« La catastrophe naturelle la plus importante en France depuis 1902 »

Samedi 14 décembre, le cyclone Chido a frappé Mayotte un des départements d’Outre-mer qui concentre de nombreuses fragilités. Avec des rafales à plus de 220 km/h, le cyclone a dévasté le petit archipel. Les autorités craignent notamment un bilan humain très lourd. L’équipe de l’ASFE s’est entretenue avec M. Saïd OMAR OILI – Sénateur de Mayotte (RDPI) – sur ce terrible événement.

C’est une course contre la montre qui s’est engagée à Mayotte pour tenter de venir en aide aux sinistrés de cet archipel français de l’océan Indien. Pouvez-vous nous donner davantage d’éclaircissement sur la situation actuelle ?

C’est une crise majeure. Il s’agit de la catastrophe naturelle la plus importante en France depuis 1902 avec l’éruption de la Montagne Pelée, en Martinique ou on avait dénombré entre 25 000 et 30 000 personnes décédées.

La préfet a évoqué des centaines, voire des milliers de morts. Mais il va falloir des jours et des jours pour dresser le véritable bilan. L’île est détruite à 90 %.

Quand je suis arrivé à Labattoir, je n’ai pas reconnu ma commune, celle où je suis né. Dans le bidonville de la Vigie, qui compte 10 000 personnes environ, le second en nombre après celui de Kaweni à Mamoudzou, on a l’impression qu’une bombe a explosé. Depuis samedi et le passage du cyclone, les survivants n’ont plus rien à manger, et la distribution de l’eau n’a pas commencé. Aujourd’hui, on a distribué pour les habitants de ma commune deux bouteilles d’eau par jour, une boîte de sardines et une boîte de corned-beef par personne.

Pour l’heure, il est très dur de savoir quel est le bilan humain. La rumeur parle de 20 000 morts. A la Vigie, on en dénombrera sans doute plusieurs milliers. Des témoignages effroyables de personnes qui se sont rendu dans les décombres des bidonvilles commencent à circuler. 

Pour le moment, le réseau fonctionne très mal. Mais quand il sera rétabli et que les gens commenceront à s’appeler, j’ai peur que beaucoup ne répondent pas à l’appel.

Les secours ont été renforcés dimanche par la mise en place d’un pont aérien. Quels sont les moyens humains et matériels mis en œuvre par l’archipel et la métropole pour venir en aide à Mayotte ?

Il manque énormément de médecins. Un hôpital de campagne va être déployé pour soulager les hôpitaux, mais pour le moment, les gens doivent se débrouiller tout seul. Ils sont très résilients, il y a une vraie solidarité entre les mahorais au niveau des villages.

L’Etat a envoyé des militaires et du personnel de sécurité civile mais il faudrait sans doute tripler le personnel. A titre de comparaison, quand l’ouragan Irma a frappé les Antilles françaises en 2017, on a envoyé 3000 hommes pour 60 000 habitants dans l’île pour 35 000 à Saint-Martin côté français. Chido, c’est pire qu’Irma. En effet la population de Mayotte est de 400 000 habitants à Mayotte. Les moyens actuels déployés doivent être calibrés en fonction de ce chiffre.

« Il y aura certainement plusieurs centaines » de morts, « peut-être approcherons-nous le millier, quelques milliers », a déclaré dimanche François-Xavier Bieuville, le préfet de Mayotte, sur Mayotte la 1ère. Comment expliquez-vous ce terrible bilan humain ?

Il y a d’une part la force de cyclone intense qui a traversé l’île en deux heures, et les caractéristiques de cet archipel où on évalue à 100 000 personnes qui vivent dans des habitations très précaires et 77 % de la population qui vit sous le seuil de pauvreté.

La population ne garde pas en mémoire le risque car elle est très jeune et depuis 1984, date du dernier cyclone qui a traversé l’île, les alertes cycloniques n’ont pas été suivies d’évènements majeurs. La population située dans la zone dévastée par le cyclone n’est pas sensibilisée aux comportements à adopter en cas d’alerte. Alors que nous sommes dans une zone très vulnérable. 

Par ailleurs, une très grande majorité de la population ne maîtrise pas le français et les communications se font majoritairement oralement et dans les deux langues : le shimaoré (avec les racines du swahili) et le kibushi ( aux origines austronésiennes). La communication de prévention avant l’évènement et la communication de crise telles qu’on les pratique habituellement ne sont pas adaptées à la majorité de la population.

À cela s’ajoute la problématique de l’immigration clandestine, qui est assez importante. Elle s’installe surtout là où il y a de la place, c’est-à-dire dans les fonciers qui appartiennent au conseil département ou à l’Etat. C’est dans ces espaces-là qu’on trouve les plus grands bidonvilles, qui sont presque réduits à néant aujourd’hui.

En réalité, il n’y a pas eu de morts chez les gens qui ont des maisons en dur. Mais pour ceux qui étaient dans les bidonvilles… Tout a été emporté.

Aujourd’hui, l’urgence est l’arrivée de renforts, la population mahoraise a plus que jamais besoin d’aide. L’assistance attendue doit aussi être d’ordre psychologique. L’île est profondément traumatisée aujourd’hui.

Si on ne réagit pas rapidement, on va avoir une crise sanitaire majeure. Des gens sont encore sous les décombres à l’heure où je vous parle. La réponse de la métropole doit être à la hauteur de l’ampleur des dégâts.

En tant que Sénateur de Mayotte, quelles seraient les mesures que vous estimez nécessaires et essentielles pour restaurer la stabilité dans l’archipel après cet événement dévastateur ?

Je vais demander une commission d’enquête sur la gestion de la crise sur l’archipel. Nous avons eu en 2024 deux rapports sur les risques naturels en outre-mer. En 2018 et 2019 la délégation sénatoriale aux outre-mer a publié une évaluation d’Irma avec une série de propositions. La commission d’enquête aura pour mission de déterminer si ces recommandations ont été suivi d’effets dans la gestion de la crise Clido.

A Dzaoudi-Labattoir, commune de 20 000 habitants, seulement 1000 ont pu se mettre à l’abri. Beaucoup de personnes sans papiers, des immigrés clandestins, ont sans doute eu peur de rejoindre les abris, craignant que ce soit un piège tendu par les autorités pour les ramener aux Comores. C’est ce qui s’était produit en 2019, quand le cyclone Belna était passé très près de l’archipel. L’histoire se répète mais aucune leçon n’a été tirée.

Il n’y a que les journalistes de « Mayotte La Première » qui ont tenu leur antenne toute la nuit, la veille du 14 décembre, en français, shimaoré et kibushi, appelant les gens à se mettre à l’abri. Ils ont été remarquables et ils ont sauvé des vies avec leur message de prévention. Pourquoi la préfecture ne l’a pas fait ? J’aimerais que la commission d’enquête fasse toute la lumière sur le déroulé des événements et la préparation.

Aujourd’hui, il faut réagir rapidement, sinon, on va avoir une crise sanitaire majeure. D’autant que nous sommes en saison des pluies et il fait très chaud.

M. Saïd OMAR OILI – Sénateur de Mayotte (RDPI)

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