Lundi 11 décembre se tenait la remise du Prix littéraire de la Résistance dans les salons de Boffrand du Palais du Luxembourg. Crée en 1948 par le Comité d’Action de la Résistance (CAR), ce Prix a pour objectif de récompenser un ouvrage pour ses qualités littéraires et historiques sur la Résistance, la France libre et la déportation. Ce fut l’occasion de s’entretenir avec Serge Barcellini, président du Souvenir Français (SF) depuis 2015.
Pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?
Je suis contrôleur général des armées du cadre de réserve (retraité). J’ai fait une partie essentielle de ma carrière sur les politiques de mémoire au ministère des anciens combattants où j’ai créé le service de la mémoire (DMCA). J’ai été trois fois directeur de cabinet de secrétaire d’Etat. Toute ma carrière se base sur les politiques de mémoire. Et maintenant et ce depuis 2015, je suis en charge de la présidence générale du Souvenir Français.
Serge Barcellini (Président du Souvenir Français) avec Jean-Luc Ruelle (Sénateur des Français établis hors de France)
Le Souvenir Français est une association fondée en 1887 qui a pour vocation d’honorer la mémoire de tous ceux qui sont morts pour la France, qu’ils soient Français ou étrangers. Vous êtes également actifs sur la scène internationale, comment s’articule la vie de vos délégations à travers le monde ?
Le Souvenir Français est une association très ancienne, une des cinq associations les plus anciennes de France aujourd’hui. Créée en 1887, reconnue d’utilité publique en 1906. C’est fondamentalement une association forte :
- Forte en France, du nombre de ses adhérents (85 000 adhérents, 1150 comités locaux) ;
- Forte également à l’étranger.
Depuis 1887, le Souvenir Français s’intéresse à la présence de la France à l’étranger, de la mémoire combattante française à l’étranger. On peut le remarquer avec trois exemples étonnants :
- C’est en 1912 que le SF finance et construit le seul monument de la Moscova (sur la campagne napoléonienne de Russie) ;
- C’est en 1906 que le SF construit le premier monument Waterloo en Belgique ;
- Le troisième exemple est encore plus étonnant. A Hiroshima, dans la partie épargnée par la bombe atomique se trouve le grand cimetière militaire d’Hiroshima. Il se situe à l’extérieur de la ville. Au centre de ce cimetière, il y a un carré militaire français du SF d’une dizaine de tombes de combattants français qui ont participé à la guerre des Boxers contre la Chine et sont morts en 1900.
Depuis l’origine, le SF se bat, se mobilise pour qu’il y ait une mémoire française à l’étranger. Lorsque l’Etat oublie, le Souvenir Français intervient. Nous gérons de nombreux ossuaires, de carrés militaires. A l’étranger, notre rôle est de faire vivre la mémoire nationale et combattante française. Et nous devons la faire vivre en faisant ce que nous savons le mieux faire, c’est à dire mobiliser autour de nous les expatriés, les francophones et les francophiles.
Le prix littéraire de la Résistance est décerné tous les ans par le Comité d’Action de la Résistance (CAR) à un ouvrage marquant de l’histoire de la Résistance et de la déportation. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce comité, et sur ce prestigieux prix qu’il délivre ?
D’abord je souhaite remercier notre Sénateur Jean-Luc Ruelle pour sa venue, et les Sénateurs présents. Ce prix qui est remis depuis 1961 au Sénat a une vraie valeur. C’est un prix excessivement important dans la mesure où depuis 1961 il couronne un ouvrage qui est un grand témoin de la Résistance. A l’origine, on remettait ce prix à des grands résistants qui écrivaient leur histoire. Aujourd’hui, nous remettons ce prix à des historiens, ou à des descendants pour montrer que la Résistance s’inscrit toujours dans l’actualité.
Lorsque nous parlons de Résistance, on parle bien sûr du temps présent comme ce qu’il se passe aujourd’hui en Ukraine par exemple mais pour parler de la Résistance d’aujourd’hui il faut être capable d’illustrer la Résistance d’hier. Ce prix illustre la Résistance d’hier. Le SF a hérité de la gestion de ce prix, nous sommes très fiers d’organiser ce prix et de le remettre chaque année.
