« Ce ballon, dont on ne maîtrise pas toujours les rebonds, a changé ma vie »

Ancien joueur international français de rugby à XV, Serge Betsen a terminé sa carrière de joueur auprès d’un club anglais. Il était très récemment encore entraîneur de la défense à Rouen et réside maintenant à nouveau en Angleterre, pays créateur du rugby et meilleur ennemi du XV de France. A quelques heures du début de la Coupe du Monde de rugby organisée en France, Serge Betsen témoigne.

Pourquoi avez-vous choisi de résider en Angleterre et comment vivez-vous ce double attachement Franco-anglais ?

Le choix de l’Angleterre n’a pas été spontané, c’est d’abord un concours de circonstances, des rencontres et des amitiés qui m’ont amené à vouloir rejoindre ce pays. Des joueurs 100% anglais comme Richard Pool-Jones ou Maurice Fitzgerald avec qui j’ai joué au Biarritz Olympique m’ont encouragé et accompagné.

Ça a aussi été un déclic sportif. J’ai joué deux coupes du Monde, dans les deux nous avons perdu contre l’Angleterre en demi-finale. J’ai voulu comprendre la différence culturelle et de pratique sportive. Après la coupe du Monde de 2007, j’ai eu des contacts avec plusieurs clubs, j’en ai parlé avec Raphaël Ibanez qui jouait déjà aux London Wasps et je l’ai rejoint. Ma famille s’est installée à Londres. Ce déménagement, c’est un aventure sportive, familiale et culturelle.

J’ai changé d’univers culturel en regardant le rugby anglais. C’est bien de pouvoir vivre son sport dans d’autres cultures, on ne parle pas la même langue, on ne le pratique pas de la même manière mais on a le même sport et les mêmes valeurs.

Vous avez créé il y a presque 20 ans, la Serge Betsen Academy, cette association humanitaire qui vient en aide aux enfants défavorisés du Cameroun et du Mali. Pouvez-vous nous en parler davantage ?

Ce ballon dont on ne maîtrise pas toujours les rebonds a changé ma vie. J’ai voulu qu’il en change d’autres. J’ai commencé par le pays qui m’a vu naître. L’ADN de la Serge Betsen Academy est un esprit de partage, d’entraide, de soutien mutuel.

Tous les ans, ce sont plus de 500 enfants qui ont accès à l’éducation et à la santé par le sport. C’est également l’opportunité de les voir découvrir ce sport et de s’y attacher. Quand la famille n’a pas la possibilité de payer la scolarité des enfants ou les soins médicaux, c’est l’asso’ qui prend le relais. Grâce à notre soutien, les enfants scolarisés bénéficient d’un suivi scolaire renforcé. Au Cameroun, nous avons créé 5 antennes, et une au Mali. Chacune de ces six antennes est indépendante avec un responsable local. Dans mes voyages, je suis toujours surpris de rencontrer quelqu’un qui a pratiqué ce beau sport et qui veut rendre service.

En 2013, j’ai également créé l’association des French Legends, qui rassemble d’anciens professionnels du rugby pour faire des matchs caritatifs. Nous allons mener plusieurs actions autour des matchs de l’équipe de France à Givors et à Prades dans le cadre de la Coupe du monde qui commence demain.

Je veux aussi parler de l’association Recycling Rugby, dans laquelle on recycle des ballons de rugby en sac, trousse d’écolier, trousse de toilette, etc. L’idée c’est que le ballon soit recyclé en entier. Le rugby soutient aussi la protection de l’environnement et de la planète.

Vous utilisez le rugby comme vecteur d’éducation et de santé. Diriez-vous que c’est un sport universel ? Quelles différences voyez-vous entre votre pratique en France, en Angleterre et ce que vous transmettez aujourd’hui en Afrique ? 

C’est ce qui est le plus intéressant dans mon parcours : la variété de mes expériences, dans l’espace mais aussi dans le temps. Il faut se remettre 35 ans en arrière, lorsqu’on me propose par hasard de découvrir le rugby à Clichy. Ce sport est devenu mon passeport. Il m’a fait voyager de Paris à Biarritz et de Biarritz à Londres.

En France, ce sport est dans les clubs, pas à l’école. Aujourd’hui, on parle de professionnalisme, mais ma génération était d’abord une génération d’amateurs. Ça a commencé par le fait d’avoir des amis avec qui le faire, c’est d’abord social. Je suis allé au Pays Basque parce que mes éducateurs à Paris venaient de là.

Je suis devenu professionnel en 1996. On rêvait tous du haut niveau et d’être dans la première génération vraiment professionnelle. La transition n’a pas été facile mais l’objectif était beaucoup plus clair. La passion a dépassé la raison et j’ai cultivé mon envie de jouer et de faire du haut niveau.

En jouant dans un club anglais, je me suis donné la chance de découvrir une nouvelle culture et de grandir encore. En vivant avec les Anglais, on se rend compte de la différence culturelle, de la mentalité sportive en Angleterre. Il y a une ferveur incroyable. Le rugby est un sport de gentleman, il est intégré au parcours scolaire très tôt.

Dans tous les pays, le rugby permet un mélange des origines, des genres. Comme le disait Nelson Mandela : “Le sport a le pouvoir de changer le monde. Il a le pouvoir d’unir les gens d’une manière quasi-unique.”.

On constate depuis peu un nombre croissant de pays “non-traditionnels” qui investissent la scène internationale du rugby à l’exemple de la Géorgie. Quel regard portez-vous sur cette dynamique ? Comment la renforcer ?

C’est l’exemple même de ce que j’ai vécu. A Clichy la Garenne, j’ai joué avec mes copains avant de savoir quoi que ce soit de leurs origines. C’est avant tout une rencontre sur un terrain avec un ballon ovale. Je n’ai su qu’ils étaient d’Espagne, du Portugal, du Sri Lanka, de Tunisie, du Vietnam ou du Pays Basque que des mois plus tard.

L’ouverture à d’autres pays, c’est l’évolution normale du rugby. Il faut le cultiver pour rassembler et mélanger les cultures.

Le rugby est un sport aux règles complexes. Un conseil pour nos concitoyens néophytes qui vont suivre la Coupe du Monde sur leur écran ?

Pour moi, c’est un sport social, c’est d’abord l’ambiance dans le stade et dans le pub qui touche et intéresse. La proximité et la fraternité des supporters qui sont l’un contre l’autre et s’unissent pour le rugby, c’est ce qui est rare et précieux. C’est d’abord ça, avant la règle.

Après, il y a beaucoup de règles, il ne faut pas hésiter à poser des questions, il y a toujours un passionné qui sera heureux d’expliquer. Le sport met souvent en place de nouvelles règles. Il faudrait que ça soit plus facile pour ceux qui découvrent ce sport, que ça soit plus accessible avec une continuité dans les règles et un ajout moins régulier. Mais l’atmosphère amène déjà beaucoup de gens au rugby.

Pour finir, vos pronostics pour cette dernière question ?

Il va falloir parier sur les équipes leader. En numéro 1, l’Afrique du Sud, tenant du titre bien sûr. Ensuite la Nouvelle Zélande même si elle vit quelques jours difficiles. Et enfin, la France et l’Irlande. J’espère que la France va être championne du monde pour cette 10e édition.

Serge Betsen – Ancien joueur international français de rugby à XV.

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