Violences conjugales : ce qui change pour les femmes victimes de violences en 2023

Déclarée grande cause des deux quinquennats par le président de la République, l’égalité entre les femmes et les hommes repose d’abord sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. En dépit des efforts menés, les chiffres de ces violences publiés le 15 novembre par le ministère de l’Intérieur sont en hausse, à la fois preuve que la parole se libère mais aussi que le phénomène est massif.

En 5 ans, les signalements aux forces de l’ordre ont ainsi doublé (254 000), or seulement un quart des femmes portent plainte.

A l’approche du 25 novembre, journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, l’ASFE revient sur les dispositifs annoncés en 2023 pour tenter d’enrayer ces chiffres : 118 femmes ont été tuées et 267 tentatives de meurtres ont été comptabilisées, soit une hausse de 41 % pour l’année 2022.

Evoutions législatives et plan Égalité 2027

Loi de programmation du ministère de l’Intérieur

La loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur apporte des solutions partielles comme la possibilité de porter plainte en ligne, encore en test dans certaines localités françaises.

Loi créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales

La loi n° 2023-140 du 28 février 2023 octroie une aide d’urgence aux victimes de violences commises par le conjoint conditionnées à :

  • une ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales ;
  • un dépôt de plainte ;
  • un signalement adressé au procureur de la République.

Selon la situation financière et sociale, l’aide universelle prendra deux formes, celle d’un prêt sans intérêt ou celle d’une prestation non remboursable. Le ministère prévoit un budget de 13 millions d’euros pour l’année 2024. 

La demande sera possible auprès de toutes les CAF ou en ligne et sera transmise à la caisse d’allocations familiales (CAF) ou à la caisse de la Mutualité sociale agricole (MSA) pour être délivrée sous 3 jours (5 jours pour les non-allocataires). Cette enveloppe pourra s’accompagner des droits et des aides accessoires à l’allocation du revenu de solidarité active (RSA) comme l’octroi automatique de la complémentaire santé solidaire (C2S) et un accompagnement social et professionnel.

Les services de police seront désormais tenus d’informer les victimes de la possibilité de demander cette aide lors d’un dépôt de plainte pour violences conjugales et intrafamiliales.

Le remboursement du prêt d’urgence pourra être mis à la charge du conjoint, partenaire ou concubin violent dans le cadre d’une peine complémentaire. 

Les Françaises de l’étranger peuvent-elles bénéficier de cette aide d’urgence ?

La Sénatrice Evelyne Renaud-Garabedian avait déposé un amendement étendant cette avance universelle aux personnes françaises victimes de violences conjugales à l’étranger. Contre toute attente, cet amendement avait été déclaré irrecevable financièrement par l’administration du Sénat. Les services du Sénat avait indiqué que l’amendement de la Sénatrice étendant l’aide universelle d’urgence accordée par les caisses d’allocations familiales aux victimes de violences conjugales aux personnes expatriées qui ne sont juridiquement pas rattachées à une desdites caisses créait une charge, ce qui contrevient au droit d’amendement.

Ce texte créé par ailleurs une loi de programmation quinquennale portant sur la lutte contre les violences faites aux femmes, qui fixera des objectifs et des moyens financiers.

Plan Égalité 2027

Le reste des mesures annoncées cette année, est le fruit d’un rapport parlementaire remis au ministère de la Justice en mai 2023, intitulé « Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales », comptant une dizaine de mesures. Elles s’inscrivent dans l’annonce d’un plan interministériel pour l’égalité 2027 entre les femmes et les hommes présenté à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2023. 

Nous vous détaillons ces mesures qui devront faire l’objet dans les prochains mois de décrets ou de projets de loi et celles dont pourront bénéficier les victimes françaises à l’étranger.

Pôles spécialisés dans les tribunaux et fichier commun

200 pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales prendront place au sein des 164 tribunaux judiciaires et 36 cours d’appel, coordonnés par des magistrats référents du siège et du parquet, avec une adaptation aux spécificités locales. 

