Séisme : une organisation marocaine millimétrée

Caryl Gervereau, conseiller des Français de l’étranger et président du conseil consulaire de la circonscription de Marrakech, fait un point de situation dix jours après le tremblement de terre qui a touché la province d’Al Haouz au Maroc. Le bilan à ce jour est d’environ 3000 morts et 5530 blessés.

Quelle est la situation aujourd’hui à Marrakech et dans les zones rurales de la province d’Al Haouz ? 

La ville de Marrakech présente deux visages. Il y a, d’un côté, la ville moderne qui n’a quasiment pas enregistré de dégâts. Les experts sont déjà passés dans tous les immeubles pour déterminer s’ils étaient habitables ou pas. Des associations d’anciens élèves des ponts et chaussées se sont regroupées et ont permis de réaliser des analyses plus rapides des bâtiments pour déterminer si on pouvait y entrer ou non. Ce qui a permis de faire la différence et de réaliser tout cela en quelques jours, c’est aussi le fait que tout fonctionne : il n’y a pas eu de coupure d’électricité, d’eau ou d’Internet.  

De l’autre, il y a la médina. Quelques maisons se sont effondrées, plusieurs familles ont été regroupées sur la Place des Ferblantiers et dorment là, dans des tentes, en attendant d’être relogées. Le quartier le plus abîmé est celui du Mellah, l’ancien quartier juif. Plusieurs petites zones sont ainsi complètement fermées à la circulation, mais elles sont suffisamment restreintes pour que cela n’impacte pas le quotidien. D’autant que tout a déjà été nettoyé et déblayé. Si des analyses restent à faire, la vie a repris ses droits.  

Dans les zones rurales, c’est plus catastrophique. Certains villages ont été totalement détruits par le séisme, d’autres ont été fermés en raison des risques d’épidémies. On ne peut s’y rendre qu’avec des masques, les autorités sont extrêmement vigilantes. Dans les villages moins abimés, on est en phase d’analyse pour répertorier les constructions qui ont tenu et celles qui ont été détruites. On y trouve des constructions en pisé, des constructions en dur et des constructions mixtes.    

L’objectif des autorités est de reconstruire rapidement, avant l’arrivée de l’hiver, pour permettre aux populations locales de rester vivre à la montagne. Autrement, elles devront rejoindre les grandes villes, où le taux de chômage et l’inflation sont plus importants.      

Que pensez-vous de la gestion de cette catastrophe par les autorités locales ?   

Le Maroc a vraiment pris les choses en main avec une maestria rare. Si certains médias ont reproché au Maroc un manque de performance et de technicité, ce n’est pas du tout le cas. L’armée a fait son travail. En attendant que le génie militaire ait dégagé les routes, des convois de mulets ont permis d’accéder aux villages.

Tout s’organise autour d’un camp de base qui s’occupe de plusieurs petits villages alentours et dans lequel sont regroupés les denrées et le dispensaire. Les habitants des villages alentours sont répartis dans des îlots de 3 ou 4 tentes de la Sécurité nationale. Un responsable d’îlot est désigné et assure le lien avec le camp de base, où il est le seul autorisé à entrer, pour récupérer les denrées dont son îlot a besoin. Ces denrées sont ensuite convoyées à dos de mulet. C’est donc extrêmement bien organisé puisque cela permet d’agir très profondément dans la montagne, auprès des villages les plus inaccessibles.  

« Le Maroc est déjà en phase de reconstruction »  

Il y a quelques jours, j’ai eu l’occasion d’accompagner sur le terrain, dans le village de Toulkine, une association d’architectes désignée par le gouvernement. Il y avait également des géologues et un laboratoire pour étudier les matériaux. Aujourd’hui, le Maroc est déjà en phase de reconstruction. Ce séisme sera peut-être même l’occasion d’améliorer la vie dans certains villages qui avaient été délaissés jusqu’ici.  

Il est d’ailleurs prévu d’enseigner aux villageois la manière de construire leur maison en pisé dans le respect des normes antisismiques : comment réaliser des compressions de pisé adéquates, comment préparer les piliers etc… L’objectif étant de reconstruire dans le respect du patrimoine locale et des normes de sécurité.    

