Ghassan Ayoub : « Un Liban enfin stable, c’est le vœu de tous les Libanais. »

La semaine dernière, Israël a approuvé un arrêt des combats dans sa guerre avec le Hezbollah, un cessez-le-feu entré en vigueur le mercredi 27 novembre. L’accord prévoit la mise en place d’une phase de retrait mutuel de soixante jours. L’ASFE s’est entretenue avec Ghassan Ayoub, Conseiller des Français de l’étranger au Liban, pour en savoir davantage sur la situation.

Quel est l’état d’esprit des Libanais suite à l’entrée en vigueur du cessez-le-feu ? Pensez-vous que cet accord inspire confiance à la population quant à une paix durable ?

Il faut dire que c’est un cessez-le-feu et non pas la fin des combats ; le scepticisme persiste, bien que la population libanaise accueille un répit dans les combats avec soulagement. Bien que certains considèrent cet accord comme une étape nécessaire pour arrêter les violences, beaucoup restent méfiants quant à sa durabilité, en particulier compte tenu des précédents historiques de trêves rompues dans la région. La méfiance est accentuée par les accusations mutuelles de violations entre les deux camps, et par l’ampleur des destructions, notamment dans des villages chiites comme Majdel Selm, où la population exprime à la fois sa résilience et ses doutes quant à une amélioration rapide des conditions de vie.

L’accord implique un retrait progressif des forces israéliennes et un contrôle accru par l’armée libanaise de la zone frontalière, côté libanais. Quels obstacles pratiques ou politiques pourraient survenir lors de cette mise en œuvre ? À votre avis, quelles garanties sont nécessaires pour éviter une reprise des hostilités et assurer une véritable stabilité ?

L’armée Libanaise a un rôle très important à jouer. Tout est dans l’application de l’accord, qui repose sur un déploiement de 10,000 soldats libanais dans le sud du pays, une tâche complexe pour une armée sous-équipée et manquant de soutien logistique. L’important dans ce processus est de faire de la zone sud du fleuve Litani une zone démilitarisée, incluant le retrait effectif du Hezbollah et la coopération de l’armée libanaise avec les forces internationales, notamment la FINUL (Force intérimaire des Nations Unies au Liban).

Au deuxième jour du cessez-le-feu, le Hezbollah et Israël s’accusent mutuellement de violations de l’accord. Ces violations représenteraient-elles un danger immédiat de reprise des hostilités, ou s’inscrivent-elles dans un jeu stratégique de négociation post-conflit des deux côtés ?

Les violations, bien que préoccupantes, semblent pour l’instant davantage relever d’une stratégie de démonstration de force et de test des limites de l’accord. Israël, tout en se retirant progressivement, maintient une posture de vigilance, tandis que le Hezbollah revendique une « victoire » stratégique. Un retour aux combats reste une possibilité si les tensions ne sont pas rapidement apaisées, surtout avec le peu de moyens que possède l’armée libanaise. Une surveillance renforcée par la FINUL pourrait jouer un rôle clef dans la prévention d’une escalade immédiate.

Ce cessez-le-feu a lieu dans un contexte de tensions plus larges au Moyen-Orient. Quelles répercussions potentielles voyez-vous pour le Liban et pour ses relations avec d’autres acteurs régionaux comme l’Iran ?

Vous touchez ici au problème initial. L’enjeu est trop grand. Depuis des décennies, le Liban est sous l’emprise d’une milice qui dépend de l’Iran, faisant que l’entièreté des Libanais lui servent d’otages. Par ailleurs, depuis quelques jours, des troubles ont surgis en Syrie, frappes israéliennes qui témoignent de la volonté du pays de limiter le transfert d’armes vers le Hezbollah. Les insurgés ont pris d’assaut la ville d’Alep, poursuivent leur marche sur Hama, et l’armée régulière Syrienne est inexistante. Ce dont j’ai peur, c’est qu’au nord du Liban, zone qui se trouve à un carrefour critique, des troubles commencent à apparaître, surtout dans la ville de Tripoli.

Le conflit a déplacé des centaines de milliers de Libanais. Quels efforts sont entrepris pour permettre leur retour en toute sécurité dans leurs foyers, et quel rôle les institutions internationales et les acteurs locaux jouent-ils dans ce processus ?

Dès l’annonce de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 27 novembre vers 4h du matin, des centaines de milliers de déplacés sont rentrés dans leurs villages au sud, ainsi que dans la banlieue sud de Beyrouth. Cependant, beaucoup de maisons et d’immeubles sont entièrement démolis. L’ampleur des dégâts dépasse même celle de 2006, et les ressources pour la reconstruction, demandant temps et moyens financiers, sont insuffisantes. Les initiatives internationales, notamment celles pilotées par la France, cherchent à mobiliser des fonds et une aide humanitaire.

Le Liban fait face à des défis économiques exacerbés par le conflit. Quels efforts sont nécessaires pour soutenir les communautés locales et expatriées dans cette période de transition ?

À mon humble avis, la communauté internationale, dont notamment l’Union Européenne et la France, a une grande responsabilité dans l’apaisement du conflit, ainsi que dans le soutien à la reconstruction et la relance économique. Des pressions diplomatiques sur les bailleurs de fonds régionaux qui financent le Hezbollah, et sur les factions politiques internes pourraient également contribuer à réduire les tensions qui freinent les réformes structurelles nécessaires. Un Liban enfin stable, c’est le vœu de tous les Libanais.

La France a une longue histoire d’implication au Liban, et son rôle dans le cessez-le-feu en témoigne. Voyez-vous des initiatives de la part des communautés expatriées, notamment françaises, pour participer à la reconstruction ou à la stabilisation post-conflit ?

La France ayant des relations séculaires avec le Liban, les expatriés sont retrouvés dans presque tous les secteurs majeurs du développement économique du pays ; les entreprises françaises, y représentant un atout majeur, sont une sorte de « baromètre » pour les Libanais. Leur rôle pourrait par ailleurs être amplifié par des programmes spécifiques de reconstruction, de telles actions concertées pouvant éventuellement redonner confiance aux investisseurs internationaux et aux expatriés libanais, troublés de voir de loin leur pays aussi fragilisé.

Avez-vous autre chose à ajouter ?

Mon seul souhait est que cette guerre permettra au Liban de retrouver sa liberté et son indépendance. La France, de son côté, aura un rôle principal dans notre redressement économique, grâce aux relations privilégiées qui relient les deux pays. Je suis confiant pour l’avenir : le Liban a toujours été une terre d’accueil et de résilience, où diverses communautés vivent ensemble depuis des siècles.

Ghassan Ayoub, Conseiller des Français de l’étranger au Liban.

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