Le jury est généralement composé de résistants, d’historiens, d’enseignants et d’universitaires. Sur quels critères de sélection les membres du jury se basent-ils pour l’attribution du premier prix ?
De 1960 à 1980, il n’y avait que des résistants dans le jury national du Comité d’Action de la Résistance. Petit à petit, les résistants ont disparu et le jury s’est modifié. Aujourd’hui, il s’agit essentiellement d’un jury de grands historiens, d’universitaires, de professeurs, d’actifs ou de non actifs. Je partage la présidence du jury avec Vladimir Trouplin, historien, conservateur du musée de l’Ordre de la Libération et compagnon de la Libération, avec Tristan Lecoq, historien et patron de l’Inspection d’Histoire, avec Aurélie Luneau, historienne et réalisatrice sur France Culture, avec la Secrétaire Générale du prix, Christine Levisse –Touzet, grande spécialiste de la Libération de Paris et enfin avec Sylvie Zaidman, docteur de l’université et conservatrice en chef du Musée de la Libération de Paris – Musée du Général Leclerc – Musée Jean Moulin. Ce qu’ont en commun les différents membres de ce jury est la préservation de la mémoire de 39-45.
Qui est le lauréat de cette année ? Pouvons-nous présenter son ouvrage et comment a-t-il réussi à se démarquer des autres nominés ?
Pierre Servent, le lauréat de cette année, est à la fois un historien et un journaliste, très engagé sur les questions de défense. Nous avons donc fait le choix de l’Homme mais aussi du livre. Son ouvrage présente un compagnon de la Libération qui a une particularité : il n’avait jusqu’alors jamais été étudié, ce qui est plutôt rare parmi les près de mille compagnons de la Libération existants. Les compagnons de la Libération ont tous eu une vie extrêmement riche. Ce compagnon de la Libération a également été combattant en Indochine. On croit que l’histoire de ces hommes était rectiligne, or ce livre nous a démontré à quel point la vie de ces hommes pouvait être sinueuse. Un historien journaliste, un descendant d’un compagnon de la Libération et un responsable d’association mémorielle sont les trois profils des lauréats de cette année. Ces trois profils là, c’est ce qui s’ouvre sur le temps nouveau des politiques de mémoire.
Si le Souvenir Français avait un message à faire passer aux prochaines générations, lequel serait-il ?
La nécessité du Souvenir Français, c’est d’apporter son appui le plus fort à la formation des jeunes d’aujourd’hui, avec quelques idées toutes simples. Le premier axe, c’est qu’aucun jeune ne devrait quitter sa scolarité sans être allé au moins une fois visiter un grand lieu de mémoire français tel que Verdun, les plages du Débarquement ou le Mont Valérien. Le deuxième axe, c’est qu’aucun jeune ne doit avoir quitté sa scolarité sans avoir participé à une cérémonie patriotique, tel que le 11 novembre ou le 8 mai. Veiller à cela, c’est l’effort du Souvenir Français. Mais cela ne suffit pas, ce qui compte aussi c’est l’enseignement de l’Histoire et le contenu de l’Histoire que l’on enseigne. Nous apportons régulièrement notre soutien aux enseignants. Comme dirait Ernest Renan « Si nous voulons faire Nation, il faut qu’il y ait Histoire commune et mémoire commune ». Tout le rôle du Souvenir Français, c’est de participer à la création de la mémoire commune des Français, qui passe nécessairement par les prochaines générations à venir.
Avez-vous autre chose à ajouter ?
Le prix va connaître en 2024 une très forte évolution puisque pour l’enraciner en permanence, nous nous sommes ouverts et le Prix de la Résistance devient le Prix du Comité d’Action de la Résistance. Nous rentrons donc en partenariat avec l’Ordre de la Libération pour que ce prix continue à vivre le plus fortement possible. Je tiens également à vous dire que nous avons une année 2024 excessivement passionnante car elle a trois grandes périodes décennales : le 110ème anniversaire de l’année 1914 (le temps des historiens), le 80ème anniversaire de la Libération de la France (le temps des derniers témoins) et le 70ème anniversaire de la fin de la guerre d’Indochine (le temps des derniers acteurs). Ces trois temps sont devant nous pour 2024. Le Sénat a son rôle à jouer et les sénateurs des Français de l’Étranger ont d’autant plus leur rôle à jouer pour porter cette mémoire à l’étranger.