Lutte pour la protection de l’environnement et contre la précarité de l’emploi au Bénin

Le Bénin fait actuellement face à deux défis majeurs : un fort taux de chômage qui touche 2,7 millions de jeunes sous-qualifiés, qui n’ont peu voire pas fait d’études, ainsi qu’un problème grandissant de pollution plastique.

L’équipe de l’ASFE a eu l’opportunité de rencontrer Naomi Fagla Medegan, lauréate du prix Yves Rocher en 2021, une jeune femme militant pour l’emploi et la protection de l’environnement au Bénin par le biais de son association « Gbobeto ».

Pourriez-vous vous présenter pour les Français qui ne vous connaissent pas ?

Je m’appelle Noami Fagla Medegan, je suis franco-colombo-béninoise et j’habite à Porto-Novo où je développe une association qui s’appelle Gbobeto dédiée à la transformation des déchets pour en faire un levier de développement pour le territoire. Tout ce qu’on fait tourne autour de la récupération des déchets, de leur valorisation afin de créer des opportunités pour la ville de Porto-Novo au Bénin.

Pouvez-vous décrire la situation environnementale et ainsi que celle relative à l’emploi aujourd’hui au Bénin ?

Le Bénin est l’un des pays les moins avancé au monde, puisqu’il faut savoir que les gens vivent en moyenne avec 45 euros par tête et par mois, ce qui est très bas. On a 90% d’emplois informels (des petits emplois de débrouille sans protection sociale avec des revenus très faible). Au niveau environnemental, jusqu’à présent on n’avait pas de collecte systématisée des ordures donc tout était jeté dans les rues, dans les caniveaux ou brûlé. Ce qui polluait énormément l’environnement urbain.

En juillet 2020, il y a eu une réforme gouvernementale. Depuis, la collecte est beaucoup plus systématisée avec un système universel où chaque ménage a le droit de voir ses ordures recueillies. Depuis, les choses s’améliorent et maintenant qu’on a toutes ces quantités de déchets qui arrivent aux points de regroupement, se pose la question de leur devenir car des déchets mal traités peuvent créer des problèmes environnementaux et sanitaires. L’un des risques que l’on encourt serait de déplacer le problème des villes vers les campagnes où les déchets seraient enfouis.

Pouvez-vous nous parler de votre association Gbobeto et du projet « Comptoir du Plastique » ? Comment l’association est-elle née ? Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser ce projet et quels sont ses objectifs ?

Gbobeto c’est une idée qui vient d’assez loin. J’ai découvert le Bénin à 16 ans quand mon père m’a emmenée voir de la famille et découvrir le pays. J’avais été frappée par la pauvreté, par la pollution. J’ai voulu monter quelque chose qui pourrait à la fois lutter contre la pauvreté et préserver l’environnement. Je me suis rapidement rendu compte que le déchet avait du potentiel parce que c’est non seulement une véritable problématique urbaine mais aussi potentiellement une matière première si on arrive à créer des filières autour. L’association est née en octobre 2018. On a commencé nos activités en septembre 2019 à Porto-Novo. Notre idée c’est vraiment de monter des filières de valorisation low-tech qui peuvent être adaptés au contexte local et qui vont maximiser la création de valeur bénéfique pour le territoire. A la fois en créant des emplois au niveau local et en transformant les déchets en quelque chose qui peut être utile pour les populations. Actuellement, on a plusieurs filières :

