droit commun ou local,vu que leurs actes d’état civil et copie intégrale sont transcrits et conservés au SCEC de Nantes avec mention française
    Cordialement

  2. Un scandale social cet accord 68.
    Une seule raison : la priorité pour acheter pétrole et phosphates (~> engrais pour ligneux).
    On a payé trop cher pour l’Algerie… abandonnée, à des gens qui d’une part coulent leur société d’origine au profit de clans bien familiaux (export de compétences et placement de l’argent dans des boutiques prétextes),
    D’autre part jouent les victimes perpétuelles de la colonisation pour masquer leurs sauvages règlements de comptes internes .
    Maintenir un sentiment de culpabilité est une technique connue de manipulation.
    J’espère que les nouvelles générations de Français cesseront de se laisser abuser par ces méthodes honteuses et malhonnêtes.

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