Coup d’Etat en Birmanie : retour à la case départ ?

Birmanie

Suite au coup d’Etat qui a eu lieu le 1er Février 2021 en Birmanie, renversant Aung San Suu Kyi, ex-dissidente et dirigeante de la Birmanie depuis 2015, l’équipe de l’ASFE a eu l’opportunité de s’entretenir avec un Français qui vit dans la région depuis 30 ans.

En Birmanie, l’armée vient de procéder à son quatrième coup d’Etat en soixante-trois ans. Quelle est la situation sur place ?

L’armée birmane a unilatéralement pris le pouvoir dans la capitale du pays, Naypyitaw. Aung San Suu Kyi, Conseillère pour l’Etat depuis 2016 ainsi que les députés du Parlement ont tous été arrêtés et placés en résidence surveillée. Les télécommunications avaient été coupées et les banques fermées dans la nuit de dimanche à lundi dans une grande partie du pays avant d’être rétablies en fin de journée. Le président Win Myint, élu en 2018, ancien prisonnier politique et membre de la Ligue Nationale de la Démocratie (LND) a également été arrêté.

L’état d’urgence a été décrété pour un an et le couvre-feu étendu de 20 heures à 5 heures du matin. Une série de communiqués de presse a instauré une présidence sous intérim en attendant que les conditions de « stabilité » soient réunies pour la tenue de nouvelles élections l’année prochaine.

Depuis mercredi, les deux dirigeants, membres de la LND sont aussi soupçonnés d’importation illégale suite à la fouille du domicile d’Aung San Suu Kyi où des talkies walkies auraient été retrouvés. L’ex-Président Win Myint est accusé d’avoir contrevenu aux lois interdisant la circulation des personnes entre les régions birmanes, décrétée dans le cadre du Covid-19.

Ex-dissidente de l’ancien régime militaire et aujourd’hui dirigeante de Birmanie, Aung San Suu Kyi, a été arrêtée par l’armée dans la matinée du lundi 1er février. Qui est désormais à la tête du pays ? Quelles ont été les mesures phares annoncées ? 

Selon la constitution birmane, lorsque l’état d’urgence est décrété, le pouvoir est transféré au chef des armées. C’est donc le Général Min Aung Hlaing, commandant en chef de l’armée depuis 10 ans, qui est à la tête du pays. Âgé de 64 ans, il devait prendre sa retraite cet été. Le communiqué des putschistes annonce qu’en sa qualité de commandant en chef, il a « autorité en matière de législation, de gouvernance et de juridiction ».

Accusé par l’ONU d’intentions génocidaires en 2017 sur une partie de la minorité musulmane des Rohingyas avec plusieurs autres généraux de la Tatmadaw (armée birmane), Min Aung Hlaing se place en défenseur de l’Etat birman mais aussi de « des politiques nationales, de la sasana (religion bouddhiste), des traditions, des coutumes et de la culture ». En Birmanie l’armée a déjà un rôle prépondérant dans les affaires courantes : elle est seule en charge du Ministère de l’intérieur, de la Défense et des frontières.

Pourquoi l’armée a-t-elle décidé de renverser le pouvoir en place et d’arrêter Aung San Suu Kyi ?

Depuis plusieurs mois, un bras de fer s’est engagé entre Aung San Suu Kyi et l’armée. Alors qu’elle avait fait le choix avec son gouvernement d’une stratégie de collaboration avec les responsables militaires pour assurer la conduite du processus démocratique et de son programme d’apaisement, l’approche des élections législatives a tendu les relations.

La tenue de celles-ci en novembre a été longtemps discutée en raison du Covid-19 et des mesures prises comme l’interdiction des déplacements entre les régions birmanes et la limitation de l’organisation de la campagne électorale. La junte militaire ainsi que les autres partis politiques préféraient les voir reporter mais le gouvernement a tout de même maintenu les élections à la date prévue.

