L’adhésion de la Finlande et la Suède à l’OTAN : une nouvelle ère politique

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Le mercredi 18 mai, la Finlande et la Suède ont déposé une demande d’adhésion à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), des demandes motivées par la guerre en Ukraine. L’équipe de l’ASFE s’est entretenue avec Marie-Zoé Belon Laitinen, Vice-Présidente de la Chambre de commerce franco-finlandaise et représentante ASFE en Finlande et Romain Prioux, directeur de la Chambre de commerce franco-suédoise à Stockholm. 

Ces deux pays, voisins nordiques, s’apprêtent donc à tourner la page de décennies de non-alignement militaire, pensez-vous que la guerre en Ukraine soit la cause unique de ce revirement ?

Marie-Zoé : Je ne dirais pas qu’il s’agit d’un revirement mais plutôt d’une évolution qui était sous-jacente en Finlande depuis le début de l’annexion de la Crimée. En tant que membre de l’Union européenne depuis 1995, la Finlande soutient les sanctions économiques contre la Russie mais n’a pas les moyens de se prémunir militairement contre elle. Le passé et la proximité avec la Russie, notamment commerciale ne sont pas anodins non plus. 

Romain : Oui, la question de l’adhésion à l’OTAN est souvent revenue ces dernières années en Suède. Schématiquement, les partis conservateurs y sont favorables alors que le parti socio-démocrate y était fortement opposé. Il y a encore deux ans, Peter Hultqvist, ministre de la Défense, disait que tant qu’un gouvernement socio-démocrate était au pouvoir, la Suède n’entrerait pas dans l’OTAN. La demande d’adhésion de la Finlande a aussi contribué à décider la Suède. Je ne suis pas certain que nous aurions entamé cette démarche sans la Finlande. 

Quelles sont les conséquences de ces demandes d’intégration pour ces deux pays sachant qu’ils font déjà partie de l’Union européenne et que cette adhésion intègre déjà certaines clauses militaires ?

Marie-Zoé : Oui, l’alinéa 7 de l’article 42 du Traité de Lisbonne prévoit une clause d’aide et d’assistance en cas d’agression armée d’un pays membre de l’Union européenne sur son territoire. La France l’a activée après les attentats de Paris en 2016 pour redéployer ses forces et renforcer la coopération mais cela n’a rien de contraignant pour les autres membres. En Finlande, les conséquences de la demande d’adhésion à l’OTAN sont plutôt économiques et énergétiques. La centrale nucléaire de Hanhikivi devait être livrée par FennoVoima, un consortium russo-finlandais réunissant un fournisseur d’électricité finlandais, Fortum et un fournisseur d’énergie russe, Rosatom. Le but était de sortir de la dépendance au pétrole russe non raffiné et de diversifier ses importations car la raffinerie est une des activités économiques importantes du pays. Concernant le gaz russe, Gazprom a stoppé ces exportations vers la Finlande quand cette dernière a refusé de le payer en rouble. Le gaz naturel représente entre 5 à 8% du mix énergétique finlandais mais plus de 90% de celui-ci vient de la Russie. 

Romain : Cette demande conjointe met surtout fin au flou qui persistait sur la question en Suède. La politique de non-alignement a longtemps été préférée mais tout en prévoyant que les pays européens ou l’aide internationale leur parviendrait notamment avec l’OTAN. C’est un des reproches qui était fait à la Suède : son ambiguïté sur le sujet. D’autant plus que militairement, la coopération avec d’autres acteurs de l’alliance est déjà effective. L’armée suédoise s’est par exemple jointe à la France au Mali dans le cadre de l’opération Takuba. De plus, la Suède et la Finlande ont déjà des accords de coopération militaire. On a l’habitude de dire que la Suède possède l’aviation et la Finlande la marine. Ce n’est donc pas un grand bouleversement opérationnel, car cela accentuera une coopération déjà existante mais politiquement c’est une nouvelle ère. 

Quel est aujourd’hui l’état d’esprit des Finlandais et des Suédois face à cette demande ?

Marie-Zoé : C’est une question de génération. Les personnes qui ont vécu l’historique des relations tendues avec la Russie, notamment la phase d’industrialisation forcée du pays pour rembourser la dette de guerre à la Russie, alors URSS, sont inquiets depuis l’annexion de la Crimée et encore plus depuis le début de l’année. Ils craignent les conséquences que l’adhésion de l’OTAN pourrait entrainer sur la politique de la Russie à leur égard, comme durant la seconde guerre mondiale. Le plus jeunes, notamment la génération Erasmus avec de nombreux couples mixtes, très présents en Finlande, sont plus favorables et trouvent cela logique dans la situation actuelle. Les Finlandais sont très imprégnés de la culture économique américaine qu’ils apprécient et regardent souvent comme modèle de développement idéal ce qui a pu être un facteur favorable.

