Volcan à la Palma : le Cumbre Vieja toujours actif

L’équipe de l’ASFE s’est entretenue avec Anne Fornier, volcanologue française qui a créé depuis Barcelone, la Volcano Active Foundation. Cette dernière est spécialisée dans la gestion et la prévention des risques volcaniques. Nous avons également profité de cette entrevue pour aborder le sujet du volcan Cumbre Vieja qui paralyse actuellement l’île de La Palma (Canaries).

La Fondation Volcano Active est une fondation à but non lucratif qui a pour objectif principal la prévention des risques volcaniques. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre fondation ?

L’objectif de la fondation est d’accroître la résilience des habitants et des écosystèmes des zones volcaniques. Avec un accent particulier sur les femmes et les enfants.  Non seulement face aux catastrophes inévitables, mais aussi dans leur vie quotidienne avec les émissions de gaz, la contamination des aquifères et les maladies typiques des zones volcaniques.

Il existe plus de 1 500 volcans actifs dans le monde affectant directement plus de 500 millions de personnes qui vivent avec eux. Nos objectifs s’orientent donc sur les piliers de la mitigation, éducation et divulgation :

  • MITIGATION // Travailler sur la connaissance du risque

Former du personnel local qualifié et lui fournir les moyens techniques pour contrôler l’activité volcanique sur le terrain. Former la population à l’évacuation en cas de catastrophe.

  • ÉDUCATION // Volcano school

Créer et développer des programmes qui améliorent la connaissance des volcans, de leurs risques et travailler sur la prise de conscience de notre environnement.

L’objectif est de sensibiliser les enfants des régions volcaniques à la volcanologie et à ses risques, en faisant des enfants une référence pour transmettre les valeurs et la protection de ce phénomène géologique et social si étroitement lié à la planète et à l’environnement. 

  • PRESERVATION des écosystèmes et du Patrimoine immatériel en Terre volcanique // Volcano CARE

Volcano Care est une initiative de solidarité qui préserve la biodiversité des écosystèmes volcaniques et la culture ancestrale des habitants en terre volcanique.  VOLCANO ACTIVE FOUNDATION est la première fondation au monde qui cherche à atténuer les risques volcaniques autour de la planète.

Après trois semaines d’activité, la coulée de lave du volcan Cumbre Vieja sur l’île de La Palma aux Canaries semble inarrêtable. Est-ce que la situation actuelle semble s’améliorer ? Quels sont les bons comportements à adopter face à ce type de catastrophe ?

Les catastrophes ne sont pas naturelles, elles sont socialement construites en raison du manque de préparation, de prévention, d’atténuation, d’éducation et de suivi. Ce que nous avons, ce sont des risques naturels qui ont un impact sur les sociétés vulnérables.

Nous nous battons depuis 3 ans pour sensibiliser les gens aux risques volcaniques. Le 24 septembre 2021 à la suite de l’éruption du Volcan Cumbre Vieja, nous avons interpellé le congrès espagnol avec 9 questions en référence au plan étatique de 2013 de risques volcaniques. A ce jour, nous n’avons pas la réponse et nous ne pouvons pas analyser les manquements de gestion de terrain.

Voici ce qui devrait être fait en termes de prévention : sensibilisation aux risques, identification des scénarios de risque, analyse et suivi, diffusion d’informations sur les risques et éducation dans les écoles, carte des zones de danger et carte des zones de vulnérabilité.

En matière de gestion des catastrophes, il faut insister sur l’intervention et la préparation à la récupération.

Quelles sont les conséquences matérielles et humaines actuelle de l’éruption du Cumbre Vieja ?

Au 13 octobre 2021 au soir, on comptabilise plus de 400 millions de pertes économiques. On dénombre plus de 1500 bâtiments détruits et 640 hectares complètement dévastés.

L’événement volcanique menace la santé des populations touchées, provoque des perturbations dans l’environnement en modifiant les conditions climatiques normales et la qualité des éléments vitaux tels que l’eau, l’air et le sol, affecte les récoltes et affecte également la fourniture de services de santé en limitant les déplacements en raison des dommages causés aux routes d’accès.

Le degré d’impact de l’activité volcanique sur l’environnement dépend de plusieurs facteurs, notamment : la zone touchée, la durée de persistance des résidus volcaniques, la détérioration des ressources naturelles et la perturbation de la vie quotidienne et des services publics. Les produits qui sortent du volcan sont classés selon leur forme d’émission en liquide, solide et gazeux. Les cendres et les gaz crachés sont dispersés dans l’atmosphère, générant un impact sur tous les écosystèmes proches du volcan et même à des kilomètres de son cône, principalement en raison de l’action du vent. La qualité des ressources naturelles – telles que l’air, le sol et l’eau – des écosystèmes de la zone de risque volcanique est altérée lorsque les matériaux éjectés entrent en contact avec le milieu environnant.

