« Nous n’avons jamais été à un moment aussi crucial »

Les élections présidentielles de novembre aux États-Unis s’annoncent comme un moment clef pour l’avenir du pays, marqué par une polarisation politique sans précédent. Les candidats, Kamala Harris et Donald Trump, font campagne dans un climat tendu, où les questions d’immigration, d’économie, de démocratie et de justice sociale dominent les débats.

Laure Pallez, ancienne élue des Français à l’étranger aux États-Unis et en Chine, co-fondatrice du think tank « La France et le monde en commun » et actuellement directrice associée au cabinet de communication d’affaires Mascaret, partage quelques réflexions en tant qu’expatriée sur les élections du 4 novembre prochain.

Pouvez-vous vous présenter en quelques phrases, détaillant notamment votre parcours en tant qu’expatriée française aux États-Unis ?

Je suis une ancienne française de l’étranger : j’ai passé une décennie en Chine et une autre aux États-Unis, à la fois comme professionnelle mais aussi comme élue des Français de l’étranger. Ma dernière expérience aux États-Unis était notamment en tant que conseillère économique à l’ambassade de France à Washington, sous les administrations Trump et Biden.

Quelle est la situation actuelle ? Pensez-vous qu’il y a eu une inversion des rapports de force, lorsque Kamala Harris a pris la place de Joe Biden en tant que candidate officielle du parti Démocrate ?

Effectivement : je pense qu’aujourd’hui, Donald Trump regrette d’avoir provoqué un débat avec le Président sortant en juin dernier, qui aura révélé la faiblesse du président candidat. La candidature de Kamala Harris a engendré un renversement de la tendance l’été dernier. Inversement, face à une candidate plus jeune et dynamique, la campagne des Républicains s’est vue affaiblie, leur argumentaire principal étant l’âge et le bilan de Joe Biden.

Depuis la mi-septembre pourtant, les Républicains se sont réorganisés ; les deux candidats se retrouvent au coude-à-coude, notamment dans les états pivots tels que la Pennsylvanie, Michigan, l’Arizona et la Géorgie, chacun ayant ses propres enjeux. En Pennsylvanie, le vice-colistier Vance cible surtout les électeurs catholiques aux valeurs conservatrices ; dans le Michigan, il est plutôt question d’enjeux commerciaux pour les cols bleus, donnant du mal à Harris pour gagner du terrain auprès de cet électorat ; dans l’Arizona, le combat tourne plus autour de la désinformation, les campagnes étant bien plus sophistiquées qu’en 2020 ; en Géorgie, un juge a bloqué un ensemble de règles approuvées par un conseil électoral pro-Trump jugées illégales inconstitutionnelles et nulles.

Quelle est l’importance des plateformes numériques et des réseaux sociaux dans la stratégie de campagne des candidats cette année, et comment cela façonne-t-il le débat public ?

La question tournerait plutôt autour de l’influence de certaines figures fortes, notamment dans la campagne des Républicains, tels qu’Elon Musk, qui y joue un rôle considérable non seulement de par son investissement financier de 45 millions de dollars par mois (Kamala Harris aurait elle amassé près d’un milliard de dollars de son côté), mais également vu le fondement de son engagement. Étant à la tête de l’une des principales plateformes de réseaux sociaux aux États-Unis, « X » (anciennement Twitter), il revendique très fréquemment la liberté d’expression du premier amendement de la Constitution. Il faudrait alors se demander si la mobilisation constante de ce droit constitutionnel serait à l’origine d’une montée nettement observable aujourd’hui du populisme aux États-Unis, se manifestant donc en ligne. Reste aussi à définir ce qu’est le populisme !

Dans quelle mesure le climat politique international, notamment la guerre en Ukraine, la guerre en Palestine et les tensions avec la Chine, joue-t-il un rôle dans les priorités de campagne des candidats ?

Nous n’avons jamais été à un moment aussi crucial : depuis deux ans, le monde devient de plus en plus violent, la géopolitique s’invitant au plan domestique par une brutalisation du débat politique. Or, c’est surtout la relation sino-américaine qui marquera le nouvel ordre mondial, pour des raisons commerciales, technologiques, etc. La Chine serait en effet à l’origine d’un déclassement des classes moyennes américaines, ce que l’on peut constater avec la crise des opioïdes (faisant des milliers de morts chaque année), dont le fentanyl, qui produit en Chine circule aux Etats-Unis, la nouvelle guerre de l’opium selon certains commentateurs américains. Il ne faut pas non plus oublier l’épisode du COVID-19, qui demeure dans l’imaginaire collectif américain comme « le virus chinois ».

La Chine est ainsi l’ennemi désigné des États-Unis, et les réponses lui étant adressées diffèrent en fonction des Démocrates – qui vont plus s’orienter sur des accusations de violations des droits de l’homme – et des Républicains – qui se concentrent plus sur des questions tarifaires et commerciales (Donald Trump ayant commencé la guerre commerciale avec la Chine en 2018, s’axant sur un protectionnisme économique).

Sur le Moyen Orient, un article du Washington Post explique l’impact négatif de la guerre au Moyen-Orient sur la campagne de K. Harris, notamment dans Michigan où vivent 300 000 Américains arabes et musulmans. « Leur soutien est d’autant plus difficile à obtenir qu’Israël a renforcé sa campagne militaire avec le soutien des Etats-Unis » écrivent les auteurs.

Depuis de nombreuses années, la thématique de l’immigration, ainsi que son instrumentalisation politique, est au cœur de l’agenda politique en France comme aux États-Unis. Dans l’optique d’une polarisation du débat entre Kamala Harris et Donald Trump sur le sujet, que pensez-vous de la place des français expatriés, notamment des binationaux aux États-Unis dans les campagnes électorales, ou plus largement dans la politique étatsunienne ?

Bien que l’immigration demeure le sujet central de cette élection, la place des expatriés français et notamment des binationaux dans le débat entre Kamala Harris et Donald Trump serait marginale, mais tout de même symbolique. En effet, les expatriés contribuent à l’économie américaine, particulièrement dans les secteurs qualifiés où les États-Unis ont un besoin de main-d’œuvre étrangère. Pour Harris, ils illustreraient plutôt une politique migratoire valorisant les talents étrangers, tandis que Trump pourrait les percevoir, dans son optique ultranationaliste, comme une concurrence pour les emplois. En attendant Trump tente de séduire par la fiscalité les Américains (et binationaux) hors de leur pays.

Finalement, malgré un durcissement rhétorique à l’égard de l’immigration, les Français expatriés et plus largement les binationaux, incarnent un type d’immigration professionnelle souvent valorisée par les deux camps politiques américains pour maintenir la compétitivité du pays.

Quel est votre pronostic pour les résultats finaux ? Avez-vous autre chose à ajouter ?

Je n’ai pas de pronostic à l’heure actuelle ; ma crainte porte majoritairement sur des questions d’ordre démocratique, dont le bon déroulement de ces élections, ou la contestation des résultats. La non-présentation des pièces d’identité fait également débat, ce qui interroge sur le processus électoral. Je suis d’ailleurs toujours très étonnée de voir que les Américains votent par anticipation, le vote ayant déjà commencé il y a deux semaines dans certains états.

Laure Pallez

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