Élection présidentielle en Tunisie

Laurent Caizergues est conseiller consulaire en Tunisie et Président de l’UFE Côtes de Carthage. En cette période électorale tunisienne, nous lui avons demandé d’éclairer nos lecteurs sur la situation politique actuelle. En effet, dimanche dernier – le 15 septembre 2019 – avait lieu le 1er tour de l’élection présidentielle au suffrage universel direct, élection qui se tient pour la deuxième fois seulement depuis le Printemps arabe.

Tout d’abord, pouvez-vous brièvement nous expliquer le fonctionnement de l’élection présidentielle en Tunisie ? Il y avait en tout 26 candidats au 1er tour (sur 71 prétendants), ce qui est un chiffre assez surprenant depuis l’étranger.

C’est un scrutin au suffrage universel direct à deux tours, sauf si un des obtient la majorité absolue des voix dès le premier tour.
Concernant le nombre de candidat, il faut savoir qu’il y a plus de 200 partis politiques en Tunisie. Pour pouvoir se présenter, des parrainages sont nécessaires : mais ils se limitent à 10 000 électeurs inscrits répartis sur au moins 10 circonscriptions électorales, ou 10 députés sur les 217 membres de l’Assemblée des représentants du peuple, ou encore 40 présidents des 264 conseils de collectivités locales élus.

Les candidats Nabil Karoui et Kais Saied sont arrivés en tête au 1er tour et s’affronteront donc pour le 2nd tour, qui devrait avoir lieu dans quelques semaines. Pouvez-vous nous présenter brièvement ces deux candidats ? Comment s’est déroulée la campagne ?

L’ISIE – Instance Supérieure Indépendante pour les Elections – a publié ses résultats définitifs et le candidat indépendant Kaïs Saïed termine en tête du 1er tour avec 18,40% des voix, suivi de Nabil Karoui avec 15.58% des voix. Tous les deux sont donc qualifiés pour le 2nd tour.

Ces deux candidats se situent en dehors des partis traditionnels tunisiens. Le premier – Kaïs Saïed – est un universitaire, expert en droit constitutionnel, né en 1958 à Tunis, marié et père de 3 enfants. Politiquement, il est considéré comme conservateur. Le second – Nabil Karoui – est un magnat de la communication, puisqu’il possède notamment la chaîne de télévision NESSMA, la plus regardée de Tunisie. Il est né en 1963 à Bizerte, marié et père de 2 enfants dont l’un est décédé d’un accident de voiture en août 2016. Politiquement, il est considéré comme plutôt populiste.

Kaïs Saïed n’est affilié à aucune formation politique et a mené une campagne avec des moyens très limités, en faisant principalement du porte-à-porte.
De son côté Nabil Karoui – en tête des sondages très rapidement – a failli ne pas pouvoir se présenter à la suite d’un amendement controversé, adopté par l’Assemblée des représentants du peuple, mais qui a rapidement fait l’objet d’un recours pour inconstitutionnalité.  Le 23 août dernier toutefois, Nabil Karoui est arrêté et inculpé pour blanchiment d’argent. Malgré cela, sa candidature est maintenue, n’ayant pas été à ce jour condamné par la justice, ni privé de ses droits civiques.

La presse internationale les qualifie de « candidats antisystème », car ils ne sont pas issus du « sérail politique ». Croyez-vous qu’il existe en Tunisie – comme ailleurs dans le monde – un rejet des partis « traditionnels » ?

Ces deux candidats qualifiés d’antisystème – pas seulement par la presse internationale – ont su parler à leur électorat avec des approches radicalement opposés, chacun s’éloignant à sa façon des guerres partisanes de l’establishment politique en place en Tunisie.

De fait, nous pouvons parler d’un rejet des partis en place depuis 2011, sans oublier un faible taux de participation – de l’ordre de 52% – malgré une augmentation de près de 2 000 000 d’inscrits entre 2018 et 2019 pour atteindre le chiffre de 7 074 566 électeurs. Pour information, lors du premier tour des élections présidentielle de 2014, le taux de participation était de 64,6 %.

Mais attention la Tunisie n’est pas un régime présidentiel comme en France. C’est un régime parlementaire mixte, où le président est compétent seulement en matière de défense, de relations étrangères et de sécurité intérieure. C’est le chef du gouvernement qui détermine la politique générale de l’État, préside le Conseil des ministres, et gère l’administration d’État.

Une autre particularité tunisienne : le second tour l’élection présidentielle n’est pas encore défini et pourrait se tenir en même temps ou après les législatives du 6 octobre 2019.

Comment croyez-vous que les Français de Tunisie – communauté qui comprend de nombreux binationaux – considèrent la situation politique actuelle ? Sont-ils engagés dans ces élections, ou au contraire restent-ils en retrait ?

La communauté française de Tunisie est à 75% composée de binationaux. Elle est très engagée dans ces élections car il y a eu 4 candidats franco-tunisiens parmi les 26 candidats. Mais l’article 74 de la Constitution dispose que tout candidat à la présidence de la République tunisienne et titulaire d’une autre nationalité doit présenter un engagement d’abandon de sa deuxième nationalité à l’annonce de son élection.

Au niveau de la participation de la communauté binationale, il semblerait qu’il y ait le même constat d’un rejet des partis traditionnel, sans pour autant un report sur les candidats antisystème.

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