Lourenço Jardim de Oliveira est portugais, ancien élève du lycée français de Lisbonne et diplômé de Sciences Po Paris. Consultant en Stratégie Corporative et Excellence Opérationnelle, il est engagé dans plusieurs mouvements civiques pour la promotion de l’engagement citoyen, la démocratie participative et les processus de délibération citoyenne. Il intervient fréquemment dans plusieurs plateformes et médias oeuvrant pour cette cause au Portugal.
Dimanche dernier avaient lieu les élections législatives au Portugal. Le PS a obtenu 36,65% des voix. Antonio Costa parvient ainsi à assurer sa réélection malgré une abstention record (45,5%). Le parti social-démocrate (PSD) a lui obtenu 27,9% des voix, le Bloc de Gauche 9,3% et le Parti Communiste 6%.
– Comment analysez-vous ces résultats ? Pouvez-vous faire un bref rappel de la situation politique actuelle au Portugal ?
Si d’un côté les résultats de dimanche dernier permettent un maintien de la solution de gouvernement de la dernière législature et renforcent la stabilité politique, les extrêmes se sont renforcés. Un parti d’extrême droite, un parti libéral et un parti de la gauche radicale ont pour la première fois pu élire un député. En même temps, l’extrême gauche historique a gardé une forte présence et contribuera probablement à la nouvelle solution de gouvernement. C’est une situation atypique : la stabilité se maintient et se renforce, tout comme les extrêmes.
S’il existe très clairement un certain rejet des partis traditionnels, suivant la tendance d’autres pays Européens, surtout de la droite traditionnelle, les deux partis historiques – le PS et le PSD, restent de très loin les plus votés par les Portugais. C’est donc le maintien d’une forte stabilité politique tout en défiant cette stabilité avec l’apparition de nouvelles forces capables de secouer l’agenda politique, très marquée par le « politiquement correct ».
Il faut savoir que les 4 dernières années furent marquées par une situation inédite au Portugal et en Europe : le parti les plus voté dans les élections de 2015, le PSD (centre droite, au pouvoir pendant les années de la crise) n’a pas pu gouverner du fait de l’absence de majorité au Parlement. Le deuxième parti, le PS (centre gauche), a opté par s’allier à l’extrême gauche (Bloco de Esquerda et le Parti Communiste) pour garantir une majorité au Parlement et pouvoir ainsi gouverner. Cette solution est en grande partie révélatrice des rares capacités politiques de l’actuel Premier Ministre, António Costa, qui a su maintenir la stabilité et consistance de ces accords au long de toute la législature.
– Le Portugal vit-il encore sous le poids de l’austérité budgétaire, exigé par la « Troika » (Banque centrale européenne, Fonds monétaire international et Commission européenne) jusqu’à il y a peu ? La situation économique s’est-elle améliorée ?
Il existe plusieurs lectures de la situation actuelle du pays. Si d’un côté le chômage est au plus bas niveau depuis 2008 et les rendements, retraites et subventions sont réinstaurés après la période d’austérité budgétaire, nombreux sont ceux qui attendaient plus d’un gouvernement qui a pu bénéficié d’excellentes conditions externes et internes : les mesures impopulaires exigées par la TROIKA déjà accomplies par le gouvernement précédent – qui a su relancer l’économie – des records dans les exportations et une conjoncture internationale très favorable.
Face à cela, si le déficit budgétaire fut de 0,5%, les 4 dernières années furent également marquées par une quasi-stagnation de l’économie, une chute de l’investissement public (surtout l’investissement dans le long terme) mais également privé, des services publics en rupture (santé, transports, sécurité sociale, …), une forte montée de la dette publique et un poids de l’impôt le plus élevée dans l’histoire de la démocratie portugaise. Des conditions dangereusement similaires à celles qui anticipaient la crise de 2008, dans une période où le pays devrait chercher à solidifier sa relance.
– Comment expliquez-vous l’abstention massive enregistrée dimanche ? Cela correspond t-il a une certaine catégorie de la population (par exemple les jeunes) ou il s’agit-il d’une abstention généralisée ?
Si nous ne sommes pas encore en condition de faire une analyse démographique de l’abstention, il est évident qu’elle a connu une nouvelle montée – autant en pourcentage qu’en termes absolus. Elle est, je crois, révélatrice d’un fort éloignement et méfiance des citoyens à l’égard de la politique, valable pour toutes les générations et régions du pays.
Le niveau d’abstention a progressé graduellement tous les 4 ans, partant de 8% en 1975 pour atteindre les 45% en 2019. Elle est l’image de l’évolution de la société face à la non-évolution des partis politiques traditionnels. Il est évident que les Portugais se sentent impuissants face à un système politique très vicieux et un des plus corrompus d’Europe. Si tous les partis politiques traditionnels reconnaissent cet éloignement au bout de chaque élection et déclarent leurs intentions de se rapprocher des citoyens, ils manquent de force et de créativité pour implémenter des mesures concrètes, opérer des changements structurels et innover.
– Le nombre de Portugais vivant en dehors du Portugal est très élevé. Pouvez-vous nous parler du nouveau plan du Gouvernement pour faire rentrer les Portugais ? Quelle est la motivation principale de ce plan ?
Effectivement, nous sommes un pays très marqué par l’émigration, depuis quelques décennies maintenant. Le plan du Gouvernement va, en théorie, dans la bonne direction : l’attractivité du Portugal en termes d’IDE dépend de sa principale richesse, à savoir la main d’œuvre qualifiée, dont le coût est avantageux si on le compare à la moyenne européenne.
Ce facteur a mené de grands groupes internationaux à y installer des centres de service à échelle mondiale, comme les cas de BNP, Natixis, Uber, Google, Siemens, Revolut, Cisco ou Altran, pour citer quelques exemples parmi des dizaines qui ont investi dans le pays dans les dernières années.
Pour garder et renforcer cette attractivité alors que le ressources en main d’œuvre s’épuisent et les taux de natalité sont en baisse depuis des années, le gouvernement a misé sur le retour des émigrés en baissant les impôts sur le revenu jusqu’à -50% pendant 5 ans pour tous ceux qui décident de rentrer. La mesure semble intelligente mais est-elle efficace ? Lorsque nous regardons les chiffres, le nombre de candidatures depuis le lancement du programme est très réduit. Les émigrés se plaignent de la complexité du processus, des critères trop restreints et jugent les avantages insuffisants pour justifier un retour aux terre Lusitaines. Il est urgent d’analyser et évaluer cette politique publique pour la rendre plus efficace. Autrement elle n’ira pas au-delàs d’une « bonne intention ».
– Avez-vous autre chose à ajouter ?
Les médias ont joué un rôle ambigu lors de ces élections et ont adopté un positionnement plutôt partiel, avec une forte tendance à protéger la gauche et le gouvernement pour attaquer une droite qui n’a pas su se renouveler ni répondre à la pression médiatique. Indépendamment du résultat et du positionnement politique de chacun, cette approche nuit fortement à l’équilibre démocratique et est révélatrice d’un certain éloignement des médias vis-à-vis de la réalité quotidienne de nombreux citoyens, ce qui peut également contribuer à l’ascension de nouveaux partis extrémistes.