Claire Bastien, membre de l’ASFE Espagne nous partage l‘interview de Francisco Javier Alvarez García – professeur titulaire de la chaire de droit pénal de l’université Carlos III à Madrid. Il a travaillé pour divers organismes internationaux comme la conférence des ministres de la Justice du MERCOSUR et le système d’intégration d’Amérique centrale. Il a participé l’élaboration du code pénal du Honduras, a été conseiller à la rédaction de celui de République dominicaine ou encore celui du Nicaragua.
Francisco Javier Alvarez García été membre de la première commission, des violences contre les femmes, en 2006 qui avait pour but d’encadrer cette violence. Ce comité réunissait de nombreux hauts fonctionnaires principalement des femmes ainsi que des épidémiologistes et statisticiens.
Le nombre des homicides est-il similaire dans tous les pays?
L’indice de criminalité est en fait très variable selon les pays. En Espagne, le chiffre total des homicides est très inférieur à celui de nombreux pays. En effet, l’indice de criminalité espagnol est de 0,7/100.000 personnes, inférieur à celui de la France qui est de 1,32/100.000 personnes. En Amérique Latine, l’indice de criminalité est de 29 / 100.000. Un exemple au Salvador se sont produits 84 assassinats en un seul week-end !
Les violences faites aux femmes sont-elles dépendantes de facteurs socio-culturels ?
Nos statistiques d’homicides montrent qu’en Espagne il y a une sur représentation au sein des ressortissants d’Amérique latine qui ont une vision de la femme très différente de la vision européenne. Les victimes non espagnoles de féminicides sont sur-représentées. Entre 2013 et 2018, pourcentage de victimes non espagnoles est de 35,43%, à mettre en perspective avec les 9,89% de population étrangère vivant en Espagne. De même, le nombre d’auteurs de féminicides, non espagnols est de 33,03% soit trois fois plus que le nombre d’étrangers résidant en Espagne*.
Il faut remarquer que ceci est un phénomène général, les femmes vivant dans des pays en voie de développement sont plus sujettes à la violence de leur partenaire 32% versus une moyenne mondiale de 13%.
Ces chiffres parlent d’eux-mêmes et montrent que c’est un phénomène culturel c’est pourquoi en Espagne beaucoup parlent de « violences machistes » d’autant que les réseaux sociaux sont très représentatifs de la violence machiste.
Quand on parle de féminicides, peut-on facilement en déduire le nombre de femmes qui sont victimes de maltraitance au sein du couple ?
En ce qui concerne les violences faites aux femmes, les féminicides représentent seulement la partie émergée de l’iceberg. Ces chiffres sont indiscutables mais le nombre réel de femmes victimes de violences par leur conjoint ou ex partenaire est beaucoup plus élevé. En 2021, il y a eu un total de 162.848 plaintes pour violences de genre, soit une moyenne de 446 plaintes journalières ; ceci représente une augmentation de 8 % par rapport à l’année antérieure.
Une des explications pour laquelle le nombre des plaintes pour violences de genre est très inférieur à la réalité. Ces femmes sous l’emprise de leur compagnon n’imaginent pas qu’il peut les tuer par conséquent elles ne portent pas plainte.
De plus en 2006, lors de la première commission contre les violences faites aux femmes, il y avait encore peu de données. Les prévisions avaient été réalisées en tenant en compte des jeunes femmes de plus de 16 ans. Ceci explique la sous-évaluation du nombre de victimes car elles peuvent être beaucoup plus jeunes. Javier pense qu’il aurait fallu tenir compte des violences de genre survenant dès l’âge de 13 ans.
Quelles sont les mesures juridiques mises en place qui expliquent le succès de l’Espagne pour réduire le nombre de féminicides et en assurer la prévention ?
Souvent la justice n’est pas assez rapide. En particulier si le conjoint se rend compte que la femme a pris conscience qu’il la maltraite sans raison, les violences vont redoubler. Ce point est crucial et c’est pourquoi nous avons mis en place en Espagne :
- une formation des policiers avec un policier dans chaque commissariat, spécialisé dans les violences faites aux femmes ;
- des tribunaux spécialisés avec audition immédiate par un juge de telle sorte que les mesures soient prises rapidement et que le processus soit enclenché dans les meilleurs délais.
En conclusion il faut travailler non pas tant sur les féminicides que plus généralement sur la violence de genre car réduire le nombre d’homicides est très difficile. Dans tous les cas, le financement est critique. Le financement de la prévention des féminicides nécessite des ressources importantes.
* Chiffres extraits du rapport rédigé à la demande de la Delegación del Gobierno para la Violencia de Género.par Francisco Javier Alvarez García et son département de droit Pénal.
Claire Bastien