  • On a une filière de récupération des déchets agricoles qui jusqu’à présent étaient très peu exploités. On a développé une recette de combustible écologique pour remplacer le charbon de bois (ici les gens cuisinent à 90% au charbon, très polluant). Le nouveau combustible est moins cher et est plus puissant. On est notamment en train de développer l’aspect marketing en mettant en avant que le bénéfice à consommer mieux et à moins détruire leur environnement en consommant notre combustible.
  • Côté plastique : au début, on travaillait beaucoup avec les récupérateurs informels de déchets qui vivaient dans des conditions indignes dans des dépotoirs, ramassaient les déchets à mains nues, courbés toute la journée. Lors de la mise en œuvre de la réforme de la gestion et du traitement des déchets, on s’est dit « là il y a quelque chose à faire » : ces acteurs ne doivent pas être exclus. On est allé voir le gouvernement et on leur a dit « vous êtes en train d’aménager des points de regroupement des déchets, pourquoi est-ce qu’on ne mettrait pas en place des unités de tri dont pourraient s’occuper ces acteurs précaires ? » Ils nous ont écoutés et on a ouvert la première unité de tri manuel au Bénin ce 2 août et on ouvre la deuxième en septembre. Notre rôle est d’accompagner ces acteurs auparavant complètement informels dans leur formalisation : ils sont organisés en coopératives et on les accompagne pour qu’ils apprennent à trier, à valoriser les déchets. Puis on leur trouve des débouchés pour qu’ils puissent vivre en revendant les matières premières qu’ils ont récupéré parmi les déchets ménagers.
    Nous récupérons une partie des matières qui sont traitées par ces récupérateurs telles que le polyéthylène haute densité et le polypropylène dont on fait du broyat qui sera après revendu à des industriels sur le continent africain. Tout l’argent généré grâce à ces ventes est réinjecté pour continuer à financer les activités de collecte, de récupération et d’accompagnement social qu’on fournit aux récupérateurs informels. C’est notre projet phare.
    Notre prochaine initiative est de lancer un projet de R&D qui va nous permettre de recycler ces broyats localement au lieu d’exporter afin que les bénéfices profitent aux habitants locaux. L’idée est toujours en réflexion mais on va bientôt lancer des expérimentations. Exporter c’était la solution de la facilité, l’investissement était minimal, le modèle économique était simple, ça nous permettait de commencer. On pense qu’il est temps maintenant de complexifier et de recycler plus localement.
  • Pour montrer l’efficacité de notre action, on va accompagner 30 personnes sur Porto-Novo en situation de précarité et produire de la donnée et des analyses pour le gouvernement qui souhaite répliquer l’initiative sur 20 points de regroupement à travers tout le sud du Bénin.

Pourriez-vous nous parler de vos plans pour l’avenir avec l’association Gbobeto ? (Agrandir le projet, embaucher plus de personnes, ouvrir un nouveau centre de tri dans une autre ville ?)

Pour le futur de l’association, maintenant qu’on a été repéré par les autorités, serait d’arriver à mettre en place un vrai centre de valorisation qui nous permettrait d’expérimenter, d’innover puisqu’à l’heure actuelle on est sur un terrain de location. Moi j’aimerais un vrai site pour faire grandir l’association.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières lorsque vous vous êtes lancée dans ce projet ? Notamment des difficultés à vous procurer certaines machines, à former des personnes, à trouver du capital au départ…

La plus grande difficulté est celle des ressources humaines : la formation n’est pas aussi qualitative qu’en France, la culture du travail n’est pas la même et vous vous trouvez souvent face à des gens qui manquent de rigueur, travaillent mais pas de manière efficace auxquels vous devez parfois inculquer des choses qui sont pour vous des acquis comme faire un rapport ou utiliser un fichier Excel pour tracer l’activité. C’est chronophage et fatigant au jour le jour parce qu’en tant que leader du projet vous devez être deux fois plus investie que vous ne le seriez en France, par exemple, avec des gens qui ont déjà des bases. Ça c’est vraiment la plus grosse difficulté.

Après, je pense que l’autre difficulté qui va se poser de plus en plus c’est qu’au Bénin, les gens ont tendance à mettre leur nez dans les projets qui réussissent pour voir s’ils peuvent y gagner quelque chose ou bien leur mettre des bâtons dans les roues. C’est quelque chose que j’anticipe et qui nous arrivera dans les années qui viennent mais on ne va pas se décourager pour autant ! Le projet marche plutôt bien et on a grandi très vite en passant d’un à plus de vingt salariés en l’espace de quelques mois.

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