Diego Armando Maradona : la tristesse infinie des Argentins

Bombonera Buenos Aires

L’équipe de l’ASFE s’est entretenue avec Christophe Dubois, représentant de l’ASFE en Argentine, sur la mort du Pibe de Oro et ses répercussions.

Maradona était un Dieu pour les Argentins. Vu de l’autre côté de l’Atlantique, on peut avoir un peu de mal à comprendre cet engouement pour une footballeur, aussi doué soit-il.  Comment l’expliquez-vous ? Comment se traduit cet engouement populaire en Argentine ?

Maradona représente l’Argentine avec ses zones d’ombre et de lumière. Issu d’un milieu modeste, le football lui a permis de progresser sans jamais renier ses origines. Ensuite il a lavé l’honneur du pays lors de la Coupe du Monde de 1986 après la débâcle de la guerre des Malouines menée par la dictature argentine face à l’Angleterre. Rappelons aussi que sa gloire avait commencé en Italie à Naples, terre également contrastée et riche d’émigration vers l’Argentine.

Le nationalisme argentin a bien évidemment utilisé cette figure du sport roi par excellence et son envergure messianique.

De quel(s) but(s) les Argentins se souviendront-ils le plus ? Qu’ont-ils symbolisé ?

Justement, de ces deux buts contre l’Angleterre avec la main de Dieu et le second, somptueux, qui ouvre le chemin de la victoire pour l’Argentine lors de la Coupe du monde de 1986. Mais ce ne sont pas seulement de ces buts dont on se souvient. Egalement de son travail en équipe et de son grand sens du jeu qui permettait aussi à ses coéquipiers de faire la différence et de marquer le score.

Les exploits de l’ancienne gloire du football ne se comptent plus. Cependant, ses excès et ses prises de positions controversées non plus. Quelle était l’opinion de la plupart des Argentins sur l’attitude de leur star ? Lui pardonnait-il tout ?

Oui, il lui pardonnait tout car ses excès étaient aussi à la mesure de son humanité retrouvée quand il n’était pas Dieu sur la pelouse. Il n’avait pas été préparé à être sous les feux de la rampe ; ses tentations, ses excès avec la drogue et les femmes lui ont valu beaucoup d’adversaires naturellement. Néanmoins, lorsqu’on écoute avec attention ses déclaration, ou lors de ses apparitions télévisées, on voit bien souvent un personnage généreux, non-conformiste, vif et intelligent.

Maradona n’hésitait pas à s’exprimer en dehors d’un terrain de football et était un soutien inconditionnel des grandes figures de l’extrême gauche sud-américaine. Pensez-vous que les Argentins ne perdent pas seulement un grand footballeur mais également une grande figure sociale ?

Non, il était certes de gauche par conviction mais il n’était pas à l’origine de grandes initiatives sociales. D’ailleurs il n’y prétendait pas. Par contre, les politiques se sont servis de sa notoriété pour en bénéficier eux-mêmes, que se soit Castro ou Chavez au début, ou Maduro, Evo Morales et les Kirchner ensuite. Ils n’hésiteront pas à la sanctifier comme le Che Guevara.

Juste après l’annonce de sa mort, le Président Alberto Fernández annonçait trois jours de deuil national. Son corps a été veillé à la Casa Rosada (Maison Rose) – l’équivalent de l’Elysée – pour quelques heures seulement, entraînant une immense frustration de la part des milliers de personnes venues se recueillir et qui n’ont pu accéder. Des émeutes ont même eu lieu. Le Gouvernement n’a-t-il pas raté cette dernière rencontre entre un peuple et son idole ?

Le Gouvernement a essayé de récupérer politiquement sa mort. Les mesures prises en Argentine dans le cadre de la crise sanitaire sont parmi les plus restrictives au monde (confinement, distanciation sociales, interdiction de réunion, interdiction de circulation entre les provinces) mais du jour au lendemain une concentration d’un million de personnes a été autorisée et encouragée.

L’endroit choisi a également pu susciter la controverse . L’hommage populaire aurait pu se faire dans le stade de la Bombonera mais finalement ce fut la Casa Rosada, siège de l’exécutif, qui fut désigné. Ajoutons à cela que la veille était limitée à quelques heures et qu’elle a été interrompue pour que la vice-présidente, Cristina Fernandez Kirchner, puisse se recueillir en petit comité devant sa dépouille. La veillée brusquement écourtée a généré des débordements à l’extérieur puisque les gens faisaient la queue depuis de heures. Cette mauvaise organisation, et le fait de ne pas pouvoir lui dire au revoir convenablement, ont naturellement généré beaucoup de frustrations. L’homme est mort mais la légende est déjà bien vivante !

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