« La société argentine a un seuil de tolérance de plus en plus bas »

En Argentine, le second tour de l’élection présidentielle se fera entre Javier Milei, admirateur de Trump et Bolsonaro, et Sergio Massa, ministre de l’économie sortant. L’ASFE s’est entretenue avec Christophe Dubois, Conseiller des Français d’Argentine, pour en savoir plus sur la situation actuelle.

Sergio Massa, membre du gouvernement sortant, est arrivé en tête du premier tour avec 36,7 % des voix. Javier Milei, climatosceptique et ultralibéral, a atteint l’étonnant score de 30 %. Comment expliquez-vous cette percée de ce candidat ? Ces résultats sont-ils surprenants ?

La percée de Javier Milei peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Tout d’abord, Milei est un candidat ultralibéral qui a attiré un segment de l’électorat argentin qui est favorable aux politiques économiques néolibérales, y compris la dolarisation de l’économie. Sa rhétorique anti-establishment et sa position en faveur d’un changement radical ont suscité l’intérêt de ceux qui sont mécontents de la situation économique et politique actuelle en Argentine. De plus, la société argentine a un seuil de tolérance de plus en plus bas concernant la situation économique difficile, ce qui peut expliquer pourquoi un candidat comme Milei a réussi à obtenir un score élevé.

Il peut paraître étonnant de voir dans les candidats pour la présidence au second tour un ministre d’une économie surendettée. Comment expliquez-vous le succès de Sergio Massa ? Comment se situe t-il sur l’échiquier politique ?

Sergio Massa a remporté la première place aux élections générales, ce qui était inattendu et allait à l’encontre de la plupart des pronostics, étant lui-même le ministre de l’Économie d’un pays au bord du défaut de paiement et de l’hyperinflation.

Son succès a été d’autant plus significatif que l’opposition était divisée et qu’il s’est montré comme un rempart contre le changement demandé par Milei et l’ordre voulu par Bullrich dans un pays où plus de la moitié des citoyens dépend de l’Etat en tant que fonctionnaires ou bénéficiaires de plans sociaux et ont peur que l’on touche à leurs acquis sociaux.

Sergio Massa a bénéficié d’une augmentation significative de la participation électorale, passant de 70 % aux primaires à 78 % lors des élections générales, surtout du côté de la banlieue de Buenos Aires où sont concentrés les quartiers pauvres et qui ont de tout temps été un bastion du péronisme. Néanmoins le péronisme, unifié derrière un seul candidat, a obtenu l’une des pires performances lors d’élections présidentielles. Cela indique que le péronisme est confronté à des défis importants en termes de mobilisation électorale.

Enfin, le succès de Sergio Massa et du péronisme s’est aussi axé sur des mesures à court terme : il a mis en œuvre un « plan platita » comprenant des mesures d’urgence telles que des remboursements d’achats, des aides financières pour les travailleurs et des accords de prix pour atténuer les effets de la dévaluation et de l’inflation. Ces mesures ont couté 1,5% du PBI dans un pays en déficit fiscal chronique et qui ne génère plus de croissance depuis 20 ans. Ce n’est donc plus l’économie mais la poche des électeurs au jour le jour qui compte au moment de choisir…

Le gouvernement argentin semble avoir beaucoup de difficultés à maitriser la hausse de l’inflation qui dépasse 100 % depuis le début de l’année 2023. Face à ça, Javier Milei propose notamment de dollariser toute l’économie du pays et de brûler la banque centrale. Comment s’explique cette inflation incontrôlable ?

L’inflation est principalement le résultat de l’utilisation incontrôlée de la planche à billets et de la Banque Centrale . La masse monétaire énorme est déversée en plans sociaux qu’il est pratiquement impossible de diminuer sans avoir une politique budgétaire stricte, ce que propose Milei en la brulant… Cette masse influe évidemment sur la monnaie locale (contrôle des changes, fermeture des importations), l’inflation, la politique monétaire et fiscale, la dette élevée et la faible confiance des investisseurs. La proposition de Javier Milei de mettre le feu à la banque centrale et de dollariser l’économie vise à stabiliser l’économie en utilisant une devise étrangère, mais elle comporte également des risques et des conséquences économiques importantes surtout pour les plus vulnérables.

Quels sont vos pronostics pour le second tour ?

Les deux candidats Massa et Milei vont aller chercher les votes du centre laissé vacant par l’implosion du parti de Patricia Bullrich, Juntos por el Cambio : le chemin à parcourir par Milei est plus long …

Avez-vous autre chose à ajouter ?

Je reste profondément étonné que la corruption ne soit pas un sujet qui ait mobilisé les débats alors que de très importants scandales d’enrichissement injustifiés ont éclaté en pleine campagne.

Venant d’un pays laïc comme la France, je suis également étonné de l’implication du Pape argentin et de l’église catholique dans ces moments décisifs.

Quoi qu’il en soit, cela souligne le défi que le prochain gouvernement devra relever pour gérer l’agenda économique complexe du pays, en particulier compte tenu de la faiblesse du soutien parlementaire : le parti de Massa et celui de Milei n’ont pas une majorité parlementaire solide, ce qui complique la prise de décisions importantes. Ce qui peut être aussi un rempart contre les tentations autoritaires…

Christophe Dubois – Conseiller des Français d’Argentine

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