2019 : année de profonds changements au Moyen-Orient ?

Je ne pouvais commencer cet éditorial sans une pensée émue pour les treize militaires français qui ont perdu la vie au Mali lundi dernier, lors de la collision de deux hélicoptères. Ces Français sont morts pour la France, mobilisés dans une opération de lutte contre le terrorisme au Sahel. Le bilan est lourd. Il nous oblige et nous rappelle que l’engagement de nos forces armées peut aller jusqu’au sacrifice ultime. Il nous force également à réaliser que la situation géopolitique mondiale est aujourd’hui extrêmement tendue.

Il n’est pas de pays dans le monde qui ne connaissent pas de convulsions en ce début de XXIème siècle. Cette année 2019 restera peut-être dans l’histoire comme celle de profonds changements, comme le furent les années 1979 et 1989. Il y a trente ans, tombait le mur de Berlin. Dix ans auparavant, l’armée soviétique entrait en Afghanistan, ce qui marquera le début de la fin du régime communiste ; Deng Xiaoping ouvrait la Chine à l’économie de marché ; Ronald Reagan et Margareth Thatcher arrivaient au pouvoir à Washington et Londres, lançant l’un et l’autre des politiques très libérales qui vont accélérer le développement de la mondialisation ; enfin l’Iran basculait dans le fondamentalisme religieux avec l’accession de l’ayatollah Khomeiny au pouvoir, événement qui allait signer le début de l’islamisme politique et conquérant partout à travers le monde.

Quarante ans plus tard, c’est précisément les manifestations qui agitent les pays sous influence chiite qui doivent retenir notre attention. A Téhéran, à Bagdad et à Beyrouth, les troubles liés à la vie chère, à la corruption, à l’absence de libertés sont-ils l’annonce de bouleversements politiques qui pourraient modifier les équilibres du Moyen Orient ? Dans cette région, qui est une véritable poudrière depuis longtemps, rien n’est jamais sûr. Mais, pour la première fois, voir la population se rebeller contre ses dirigeants pour des motifs de vie quotidienne en dit long sur le malaise qui traverse ses sociétés. La religion pas plus que des rivalités claniques ne sont au cœur des révoltes. La tension est telle qu’à Téhéran, les mollahs ont, pendant quelques jours, coupé les moyens de communication et fait tirer sur la foule. Dans les grandes villes irakiennes, le pouvoir est sans pitié et les morts se comptent par centaines. Au Liban, il est assez inédit d’observer la population chiite s’en prendre au parti Hezbollah, financé par l’Iran, et fraterniser avec les autres composantes du pays que sont les sunnites et les chrétiens. Partout, les gens veulent du pain, des emplois et moins d’embrigadement.

Téhéran, Bagdad, Beyrouth, c’est une partie de ce qu’il est convenu d’appeler l’arc chiite qui vit peut-être un tournant. Si le régime des mollahs iraniens venait à tomber, ce serait évidemment l’Arabie saoudite qui applaudirait. Et Donald Trump qui triompherait, montrant ainsi que la remise en question des accords de 2015 sur le nucléaire et les sanctions économiques qui l’accompagnent étaient efficaces. La rivalité entre sunnites et chiites prendraient une nouvelle tournure, sans doute au profit des premiers.

Reste néanmoins le chaînon manquant de l’arc chiite, qui est Damas. Avec l’aide de Moscou et de Vladimir Poutine, le régime alaouite – d’obédience chiite – de Bachar el Assad, certes minoritaire en Syrie, est toujours debout. Preuve de l’influence incontournable de la Russie dans cette région du monde.

La Guerre froide appartient au passé, mais l’actualité montre qu’elle revit sous un autre jour. Car c’est bien Washington et Moscou qui, par pays interposés, se retrouvent face à face aujourd’hui. L’histoire n’est jamais finie. A suivre de très près…

 

Jean-Pierre Bansard
Président de l ‘ASFE

4 commentaires

  1. Les pertes militaires françaises en opérations extérieures depuis 1963, sont estimées, au 26 novembre 2019, à 755 militaires.

    Or, depuis cette même date, beaucoup de ces soldats (347, soit environ la moitié du total précité), ont perdu la vie dans des opérations militaires sur le continent africain.

    Aujourd’hui, la France est, sur le terrain africain, pratiquement la seule à faire valoir ses « accords de défense » ou des « mandats de l’ONU » qui justifient sa présence militaire au Sahel.

    Or les populations de ces mêmes pays sahéliens (Mauritanie, Mali, Niger et Tchad), tout comme les ivoiriens (Où, à quelques mois de la présidentielle de 2020, plus de 500 militaires de l’armée française ont débarqué) et les burkinabés (tiraillé entre la mémoire et les idées de Sankara, dont ils se réclament, et la réalité du terrain et de son armée qui manque de moyens) supportent de moins en moins la présence des troupes de « l’ex-colonisateurs » et assimilent de plus en plus la défense de certains intérêts stratégique pour la France et pour l’Europe à une « recolonisation » de l’Afrique saharienne et sub-saharienne par la France.

    Ces mêmes populations perçoivent, à tort ou à raison, que ces mêmes accords ou mandats ne font que justifier, sur le plan juridique et aux yeux des instances internationales, l’ingérence militaire française dans ses anciennes colonies.
    C’est pour cela qu’il est indispensable et urgent de faire comprendre à l’Europe que la France seule ne peut pas supporter encore cette lourde de charge sécuritaire qui lui incombe et que les « participations » minimalistes de la Grande Bretagne et de l’Estonie, où celle « satellitaire » des Etats Unis (pour qui deux soldats français sont morts en voulant sauver leurs espions) ne vont pas modifier l’image de « l’ex colonisateur » dans l’esprit des africains.

    L’Europe doit participer financièrement et militairement à ces opérations militaires justifiées dans cette région, si elle veut être encore crédible et avoir quelque influence positive dans une région dont l’instabilité peut avoir des conséquences incalculables au niveau économique, sécuritaire ou politique pour cette même Europe.

  2. Avec ce que nous « renvoie » le charmant Erdogan en matière de djihadistes récupérés en Syrie, c’est toute l’Europe qui doit mettre la main et puiser dans ses réservistes (si j’ose dire) pour renforcer la présence de « Barkhane » au Sahel. C’est çà qui est urgent en matière de lutte anti-terroriste…

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