La résidence fiscale et ses conséquences sur l’imposition des revenus au regard de la Convention fiscale franco-turque

Chaque Etat dispose du droit régalien d’imposer les revenus des contribuables qui résident sur son territoire ou, lorsqu’ils n’y résident pas, en tirent des revenus. Il convient dès ici de bien noter l’existence de deux catégories de contribuables : les résidents et les non-résidents.

L’appartenance à l’une de ces catégories n’est pas sans effet sur l’étendue de leurs obligations fiscales. C’est pourquoi il leur est important de bien connaître le statut auquel ils appartiennent afin d’être en conformité vis-à-vis des autorités françaises et/ou turques en charge de la collecte de l’impôt. Nous présenterons dans cette perspective les critères permettant de déterminer la résidence fiscale d’une personne[1](1), puis les conséquences au regard de l’étendue de ses obligations fiscales (2).

1. LES CRITERES DE LA RESIDENCE FISCALE

1.1               Les critères de droit interne

Si l’on considère tout d’abord les critères du domicile fiscal tels qu’ils sont fixés à l’article 4 de la Loi turque numéro 193 sur l’Impôt sur le revenu (« Loi 193 »), est considérée comme ayant élu résidence en Turquie toute personne qui (i) y dispose d’un domicile , ou (ii) qui réside en Turquie plus de 6 mois consécutifs au cours d’une année fiscale.

Les critères alternatifs du domicile fiscal tels qu’ils sont fixés à l’article 4 B du Code général des impôts français (« CGI ») sont quant à eux les suivants : (i) l’existence d’un foyer ou d’un lieu de séjour principal, (ii) l’exercice d’une activité professionnelle non accessoire, ou (iii) la présence du centre de leurs intérêts économiques.

Comme chaque Etat a vocation à appliquer sa propre législation, il n’est pas exclu qu’une même personne puisse être considérée comme étant domiciliée fiscalement à la fois en France et en Turquie, ce qui peut déboucher sur une double imposition de ses revenus, qu’ils soient de sources française et turque.

En effet, la Turquie peut considérer qu’une personne est domiciliée fiscalement sur son territoire car elle y passe plus de 6 mois alors que la France peut considérer qu’elle est également domiciliée en France à raison du centre de ses intérêts économiques ou d’une activité professionnelle permettant de réaliser la plus grande partie de ses revenus. Nous sommes dans cet exemple dans une situation de conflit entre deux réglementations fiscales.

Inversement, une personne qui n’est pas ressortissante turque, et qui ne répond à aucun des critères visés plus haut à l’article 4 B du CGI, peut – alors qu’elle réside en Turquie pour une mission temporaire de plusieurs années dont elle tire l’exclusivité de ses moyens de subsistance – ne pas être considérée comme domiciliée en Turquie au sens fiscal du terme.

En effet, l’article 5 de la Loi 193 pose une exception lorsque la personne est de nationalité étrangère et que sa présence en Turquie présente notamment un caractère temporaire.

C’est précisément afin d’éviter ce type de situations que la France et la Turquie ont signé une convention fiscale datée du 18 février 1987, dont l’objet est d’éviter les doubles impositions en matière d’impôt sur le revenu (la « Convention »).

1.2               Les critères conventionnels

Avant d’aborder les critères fixés dans la Convention, il convient de rappeler que ses dispositions prévalent sur les dispositions nationales françaises et turques. Ce point étant précisé, quels sont-ils ?

Conformément à l’article 4 § 1 de la Convention, « l’expression résident d’un Etat contractant désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet Etat, est assujettie à l’impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction officiel, du lieu de direction des affaires ou de tout autre critère de nature analogue« . Comme nous l’observons ici, cet alinéa procède à un renvoi aux législations internes françaises et turques.

S’il n’existe pas de conflit sur l’Etat qui imposera, les choses en resteront là. Dans le cas contraire, il conviendra de se reporter aux critères subsidiaires visés à l’article 4 § 2 de la Convention aux termes duquel, « lorsque, selon les dispositions du paragraphe 1, une personne physique est un résident des deux Etats contractants, sa situation est de la manière suivante :

a. cette personne est considérée comme un résident de l’Etat où elle dispose d’un foyer d’habitation permanent ; si elle dispose d’un foyer d’habitation permanent dans les deux Etats, elle est considérée comme un résident de l’Etat avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux) ;

b. si l’Etat où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, ou si elle ne dispose d’un foyer d’habitation permanent dans aucun des Etats, elle est considérée comme un résident de l’Etat contractant où elle séjourne de façon habituelle ;

c. si cette personne séjourne de façon habituelle dans les deux Etats ou si elle ne séjourne de façon habituelle dans aucun d’eux, elle est considérée comme un résident de l’Etat dont elle possède la nationalité ;

d. si cette personne possède la nationalité des deux Etats ou si elle ne possède la nationalité d’aucun d’eux, les autorités compétentes des Etats contractants tranchent la question d’un commun accord« .