Comment peut-on optimiser la résilience des populations et de l’environnement face à des risques de catastrophe volcanique ?

En travaillant sur la prévention, l’éducation et la mitigation des risques.

Participez-vous à la sensibilisation des populations face aux risques volcaniques en proposant des formations et/ou interventions en milieu professionnel, scolaire ou autre ?

Nous avons effectivement un programme Volcano school, nous avons un programme de formation pour les scientifiques de terrain en zone de risque.

Selon le dernier rapport du GIEC, la température mondiale devrait être de +1,5° ou +1,6°C par rapport à l’ère pré-industrielle autour de 2030, soit dix ans plus tôt que prévu. Est-ce que le réchauffement climatique a une incidence sur le déclenchement d’éruptions volcaniques ?

Nous devons être conscients de l’activité volcanique, sinon nous aurons une crise environnementale qui nous affectera à tous les niveaux, à commencer par l’économie mondiale.

Les grandes éruptions volcaniques peuvent libérer dans l’atmosphère une telle quantité de matériaux (lave, roche volcanique, gaz toxiques et CO2, pluies acides, entre autres) qu’elles modifient le climat de la planète.

En juin 1991, le volcan Pinatubo, aux Philippines, est entré en éruption. Après l’explosion initiale, un énorme nuage de cendres et de gaz a été généré, atteignant une hauteur de 34 km en seulement 2 heures. En deux semaines, le nuage s’est répandu dans le monde entier. En l’espace d’un an, elle a recouvert la planète entière, entraînant une baisse de la température moyenne mondiale de 0,9°C cette année-là et la suivante.

En 1815, en Indonésie, le volcan Tambora entre en éruption. Son explosion a été la plus importante jamais enregistrée et, à plus de 1 300 km de là, un bruit de tonnerre a été entendu. La montagne a craché suffisamment de cendres et de roches pulvérisées pour provoquer une baisse de 1,5°C des températures mondiales l’année suivante. Dans certaines régions d’Europe et d’Amérique du Nord, l’année qui a suivi l’explosion, 1816, est connue des historiens comme « l’année sans été », qui a entraîné des mauvaises récoltes, des gelées tardives, des maladies et des conséquences climatiques. 

Depuis sa création, quel bilan de la fondation pouvez-vous dresser ?

Nous avons énormément de travail et peu de moyen financier. La prise de conscience et le travail sur la gestion des risques sont encore marginaux.

Le travail est immense et rarement modélisable d’une zone à l’autre, chaque volcan est unique. La liste des dangers est longue.  Il s’agit de mettre en place une identification des dangers pour une gestion des risques de catastrophes par zone et par volcan.

Dans notre subconscient, les dangers de la nature semblent inévitables, catastrophiques. Mais les catastrophes ne sont pas naturelles, elles sont socialement construites, par manque de préparation, de prévention, d’atténuation, d’éducation et de suivi. Ce que nous avons, ce sont des menaces ou des dangers de la nature qui affectent les sociétés vulnérables.

Il est nécessaire de mettre en place des mécanismes de surveillance de l’activité volcanique dans la mer afin d’établir son éventuel danger pour les personnes et les biens, ainsi que des restrictions nécessaires au trafic maritime (sous-marins, etc..).

 

Anne Fornier, volcanologue française et fondatrice de la Volcano Active Foundation à Barcelone

Depuis notre dernier témoignage réalisé en octobre 2021, quelles sont les avancées majeures de votre fondation ?

Comme vous le savez, nous avons eu une éruption en Espagne, Cumbre Vieja, et depuis lors, la Fondation a pris un nouveau tournant. Les gens ont vraiment compris l’objectif de notre Fondation parce que le volcanisme était pour une fois très proche d’eux. L’éruption des îles Canaries a montré qu’une éruption volcanique pouvait toucher l’Europe. Soudain, les gens ont pris conscience de ce qu’est le volcanisme. La fondation a créé Volcano school, pour répondre à une demande nouvelle, le nombre d’écoles nous demandant d’intervenir a augmenté de façon exponentielle. En effet, les enseignants n’avaient pas d’informations actualisées sur le volcanisme, ils avaient un vieux programme. Nous avons donc créé 2 plateformes numériques et un programme d’ateliers dans les écoles. www.volcanoschool.org

On est intervenu dans les écoles avec des programmes éducatifs et un cours de 45 min qui va de 6 ans à 18 ans. Pour les plus petits, on parle de comment fonctionne un volcan et explique que tout autour du volcan, il y a des espèces endémiques et donc qu’au-delà du volcan il y a tout un écosystème. A la fin de ce cours, on leur offre des crayons pour qu’ils puissent faire un dessin d’un volcan qu’on va partager avec d’autres écoles qui sont en zone de risques, pour qu’il y ait une prise de conscience sur les risques volcaniques et que cela se transmettent entre les enfants.  Ce programme a très bien marché, on a touché beaucoup d’écoles qui représentent environ 2000 enfants.

