La stratégie du « charcutage électoral »

Il existe en anglais un terme spécifique pour parler de « charcutage électoral » : le « gerrymandering », du nom d’un gouverneur du Massachussetts, accusé au début du XIXème siècle d’avoir redécoupé les circonscriptions en faveur de son parti. La Cour Suprême des États-Unis, un peu plus d’un an après son arrêt Roe v. Wade relatif au statut du droit à l’avortement, vient de rendre un arrêt essentiel pour l’avenir de la démocratie américaine, dans un cas qualifié par certains juges du plus important dans l’histoire de la démocratie US : Moore v. Harper.

A l’origine de cette affaire, un redécoupage de districts réalisé en Caroline du Nord en 2021, décidé par le corps législatif au niveau local et extrêmement favorable au parti républicain. Celui-ci aboutissait à faire gagner 10 sièges aux républicains contre 4 aux démocrates. En effet la géographie, en fonction des populations, les quartiers et les villes incluses ou non dans une circonscription, peuvent totalement changer les résultats d’un scrutin.

De fait, le soupçon de partisanisme plane sur chaque redécoupage électoral. D’ailleurs Nicolas Sarkozy avait été accusé d’avoir inventé les circonscriptions des députés des Français de l’étranger pour favoriser l’élection de députés UMP. C’était bien entendu avant l’invention d’En Marche, et la large adéquation de l’orientation du Président de la République avec les caractéristiques sociologiques des Français de l’étranger, qui en font une terre d’élection tout à fait favorable au camp présidentiel.

Mais revenons aux États-Unis. La Cour Suprême de Caroline du Nord avait annulé le redécoupage électoral, le juge ayant estimé qu’il portait atteinte à la liberté d’élection garantie par la Constitution de Caroline du Nord. La Cour Suprême des États-Unis devait trancher le fait de savoir si la Cour Suprême de Caroline du Nord avait ou non le pouvoir de se prononcer. Pour ceux défendant une réponse négative à cette question, l’argument avancé était celui de la « théorie de la législature indépendante de l’État » (independent state legislature theory), prônant une grande liberté des États pour régler les questions électorales, bloquant tout pouvoir de décision des juges sur les questions électorales fédérales.

Alors que la Cour Suprême des États-Unis est désormais composée dans sa majorité de tenants du courant « originaliste » – c’est-à-dire, le fait de revenir à une lecture stricte du texte de la Constitution – elle a pourtant rejeté cette théorie par 6 voix contre 3. De l’avoir acceptée, les conséquences auraient été immenses, rendant tout redécoupage électoral, mais aussi toute restriction ou liberté liée aux conditions de vote, totalement dépendante des gouvernements locaux. Une véritable remise en cause sur le moyen-terme de l’unité politique des États-Unis, à laquelle nous avons échappé cette semaine.

L’équipe de l’ASFE

2 commentaires

  1. Merci pour cette analyse fort éclairante.
    Bien qu’habitant en Italie, je lis quotidiennement les commentaires d’Heather Cox Richardson, une universitaire américaine qui enseigne le droit constitutionnel et publie « letters from an american » sur le net.
    Elle est très préoccupée par les atteintes à la démocratie qu’elle remet en perspective avec l’histoire constitutionnelle des Etats-Unis. Ces atteintes, connaissent un regain de tension provoqué par les prises de position extrêmes (anti-avortement, négation des droits civiques aux minorités ethniques immigrées non anglo saxones… etc) au sein du parti Républicain avec pour catalyseurs: Donald TRUMP mais aussi certains sénateurs et gouverneurs ultra conservateurs comme Ron De Santis en Floride. L’assaut du Capitol après l’élection de Joe Biden n’est qu’un épiphénomène qui révèle un malaise plus profond au sein de l’Amérique rurale. Les américains, démocrates ou républicains, n’ont jamais été des enfants de cœur notamment dans leurs rapports avec leurs alliés non anglo-saxons (voir les préventions du Général De Gaulle à leur égard et les conséquences sur sa perception de la faiblesse en géo-politique), mais ils assument tout de même le leadership du monde libre. Si jamais ils devaient basculer du côté des dictatures, l’Europe serait bien avisée de se constituer en une réelle force indépendante: économiquement, militairement, technologiquement, industriellement… Si elle reste ascendance « agneau bêlant », elle se fera dévorer par les loups de la planète et ce ne sera pas une fable.
    JMC

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