En général, la question de la résidence fiscale parvient à se régler avec les critères visés aux alinéas (a) et (b), sans qu’il ne soit besoin de recourir à ceux visés aux alinéas suivants.

2. LES CONSEQUENCES DE LA RESIDENCE FISCALE

Lorsqu’une personne est considérée comme résidente de l’un des Etats à la Convention, elle deviendra contribuable à obligation fiscale illimitée (en turc, Tam Mükellef) par opposition au contribuable à obligation fiscale restreinte (en turc, Dar Mükellef).

2.1               Obligation fiscale illimitée

Que ce soit en France ou en Turquie, les contribuables considérés comme étant résidents sont assujettis à l’impôt sur le revenu dans les conditions de droit commun à raison de l’ensemble de leurs revenus, que ces derniers soient de source française, turque ou étrangère, sous réserve de l’application de la Convention concernant certaines catégories de revenus.

Ils sont donc dans l’obligation de déclarer leurs revenus mondiaux, même si ces derniers ne sont pas transférés dans le pays de résidence, par le biais d’une déclaration fiscale annuelle.

Il existe néanmoins des exceptions à ce principe, lesquelles sont posées par des dispositions de la Convention qui retire, selon le cas, le droit à la France ou à la Turquie d’imposer certaines catégories de revenus.

C’est ainsi qu’un résident français ne sera pas imposable en France sur les loyers qu’il perçoit de la location d’une maison située en Turquie (article 6 § 1 de la Convention), sur les plus-values qu’il réalise sur la vente d’actions d’une société turque détenues depuis moins d’une année (article 13 § 5 de la Convention), d’un salaire qui lui sera versé en contrepartie d’un emploi exercé en Turquie (article 15 § 1 de la Convention), de jetons de présence qui lui seront versés en sa qualité d’administrateur d’une société immatriculée en Turquie (article 16 de la Convention).

2.2               Obligation fiscale restreinte

Les personnes qui ne sont pas considérées comme résidentes fiscales françaises au sens de la Convention sont soumises à une obligation fiscale restreinte. Elles sont imposables en France à raison de leurs seuls revenus de source française (article 164 B du CGI). L’inverse est vrai pour les personnes qui ne sont pas résidentes fiscales turques (article 6 de la Loi 193).

Ces personnes n’auront pas à déclarer leurs revenus mondiaux à l’une des administrations fiscales de l’un des Etats parties à la Convention.

Les cas de figure portent notamment sur les bénéfices réalisés par les entreprises résidentes d’un Etat contractant dans l’autre Etat contractant par l’intermédiaire de ce qui est conventionnellement désigné comme étant un établissement stable ou une base fixe (articles 5 et 14 de la Convention), sur le paiement de dividendes (article 10 de la Convention), d’intérêts (article 11 de la Convention) et de redevances (article 12 de la Convention).

Sur les trois dernières catégories de revenus, l’Etat de source du revenu peut, si sa législation le prévoit, procéder à une retenue à la source. Dans pareil cas, le contribuable, dont le revenu fait l’objet d’un prélèvement, pourra bénéficier d’un crédit d’impôt dans son Etat de résidence fiscale.

CONCLUSION

La qualité de résident fiscal d’un Etat plutôt qu’un autre est un élément central quant à l’étendue des obligations fiscales d’un contribuable.

Même en présence de la Convention, celle-ci reste parfois malaisée à déterminer en raison de situations rendues très complexes par la multiplicité de lieux de séjour plus ou moins fixes, de centres vitaux et économiques, et de nationalités, etc.

A titre d’exemple, nous pouvons citer un couple marié, dont l’un des conjoints est turc et l’autre franco-turc, vivant au Royaume-Uni, mais ayant des revenus de source principalement turque et, dans une moindre mesure française, lesquels conjoints disposent également d’une résidence à leur disposition en France et en Turquie. De quel pays sont-ils les résidents et par conséquent les contribuables à obligations fiscales illimitées ?

Il est important de le savoir car si l’administration fiscale conteste l’absence de déclaration d’un revenu de source étrangère, il appartiendra alors, sauf règlement amiable, aux tribunaux d’en décider.


[1] Nous nous intéresserons en l’occurrence qu’aux personnes physiques.

Par B. Bülent Özdirekcan, avocat aux barreaux de Paris et d’Istanbul

2 commentaires

  1. Puis entrer en contact avec vous ? Je réside à Paris mais compte me rendre à Istanbul début juin pour 2 mois
    Merci de me répondre. Bien à vous .

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