En juin 2016, 51,9% des Britanniques font le choix de quitter l’UE, déclenchant ainsi le processus du Brexit, alors que 55,9% des Nord-Irlandais votent contre. Afin d’éviter le retour d’une frontière physique entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord à l’issue du Brexit, les négociateurs se sont accordés en novembre 2018 sur une solution provisoire, appelée « filet de sécurité » ou « backstop », qui est une clause temporaire de sauvegarde pour conserver cette frontière ouverte aux biens et aux personnes.
A deux semaines de la sortie annoncée du Royaume-Uni de l’Union européenne (reporté de trois mois), Londres et Bruxelles ont annoncé jeudi 17 octobre avoir trouvé un accord sur le Brexit, validé dans la foulée par le Conseil européen. Pour le moment, cet accord n’a pas été ratifié. Nous nous sommes entretenus avec Marie-Hélène Poudevigne, conseillère consulaire en Irlande.
Quelle est l’ambiance générale en ce moment en Irlande ? Les irlandais sont-ils inquiets du fait du Brexit ?
Le Common Travel agreement (CTA) ou ‘Accord sur une Zone de Déplacement Commune’ permet aux citoyens britanniques et irlandais de se déplacer librement, de résider dans l’une ou l’autre des juridictions et de jouir de droits qui y sont associés, notamment en matière d’emploi, de soins de santé, d’éducation, d’avantages sociaux et de vote pour certaines élections.
Dès la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, les citoyens des deux pays continueront à bénéficier de ces droits qui ne dépendent pas de l’appartenance à l’Union européenne. Par exemple, les frontaliers irlandais pourront continuer à déposer leurs enfants d’un côté ou de l’autre de l’actuelle frontière invisible.
Par-dessus tout, les Irlandais du Nord, comme ceux du Sud, ne veulent surtout pas un retour à une frontière dure ou ‘hard border’ : l’Irlande du Nord avait voté ‘remain’, c’est à dire contre la sortie de l’UE.
Dans le cas où aucun accord ne serait trouvé, les conséquences seraient importantes pour les entreprises comme pour les particuliers: d’abord économiques (les importations et exportations commerciales entre la République d’Irlande et le Royaume-Uni se comptent en milliards : lait, œufs, animaux, boissons, produits manufacturés…) ; la coopération Nord-Sud s’en verrait affectée, la stabilité politique également – rappelons que les Irlandais protestants et catholiques résidant à Belfast vivent encore dans des quartiers que l’on pourrait qualifier de ghettos, fermés à clef chaque soir, afin qu’aucun des deux camps ne se confronte ou ne s’affronte. Un non accord ou ‘no deal’ pourrait avoir des conséquences sociétales à long terme en Irlande du nord.
Face à l’annonce du potentiel accord entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, pouvez-vous nous décrire les positions de la République d’Irlande et de l’Irlande du nord ?
Les ministres irlandais ont obtenu du gouvernement l’approbation d’une loi relative au retrait – avec ou sans accord – du Royaume-Uni de l’Union européenne, composée de plusieurs volets regroupant des dispositions diverses élaborées par les différents ministères dont les plans seront appliqués le moment venu afin de réduire la possibilité de sérieuses perturbations dans l’économie irlandaise et pour le bon fonctionnement d’un certain nombre de marchés, secteurs et domaines.
Les gouvernements irlandais et britannique se sont engagés pour que le CTA soit maintenu en toutes circonstances et que les droits et privilèges associés au CTA soient protégés.
En vertu de l’accord trouvé jeudi, l’Irlande du Nord reste dans le territoire douanier britannique mais demeure « un point d’entrée dans le marché commun » européen, selon Michel Barnier. Comment est perçue cette solution par les irlandais ?
Personne ne savait réellement à quoi allait ressembler le passage entre les deux Irlande. En théorie, des contrôles auraient dû avoir lieu puisque l’Irlande du Sud sera le seul pays européen à posséder une frontière commune (310 miles, environ 500 km) avec un pays hors Union européenne, mais personne ne voulait un retour aux frontières d’un passé pas si lointain…
Concernant le « non-retour des frontières » il est indéniable que c’était un point crucial pour les Irlandais, c’était le point d’achoppement des négociations à Bruxelles.
Les négociateurs européens avaient envisagé un filet de sécurité ou ‘backstop’ pour éviter des contrôles à des postes frontières, mais cette mesure avait été rejetée par la Chambre des Communes britannique car elle privait le Royaume-Uni d’une indépendance économique.
Après le plan A sous Theresa May est arrivé le plan B sous Boris Johnson : la frontière entre les deux Irlande restera ouverte, conformément aux termes de l’accord de paix du Vendredi Saint signé en 1998, la coopération Nord-Sud pourra ainsi continuer.
Toutefois, des contrôles devront être effectués quand les produits entrent en Irlande du Sud. Afin de prévenir la mise en place d’une infrastructure physique entre les deux Irlande – ce qui n’est ni souhaité ni souhaitable – ces contrôles devront avoir lieu avant que les produits en provenance d’un pays hors UE n’arrivent sur l’île : les contrôles auraient ainsi lieu dans les ports en Mer d’Irlande, mais il y a encore beaucoup de détails à régler.
Les contrôles douaniers se feraient entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne. Il n’y aura donc pas de retour de la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, membre de l’UE, et l’accord de paix du Vendredi saint sera respecté. Est-ce un soulagement pour les deux Irlande ?
C’est un point crucial pour les Irlandais, c’était le point d’achoppement des négociations à Bruxelles, la frontière ne sera pas rétablie entre l’Irlande du Nord et du Sud, la coopération Nord-Sud peut continuer.
Avez-vous autre chose à ajouter ?
A l’heure où je rédige cet article (lundi 21 octobre), le nouvel accord n’a pas été entériné par le Parlement de Londres.
Selon Boris Johnson …« It’s been long, it’s been painful, it’s been divisive » …selon Michel Barnier, notre excellent négociateur européen dont le rôle est unanimement loué … » Je regrette tout cela, mais nous le respectons, ce fut le choix souverain de la majorité des Britanniques »…
Cela fait 3 ans et demi que nous entendons parler du Brexit et je rajouterai : « Let’s get this thing done ! », c’est-à-dire « Finissons-en !».