Dans quel état d’esprit est la population marocaine ?  

C’est assez impressionnant. Les marocains disent “maktoub”, c’est le destin. Ils sont donc toujours aussi souriants et vous accueillent avec le thé, les gâteaux et le couscous, même quand ils n’ont plus rien. Dans le village où j’étais il y a quelques jours, à partir du moment où ils sont installés au chaud et disposent de ce qu’il faut pour se faire à manger, ils sont contents. Ils ont confiance en leur roi, en l’état, en l’armée et en les secours qui ont été mis en place.  

Même si les Marocains sont marqués et choqués, ils sont sereins et la solidarité est impressionnante. Ce n’est pas pour rien que le Maroc a été désigné récemment comme étant le pays le plus solidaire du monde. Au moindre problème, il suffit de s’adresser à son voisin.  

Le coût des dégâts matériels a été estimé entre 1 et 10 milliards de dollars par l’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS). Comment le gouvernement marocain prévoit-il d’y faire face ?  

La pierre angulaire, c’est le fond spécial n°126 mis en place à cet effet et abondé par de nombreux contributeurs : le roi, les grandes entreprises nationales et les citoyens marocains, auxquels s’ajoute la solidarité internationale, avec les dons de la diaspora et le prêt du FMI. Ici, personne ne s’inquiète d’un manque de fonds.      

Concrètement, de quoi le Maroc a-t-il besoin et comment la France et les Français peuvent -ils aider?

Le Maroc n’a pas formulé de besoins particuliers. Mais un soutien financier pour sa reconstruction ne peut être que bienvenu. Il se trouve que le budget de la France sera voté dans quelques semaines à l’Assemblée nationale. Karim Ben Cheikh, président du groupe d’amitié France-Maroc à l’Assemblée, également membre de la Commission des Finances, a lancé un appel transpartisan pour qu’un budget ambitieux soit consacré, dans le prochain projet de loi de finances, pour la reconstruction post séisme au Maroc.  

Pour ceux qui souhaitent aider depuis la France avec des dons en nature, il est recommandé de passer par une association en France dans un premier temps. Ces associations, après un premier tri, transmettront les dons à une association marocaine qui les redirigera ensuite vers la Fondation Mohamed V. Il est important de noter que les envois spontanés de particuliers peuvent créer des complications.

Il ne faut pas hésiter à se rapprocher des associations locales, mosquées, églises qui ont élaboré les premiers circuits. Parmi les associations recommandées pour les dons : le Croissant rouge, Médecins sans frontière ou encore Solidarité laïque.

Ces associations et ONG conseillent d’envoyer essentiellement des denrées non périssables, comme des céréales et des légumineuses (lentilles, haricots, pois chiches, pois cassés). Il y aura aussi besoin de chauffages.

Quelle mobilisation de la communauté française locale à la suite du séisme ?  

Nous sommes toutes et tous totalement investis, qu’il s’agisse de dons financiers ou d’aider sur le terrain. Tous les lycées français à travers le Maroc ont lancé des appels aux dons et sont devenus des points de collecte. Le lycée de Marrakech s’est transformé, dans les jours qui ont suivi le séisme, en un lieu d’hébergement, y compris pour le Consul Général de France qui a vu sa résidence détruite.

D’après le dernier bilan, quatre français figurent parmi les victimes. Quelle a été la réponse consulaire dans les premières heures qui ont suivi le séisme ?  

Il faut déjà préciser que le consulat de Marrakech a été épargné par le séisme. Seule la résidence du Consul a été touchée. Dans les premières heures, le consulat a créé une cellule de crise, avec un numéro de téléphone pour permettre à la communauté française de joindre les agents. Très vite, la gestion de crise a été basculée à l’ambassade de France à Rabat, avant d’être centralisée au Centre de crise à Paris. Tous les îlotiers ont ainsi parfaitement joué leur rôle ; le tout, dans des délais très courts.  

Caryl Gervereau, Conseiller des Français de l’étranger

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