L’armée à travers le parti de l’Union, de la Solidarité et du Développement (PUSD) ont rejeté les résultats qu’ils ont jugés irréguliers. Les militaires invoquent des millions de votes frauduleux et demandent à la Commission Électorale de l’Union (UEC), organisme indépendant mais saisi par le gouvernement, de vérifier les votes et notamment de publier la liste des électeurs.

En effet, la LND a remporté presque 90% des sièges en jeu du Parlement, proportion étonnante même si leur victoire était attendue ce qui s’explique par le fait que des militaires ou certains membres de leurs familles ont voté pour le LND. Le PUSD, le parti des militaires, détient constitutionnellement 25% des sièges depuis 2008, et le résultat des élections leur octroie moins de 10% de sièges en plus, leur faisant perdre leur pouvoir de blocage.

D’après la constitution birmane, il faut effectivement au moins les 3/4 des votes du Parlement pour que celle-ci puisse être modifiée. L’armée accuse la Commission de ne pas avoir relevé les dysfonctionnements lors des élections et l’indifférence avec laquelle le gouvernement a ignoré leur requête.

L’indifférence de la Commission électorale de l’Union ainsi que celle d’Aung San Suu Kyi qui n’a pas saisi cette première, a engendré un sentiment de colère et d’humiliation pour les militaires, omniprésents depuis l’indépendance du pays en 1948.

Comment a réagi la Ligue nationale de la démocratie (LND) – le parti de Mme Suu Kyi? Mais surtout, quelle est le sentiment qui domine au sein de la population birmane ? 

La Ligue Nationale de la démocratie a appelé à la libération d’Aung San Suu Kyi et de l’ensemble des députés emprisonnés, dénonçant un coup d’état de la junte birmane.

J’ai pu constater que les Birmans sont déçus et résignés. Cela les replonge à l’époque où l’armée birmane avait déjà pris le pouvoir en dépit du résultat des urnes en 1988 et dirigé le pays par la suite. Ce coup d’état anéantit aussi 10 ans de processus démocratique auquel l’armée avait adhéré en rédigeant et en adoptant en 2008 la Constitution birmane qui d’ailleurs la plaçait au cœur des affaires régaliennes et garant d’une unité nationale illusoire.

La Birmanie est effectivement constituée de plus de 135 ethnies, et le pays est divisé en 7 régions centrales et en 7 états périphériques dans lesquels sont regroupées les différentes ethnies.

L’Union de la République du Myanmar n’a d’union que le nom donné par la junte militaire en 1989. Le pays est dans les faits dominé par l’ethnie bamar à majorité bouddhiste (Min Aung Hlaing, Myint Swe et tous les ministres sont des Bamars) et les membres des autres ethnies sont souvent considérés comme des citoyens de seconde zone.

Suite à l’arrestation de deux moines bouddhistes mercredi dans la rue par l’armée, les incitations à rester chez soi se sont multipliées sur les réseaux sociaux. La population craint des incidents lors d’arrestations qui mèneraient à une montée de la violence et des tensions et au durcissement de la ligne du pouvoir en place.

Les Français qui vivent en Birmanie sont-ils inquiets ? Comment voyez-vous les semaines à venir ?

Je ne suis pas spécialement inquiet mais plutôt déçu et las comme les Birmans. Le coup d’état s’est fait sans heurts, la panique a été très limitée et passagère. Les rues sont calmes et seul, le bruit des casseroles, symbole de la désobéissance civile décidée lundi sur les réseaux sociaux, résonne après le couvre—feu à 20 heures. Des médecins dans les hôpitaux publics auraient lancé un mouvement de grève également, ce qui est plus problématique vu la situation sanitaire et l’état défectueux du système de santé birman.

Déjà éprouvés par la situation sanitaire due au covid-19, les restrictions de déplacements entre les régions depuis mars dernier ainsi que la suppression des vols commerciaux entraînant l’absence de revenus liés au tourisme, la Birmanie doit désormais renouer avec l’instabilité politique.

J’espère que la réponse des puissances étrangères ne sera pas la mise en place de sanctions économiques qui pénaliserait seulement les citoyens birmans et non les responsables politiques et militaires.

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