Romain : Les Suédois sont plus réservés que les Finlandais. Ils y sont globalement favorables, mais les deux demandes d’adhésion sont liées. Il était important que la Finlande fasse sa demande pour que la Suède s’engage. C’est aussi une question de générations. Le non-alignement était une politique tenue post-guerre mondiale et le budget de la défense était alors significatif. Aujourd’hui, il ne permet plus à la Suède de se défendre toute seule. La peur n’est pas tant celle de l’invasion car les images de l’invasion de l’Ukraine ont aussi démontré les difficultés de l’armée russe mais des avions russes violent régulièrement l’espace aérien de la Suède. C’est donc plutôt la question du nucléaire et des bombardements qui prédominent. Pour exemple, le téléchargement d’un petit fascicule en cas de guerre ou de catastrophe naturelle créé par le gouvernement suédois a été exponentiel depuis le mois de Janvier et certains ont fait des provisions.   

A la suite de ces rapprochements, le géant russe Gazprom a décidé d’arrêter ses livraisons de gaz naturel à la Finlande, appréhendez-vous de potentielles autres sanctions ?

Marie-Zoé : L’arrêt de la livraison du gaz naturel est symbolique pour la Finlande mais pas inquiétante, hormis l’incertitude du projet de la centrale nucléaire de Hanhikivi qui ne sera pas livrée par FennoVoima, le consortium russo-finlandais. Plus inquiétant est l’arrêt de la livraison de pétrole brut dont la Finlande se sert pour ses activités de pétrochimie, notamment Neste. Cette grande multinationale finlandaise est détenue à 50,1 % par l’État finlandais, la partie restante étant cotée à la bourse d’Helsinki (indice boursier OMX Helsinki 25). En 2017, le chiffre d’affaires de Neste s’est établi à plus 3,6 milliards d’euros.

Mais l’essentiel du dynamisme économique finlandais se répartit entre le secteur minier, les industries du bois et de la pâte à papier, la métallurgie, les télécommunications et les énergies renouvelables. L’économie digitale avec les nouvelles technologies, les jeux vidéo, le stockage de données prennent désormais également une part prépondérante de son activité. 

Romain :  La Suède n’est pas du tout dépendante du gaz russe. Si 50% du gaz est russe, celui-ci ne représente que 1% du mix énergétique en Suède. L’inflation fait augmenter les prix en général mais le premier partenaire commercial de la Suède reste l’Union européenne et l’Allemagne en particulier. Au contraire, la Suède et la Russie sont tous deux des pays producteurs de bois et exportateur de minerais. Cela peut favoriser la Suède sur les marchés d’autant plus avec les sanctions contre la Russie. 

Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Marie-Zoé : La Finlande a maintenant franchi un cap en déposant sa demande d’adhésion à l’OTAN. Elle affirme ainsi sa volonté d’adhérer à des principes européens de liberté, de respect du droit et des personnes et d’affirmer une volonté guerrière. D’ailleurs, le président Niinistö reste très modéré quant à ce type de commentaires préférant la diplomatie à l’opposition frontale. Tout comme son prédécesseur M. Artti Saari, qui a été décoré du prix Nobel de la paix en 2008 pour ses fructueux efforts visant à résoudre des conflits en Namibie, dans les Balkans, dans la province d’Aceh et dans d’autres régions troublées.

Romain : La Suède est assez fière de ne pas avoir participé à un conflit armé depuis 1812. Elle est très attachée à la paix et l’adhésion à l’OTAN est un évènement majeur, car même aux heures les plus sombres de la guerre froide, ce pas n’avait pas été franchi. La tension en Mer baltique notamment près de l’île de Götaland est élevée. Déjà au coeur de la défense de la Suède durant la guerre froide, la Suède a remilitarisé ce territoire depuis 2015, en renforçant l’entraînement de ces troupes et en favorisant les programmes de défense civile au sein des municipalités. 


Marie-Zoé Belon Laitinen est cheffe d’entreprise et consultante spécialisée dans le développement des échanges commerciaux entre la France et la Finlande depuis 1998. Maman de deux enfants de 18 et 21 ans, elle est installée à Turku. Elle est Vice-Présidente de la Chambre de commerce Franco-Finlandaise et représentante de l’ASFE en Finlande.
Romain Prioux, 33 ans est originaire de Saint Malo en Bretagne. En Suède depuis 2009, il est le Directeur Général de la Chambre de Commerce Franco-Suédoise depuis 2021. Il est marié et père de deux enfants.

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