Sophie Chainel, ingénieure de formation et ancienne Directrice Générale d’une grande entreprise, s’est par la suite tournée vers l’entreprenariat dans le domaine du coaching. Portrait d’une entrepreneure engagée pour la cause des femmes et d’une des Conseillères des Français de l’étranger pour la circonscription de Montréal, Moncton et Halifax.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je me définis comme une femme multi-facettes. Je ne me suis révélée à moi même que le jour où j’ai accepté d’être chacune d’entre elles. Petite fille de militaire, j’ai grandi dans la philosophie du « fais ce que tu dis ». La rigueur de ma famille m’a transmis une discipline naturelle, un caractère perfectionniste qu’il m’a fallu désapprendre. C’est ce qui m’a amenée à vouloir performer.
À l’âge de 8 ans, un évènement a eu un fort impact sur mon développement personnel. Une fille m’a dit dans la cour que je n’étais pas assez belle pour pouvoir rester avec les autres filles. J’ai alors décidé d’embrasser une image plus masculine afin de me sentir plus en sécurité. Cela a impacté tout mon parcours scolaire puisque je fuyais les filles pour aller avec les garçons.
Depuis toute petite, je voulais avoir des postes de direction, assumer des responsabilités. Je voulais montrer que les femmes pouvaient être ambitieuses, qu’elles pouvaient avoir les mêmes postes que les hommes. En France, j’ai voulu prouver que j’étais compétente. Quand je suis arrivée au Canada, j’étais directrice adjointe d’un projet à plus de 90 millions de dollars. Dans mon équipe la mayonnaise ne prenait pas. Je me suis alors rendu compte qu’il fallait que je me reconnecte avec mon côté féminin pour pouvoir commencer à faire de l’humain.
Au bord du burn-out il y a quelques années, vous avez maintenant votre propre société d’accompagnement à destination des femmes qui souhaitent développer leur projet professionnel. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans l’entrepreneuriat ?
Après quatre ans au Canada, je voulais gérer un centre de profit, être dans la promotion mais aussi dans l’exécution d’un service. J’ai finalement eu une opportunité auprès d’une société du nom de Prodéval et ai participé à l’ouverture de sa filiale en Amérique du Nord comme Directrice Générale.
Après mon premier congé maternité, j’ai commencé à rencontrer des difficultés dans ma vie personnelle. Travailler en décalage horaire avec la France devenait pesant. En parallèle, ma famille a connu 3 décès en deux mois : j’ai perdu un enfant que je portais depuis 6 mois, ma mère puis mon grand-père.
La pression managériale a été très forte, je n’ai pas été vraiment soutenue. Je me sentais redevable et c’était inconcevable pour moi de ne pas me donner à 200%. Le jour où j’ai annoncé à mon employeur que la psychologue m’avait mise en arrêt maladie, je n’ai reçu qu’un courriel demandant comment on allait s’organiser pendant mon absence. Je ne me suis pas sentie respectée et j’ai pris conscience que je ne pouvais plus travailler là-bas. On me demandait de séparer le personnel du professionnel, mais on ne peut se séparer en deux ! Avec le temps, je me dis que cela a été vraiment dur. En même temps, c’était le plus beau cadeau que j’ai eu puisque j’ai décidé de lancer mon entreprise.
Comment s’articule et s’organise cet accompagnement professionnel ?
Je m’adresse essentiellement aux femmes parce qu’elles me font davantage vibrer. Je parle au féminin, parce que j’ai mis 35 ans à comprendre que je vivais au masculin. Ce qui ne m’empêche pas d’accompagner certains hommes.
Mon objectif est d’accompagner les personnes dans leur évolution de carrière à l’aide des 5 sens. Je les aide à mieux se connaitre, à transformer leurs pensées en actions concrètes et créatives, tout en développant leurs compétences et leur confiance en eux. Cela leur permet souvent de révéler leur personnalité et d’élargir leurs perspectives.
Je propose plusieurs formules d’accompagnement, qui comportent toutes un volet d’accompagnement personnel. J’estime que le contact humain est primordial. La formule « Active ton courage » permet de concrétiser un projet d’entreprise. Elle permet aussi d’envisager un changement de métier ou de voie professionnelle.
Comment voyez-vous la place des femmes dans l’entreprenariat aujourd’hui ?
Je pense que la femme peut révéler son leadership par l’entreprenariat. Aujourd’hui, les femmes refrènent leurs actions parce qu’elles ont d’autres casquettes. Celle de la maman, de l’épouse etc… La professionnelle est rarement la première facette que l’on exploite alors que, pourtant, cette facette permet d’éduquer au mieux, d’inspirer.
