Six jours. Six jours que Robert Badinter s’en est allé, pourtant l’émotion reste aussi vive qu’aux premiers instants de l’annonce de sa disparition. Monsieur Badinter était un grand homme, de ceux à qui la patrie doit sa reconnaissance éternelle. Le président de la République, lors de l’hommage national qui lui fut rendu hier, l’a reconnu, ouvrant la voie à son entrée au Panthéon. Sous un ciel parisien menaçant, le cercueil de Robert Badinter passa – pour la dernière fois – les portes de la Chancellerie, pour venir se placer au centre de la place Vendôme. C’est alors qu’il commençât à pleuvoir, calmement – au même rythme que les larmes de l’assistance – comme si la nature elle-même ne pouvait cacher la tristesse de perdre un être aussi remarquable que Robert Badinter.
Car l’homme a indéniablement su marquer, d’une empreinte indélébile, son époque. Nous ne lui devons pas – fait majeur de notre histoire pénale – uniquement l’abolition de la peine de mort en 1981. Ce combat, qu’il a initié en tant qu’avocat, il réussit à le gagner grâce à son rôle politique, lui qui restera comme le Garde des Sceaux de François Mitterrand. Dans un parcours semé d’épines et de roses – le nom qu’il donna à l’un de ses livres – ce fin juriste à su concilier les difficultés de faire advenir des mesures peu populaires – les Français n’étant pas favorables, dans leur majorité, à la fin de la peine de mort – et la lutte nécessaire pour la garantie des droits fondamentaux. Badinter est également à l’origine de la dépénalisation de l’homosexualité. La défense des droits de l’homme était le combat de sa vie, le fil rouge de son existence, et il n’y a rien de plus admirable que la constance de ses idées.
Nous lui devons également, en grande partie, le nouveau code pénal, adopté en 1992, qui supprime les peines infâmantes, celles qui ne s’arrêtent pas à priver un homme coupable de sa liberté, mais qui atteignent la personne humaine, sa dignité. Le nouveau code pénal se voulait « humaniste », et il l’est largement, grâce à la force de son engagement. Il supprime notamment les crimes de vagabondage et de mendicité.
Robert Badinter fut également, pendant neuf ans, le Président du Conseil constitutionnel, cette institution difficile à catégoriser, cet « ovni juridique » qui, à ses débuts – en 1958 – était davantage un arbitre des pouvoirs exécutifs et législatifs qu’une cour constitutionnelle à part entière. Badinter œuvrera beaucoup pour que le Conseil se juridictionnalise. Une fois au Sénat, il échouera toutefois à faire passer une proposition de loi visant à modifier son nom, lui qui voulait que le Conseil constitutionnel devienne la Cour constitutionnelle, avec toute la symbolique qu’implique le fait de passer de Conseil du Prince à véritable Cour indépendante.
De ses années au Sénat, Robert Badinter dira que son bilan fut « misérable », n’ayant réussi à faire adopter aucune réforme majeure, ni même le moindre amendement important. Ce n’était sûrement pas tant sa faute, que le fait qu’un parlementaire, seul, ne peut rien faire de grand. Mais Badinter était un homme infatigable, d’une rectitude morale impressionnante, d’une rigueur juridique peu commune. Cela lui valut autant d’ennemis que d’admirateurs. Les seconds deviendront considérablement plus nombreux.
Lorsque son nom circule pour devenir le candidat de la gauche aux élections présidentielles de 1995, il écarte rapidement la possibilité. « Intellectuel, parisien, et juif », il considère cumuler « tous les défauts » pour ne pas pouvoir parvenir à la magistrature suprême. Profondément marqué, dans sa propre chair – son père ayant été victime sous l’Occupation d’une rafle organisée par Barbie, envoyé à Sobibor dont il ne reviendra jamais – par l’histoire de la Shoah, il restera profondément reconnaissant à la France des opportunités que celle-ci lui a offerte, et plus largement celles qu’elle a offertes à tous les Juifs, leur permettant d’accéder à des postes importants, les plus importants que notre pays peut offrir. Cet amour profond pour la France explique d’ailleurs sa condamnation des propos d’Ariel Sharon qui, en 2004, invite les Juifs français à émigrer en Israël pour fuir « un antisémitisme déchaîné ». Pour Badinter, de tels propos sont « outrageants pour la République ».
Son histoire familiale, sa relation avec le judaïsme, sont l’objet d’un de ses livres les plus touchants et les plus personnels, racontant l’arrivée de sa grand-mère, qui ne parlait que yiddish, en France au début du XXème siècle. Il nous lègue cette démonstration puissante de l’universalité française, de la force de l’intégration, et la force de croire en la puissance des combats politiques, lorsque ceux-ci sont grands, et beaux. Badinter était le courage incarné. Sa disparition laisse un trou béant, immense, énorme… mais aussi l’espérance qu’il ne sera pas le dernier à savoir se hisser au rang de ses idées.
L’équipe de l’ASFE
Au revoir Monsieur le Ministre, et merci pour votre exemple pour les jeunes, et les moins jeunesmerci !
UN TRES GRAND HOMME