Suite au succès de Volcano School, nous avons aussi ouvert Volcano Care qui est consacré à la préservation de la biodiversité. Ces programmes vont évoluer car on s’est rendu compte qu’il y avait d’autres choses à inclure comme la santé humaine et la protection animale. Par exemple, à la Palma, les animaux étaient complètement abandonnés et concernant la santé humaine, il fallait résoudre le choc post-traumatique lié à une éruption ou alors des problématiques comme des eaux contaminées ou autre.  

Enfin, on a créé un institut de recherches d’impact sur les écosystèmes.

A la lumière du changement climatique qui est en constante évolution, avez-vous observé des tendances nouvelles ou exacerbées dans l’activité volcanique, et comment cela influence-t-il le travail de la Fondation ? 

Cette question est très intéressante ! Il faut avant tout comprendre que le volcan va influencer le réchauffement climatique et vice versa.

Lorsqu’on a une éruption volcanique extrêmement forte ou violente comme il y a eu en 1815 en Indonésie au mont Tambora, cela a affecté l’ensemble de notre terre mais en la refroidissant. Il y a eu une colonne de cendres et d’aérosol de plus de 43km de haut, cela a fait comme une « chape » tout autour de la terre en suspension. Les rayons du soleil n’ont pas pu pénétrer sur la terre et cela l’a refroidi d’1,3°C. Donc, le volcan, à un court moment, peut refroidir la température terrestre, la pluviométrie, et le niveau des océans.

Mais aussi, le réchauffement climatique peut accentuer l’activité volcanique. La plupart des volcans ont des sommets enneigés et lorsqu’ils fondent, la pression qui est contenue au-dessus du volcan va changer. Cela peut permettre une incrémentation d’éruption volcanique. Lorsqu’un volcan entre en éruption, cela génère un autre phénomène, la production d’air chaud. Or, plus il y a d’air chaud, plus cela va se répandre et forcément cela peut avoir plus d’impact au niveau global. Au lieu que les cendres ou les aérosols restent contenus, cela va s’étendre et atteindre les populations.

Au final, concernant le réchauffement climatique il y a les 2 c’est-à-dire on peut avoir une incrémentation des éruptions volcaniques et des gaz associés mais aussi le volcan peut refroidir à court terme la zone d’impact. 

Afin de continuer à progresser dans la réduction des risques volcaniques et la protection des communautés avec Volcano Active foundation, quelles sont vos priorités et projets pour l’avenir ?

Comme je l’ai dit, nous avons réalisé que nous n’étions pas suffisants à nous seuls. Je me suis donc associé à Carole Conforti pour créer un institut de recherche associant médecins et professionnels de la protection animale.  Nous avons élargi le champ de la diffusion des risques. Nous avons rejoint le comité scientifique de One Health, une organisation internationale de santé.

Nous avons également rejoint le comité scientifique et l’équipe fondatrice de la Société scientifique espagnole pour la santé environnementale et les changements climatiques sous le nom de SESMA. Nous intégrons donc des personnes issues d’autres domaines, des personnes qui n’étaient pas des scientifiques, des géologues ou des volcanologues. La fondation va être plus ouverte, nous n’allons plus parler strictement de volcanisme mais aussi de ses effets collatéraux. Nous parlerons des tsunamis et des problèmes qu’ils posent, des émissions de gaz et des impacts sur la santé humaine et la biodiversité.

Nous ouvrons un peu le débat parce que nous nous sommes rendu compte que c’était une nécessité. Nous vivons dans un monde où tout est connecté. Bien sûr, de temps en temps, un volcan entre en éruption, mais bien plus souvent nous aurons, par exemple, un tsunami sans que le volcan entre en éruption, mais parce qu’une pente du volcan tombe dans la mer, ou parce que nous aurons des micro-séismes, ou un tremblement de terre d’origine tectonique. Notre objectif est de diversifier et d’élargir le champ d’action de la Fondation.

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