Les femmes sont sous représentées dans la création d’entreprise. Cela participe à maintenir les inégalités professionnelles. Il faut se lancer, agir, pour obtenir l’égalité et soutenir ce qui a déjà été acquis comme le droit de vote, l’avortement ou le droit au compte bancaire. Il est indispensable que les femmes entreprennent pour qu’elles puissent être indépendantes financièrement, mais aussi pour qu’elles aient des leviers d’action. Ces leviers participent à notre émancipation.
L’écart entrepreneurial entre homme et femme se retrouve dans tous les pays occidentaux. La France fait partie des pays avec un faible taux d’entrepreneuriat féminin. Comment l’expliquez-vous ?
Les femmes ont souvent tendance à chercher à assurer la sécurité de leur foyer. Or, l’entreprenariat est associé à un niveau de risque élevé car on investit dans le futur sans pouvoir se verser de salaire avant un moment. En général, quand une femme se lance, c’est qu’elle sait que cela va marcher.
Derrière une entreprise, il y a toujours une idée de performance qui est sous-jacente. Il faut pouvoir dégager un chiffre d’affaires pour pouvoir ensuite se dégager un salaire. Les femmes ne sont pas assez accompagnées pour développer leur entreprise. Pourquoi ne pas envisager des solutions qui permettraient de soutenir financièrement celles qui veulent entreprendre ou se reconvertir ?
Quelles sont les spécificités de l’entreprenariat féminin selon vous ?
Selon les études, les femmes se lancent souvent dans le service ou dans les produits du quotidien et assez peu dans l’innovation. J’essaie d’encourager les femmes à entreprendre dans ces métiers et à développer des solutions innovantes pour notre environnement et notre société. Il est primordial que les femmes participent à ce mouvement.
Les femmes se lancent souvent dans les domaines du coaching, dans l’accompagnement, la thérapie. Entre 35 et 45 ans, les reconversions professionnelles sont souvent l’expression d’une recherche personnelle : celle de savoir qui l’on est au fond. Elles se tournent alors vers le développement personnel et découvrent que l’être humain porte en lui toutes les solutions. Elles veulent alors transmettre leurs découvertes.
Pour autant, les femmes ont tendance à imaginer leur entreprise trop localement, à contenir le succès de leur business. Les femmes s’autorisent rarement à être pleinement dévouées au succès de leur entreprise. Lorsqu’elles entreprennent, c’est pour avoir plus de temps avec leurs enfants et travailler plus en cohérence avec ce qu’elles sont, à l’inverse des hommes qui entreprennent pour le succès.
En octobre dernier, vous avez été élu Conseillère des Français de l’étranger pour la circonscription de Montréal. Pouvez nous parler de votre récente élection, de vos nouvelles responsabilités mais aussi des problématiques actuelles que vivent les Français établis dans cette circonscription du Canada ?
Mon élection est arrivée un peu comme un cheveu sur la soupe. Le premier de liste cherchait quelqu’un qui avait une expérience environnementale et je suis issue de ce domaine d’activité. J’ai notamment été amenée à gérer des projets de plusieurs millions de dollars dans ce secteur.
Quand on m’a proposée d’être sur la liste, je venais de créer mon entreprise. Pour moi cela faisait trop, mais mon mari m’a convaincu du contraire. J’ai décidé d’y croire et de devenir une jeune maman, entrepreneure et élue locale.
Je n’ai pas eu beaucoup de modèles féminins pour me montrer la voie quand j’étais jeune. Je veux pouvoir être cette possibilité d’ouverture d’esprit pour nos futures petites filles, un modèle multi facette : entrepreneurial, politique et familial.
En tant qu’élue, je rencontre un certain nombre de problèmes sur la circonscription de Montréal. Il y a le sujet des passeports et de l’accessibilité de l’administration française. Cela est notamment dû à la grande différence entre le nombre de français inscrits sur la liste de français de l’étranger et la communauté française réellement établie dans cette circonscription. On peut donc avoir de gros délais pour une demande de passeport par exemple.
Il y a aussi des cas de violence dans les couples où la femme a suivi le mari et se retrouve isolée, sans famille. Il y a beaucoup à faire afin de soutenir les compatriotes de ma circonscription.
Quels sont vos projets futurs ?
Je me suis investie en tant que trésorière dans le conseil d’administration de l’ONG Laval Innov . C’est important pour moi que l’innovation soit portée par des femmes et que soient créées des occasions de rencontres pour des personnes de différents écosystèmes (politiques, universitaire, entrepreneurial…)
Comme je vous l’ai déjà dit, je suis très investie dans l’éducation à l’entrepreneuriat des femmes par mes programmes de coaching que j’axe beaucoup sur les chiffres. C’est important de comprendre ce que représente la création d’une entreprise sur le plan financier (investissements, salaires, coûts…).
Et puis, j’ai d’autres projets basés sur les mêmes thématiques : le leadership féminin, l’évolution, et la créativité. L’idée est d’ouvrir le débat de l’entreprenariat féminin à travers le monde. Tout cela s’inscrit dans la suite logique de ce que j’ai commencé.