Pologne : une élection présidentielle serrée

Varsovie

Dimanche se tenait le premier tour des élections présidentielles en Pologne. Le président sortant, Andrzej Duda, du parti national-conservateur, sort largement en tête avec 43,67% des voix. Il devance nettement son rival de l’opposition libérale, le maire de Varsovie, Rafal Trzaskowski.

L’équipe de l’ASFE s’est entretenue avec Yann Gontard, représentant de l’ASFE en Pologne, afin d’en savoir davantage sur la situation politique.

Pouvez-vous dresser un petit portrait du paysage politique en Pologne aujourd’hui ?

Le paysage politique polonais est dominé depuis plusieurs années par le parti Droit et justice (PiS) et par son leader, Jaroslaw Kaczynski. Ce parti présente, d’un côté, un visage social mais attaché à des valeurs ultra conservatrices. Son «État providence à la polonaise» constitue d’ailleurs le principal argument de campagne, notamment avec le programme d’allocation familiale 500+, l’allocation de rentrée scolaire, la baisse de l’âge du départ à la retraite, des médicaments gratuits pour les seniors, le treizième mois pour les retraités et des diminutions d’impôts pour les moins de 26 ans.

Mais, d’un autre côté, il a mis en place des réformes institutionnelles très controversées qui visent la refonte de la justice et qui sont vivement critiquées par l’Union européenne. La Cour de justice de l’UE a par exemple suspendue en décembre 2018 le départ à la retraite des juges de la Cour suprême polonaise de plus de 65 ans.

Le PiS veut aussi adopter un texte sur le statut des journalistes, avec pour objectif de créer «une autorité autonome qui serait garante des normes éthiques et professionnelles» et qui serait aussi responsable du processus de formation des étudiants en journalisme. L’opposition craint une nouvelle «phase d’étouffement» des libertés, comme on a pu le voir en Hongrie.

Depuis son arrivée au pouvoir. le PiS tente également de revenir sur le droit à l’avortement, qu’il qualifie « d’eugénisme ». Le Gouvernement a déjà supprimé en 2016 le programme de financement de la fécondation in vitro. Quant à la pilule du lendemain, depuis 2017, on ne peut se la procurer que sur prescription médicale.

Face au parti au pouvoir, l’opposition, divisée, a eu du mal à mobiliser autour d’un candidat ou d’un programme fédérateur.

Finalement, Andrzej Duda a atteint un objectif supérieur à ce que lui prédisaient les études d’opinion. Quels éléments d’explications ont été avancés ?

Le Président en fonction a bénéficié ces dernières semaines d’un fort support de la télévision publique, rappelant à certains la propagande de l’Etat communiste. Or si les chaines publiques n’ont plus le monopole de l’audience et si leur audience moyenne est comparable à celle de deux autres stations privées, elles dominent cependant nettement en ce qui concerne les records d’audience.

Le Président bénéficie aussi du support tacite de l’Eglise Catholique, encore très influente.La question étant maintenant de savoir comment le report de voix s’opèrera au second tour.

La gestion de la crise sanitaire en Pologne a-t-elle été un élément important de la campagne ?

Bien que l’économie polonaise soit moins impactée que celle de la France par exemple, de nombreux secteurs ont été touchés par la crise sanitaire, générant la colère de nombreuses catégories socio-professionnelles. Les différents Boucliers Anti-Crise décrétés par le gouvernement n’ont que peu contribué à adoucir le choc.

Pour la toute première fois dans une élection polonaise, l’extrême droite du parti Konfederacja a obtenu plus de 6,75% des voix. Pouvez-vous rappeler l’histoire de ce parti ? Qu’est-ce qui explique cette avancée ?

La Confédération Liberté et Indépendance (en polonais, Konfederacja Wolność i Niepodległość), abrégé en Confédération, est une alliance électorale polonaise fondée en décembre 2018. Ce parti adopte des positions nationalistes, monarchistes, conservatrices, antisystèmes et même liberticides. Il se situe à l’extrême droite du parti au pouvoir. Certaines déclarations de membres de la coalition ont été jugées sexistes, racistes ou antisémites.

Avec 6,81 % des voix aux élections parlementaires de 2019, la Konfederacja dispose de 11 sièges à la diète de Pologne.

Avez-vous quelque chose d’autre à ajouter ?

Il n’est pas exclu que l’électorat du PiS, par tradition très discipliné, ait déjà engrangé son maximum de voix au premier tour. Si le report de voix de Konfederacja, mais aussi d’autres candidats se fait en faveur du Président Duda, ce dernier conserve donc de bonnes chances de l’emporter au second tour.

Cela dit, les électeurs de Szymon Hołownia (qui est arrivé 3ème, avec 13,69% des voix) sembleraient acquis dans leur grande majorité au candidat libéral. De même, de nombreux sondages suggèrent que de 30% à 40% des électeurs nationalistes pourraient voter pour Rafał Trzaskowski, qui souligne le besoin de « reconstruire la communauté nationale », face à la politique de « division » du PiS.

Last but not least, le premier tour a été marqué par un taux de participation de 55,29%. Et il semblerait que 2 millions d’électeurs supplémentaires pourraient se présenter aux urnes pour le second tour. Tout reste donc ouvert !

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