Leur particularité est qu’ils traiteront en transversalité les dossiers de violences intrafamiliales tant sur le plan civil (affaires familiales, assistance éducative, autorité parentale…) que sur le plan pénal (pôle mineur-famille au parquet, audiences correctionnelles). Ils disposeront d’un dossier unique et d’audiences dédiées. Cette mesure a été préférée à la création ex-nihilo de juridictions spécialisées sur le modèle de la justice espagnole. Un comité de pilotage unique au sein du pôle spécialisé garantira le partage d’informations entre les acteurs. Enfin, la formation des magistrats et de l’ensemble des acteurs de première ligne sera renforcée. 

Soulignée dans le rapport parlementaire, la nécessité d’une plus grande coordination entre les acteurs est essentielle. Plusieurs défaillances sur le suivi de conjoints violents et récidivistes ont conduit ces dernières années à des féminicides à répétition. Ainsi, la création d’un fichier regroupant les informations sur les auteurs de violences, à l’image du fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) est déjà en cours de création entre le ministère de la Justice et de l’Intérieur. Ce Fichier de Protection des Victimes de violences intrafamiliales (FPVIF) conduira à une meilleure prise en charge des personnes violentes faisant l’objet d’ordonnance de protection ou de bracelets anti-rapprochement et sera à terme enrichi de données relatives à la victime.

Ordonnance de protection sous 24 heures

Les ordonnances de protection sont en hausse de 157% pour l’année 2022 et font déjà partie des outils légaux indispensables à la protection des victimes. Les délais d’obtention sont généralement trop longs pour s’adapter aux violences faites aux femmes et pour que ce dispositif soit réellement efficace pour les victimes. On estime qu’il faut 6 jours (contre 49 avant 2019) pour autoriser l’éviction d’un partenaire violent ou interdire son contact avec la victime. 

Pour renforcer cette disposition, ces ordonnances seront délivrables sous 24 heures par le juge aux affaires familiales sans contradictoire. L’urgence de cette mesure est tempérée par le caractère provisoire de l’ordonnance qui doit être réexaminée par un juge dans un délai de 6 jours maximum. 

Au-delà des mesures judiciaires d’éviction, la modernisation des outils d’alerte ou de signalement est essentielle. À la suite de problèmes techniques, les bracelets anti-rapprochement (BAR) ancienne génération, seront peu à peu remplacés par de nouveaux modèles 5G plus efficients. 

Par ailleurs, le dispositif Téléphone Grave Danger (TGD) déployé depuis 2013 pour assurer la protection des personnes particulièrement vulnérables et en grave danger, victimes de viol ou de violences conjugales, devrait voir son budget renforcé dans le projet de loi de finances 2024 ; Il permet non seulement de donner l’alerte mais également d’être en lien avec une téléassistance dédiée qui contacte les forces de l’ordre grâce à un canal spécialisé et en géolocalisant en temps réel les victimes.

Travaux d’intérêt général spécifiques et aggravation des peines encourues 

Des travaux d’intérêt général spécifiques pour les infractions liées aux violences intrafamiliales pourront être effectués pour sensibiliser les auteurs. Il s’agit d’enrayer les phénomènes de violences afin de réellement prévenir les phénomènes de récidive, très fréquents chez les auteurs de violences conjugales. 

Enfin, l’extension de l’avance ne constitue pas en soi une charge puisqu’il peut s’agir d’un prêt remboursable par le bénéficiaire ou par l’auteur des violences.

Il a aussi été annoncé l’étude de la prolongation du délai de prescription des infractions sexuelles commises sur un majeur, si le même auteur commet un nouveau viol ou une nouvelle agression sexuelle.  

Cette décision permettrait de voir la prescription des deux infractions, prolongée jusqu’au délai le plus tardif, à savoir le délai de prescription de la seconde infraction. À l’instar de ce qui a été fait pour les mineurs par la loi n°2021-418 du 21 avril 2021, cette « solidarité temporelle entre victimes » contribuerait à la reconnaissance judiciaire de toutes les victimes d’un agresseur en série.

Maison des femmes et plainte sur site

Chaque département sera doté d’une structure médico-sociale de prise en charge globale des femmes victimes de tous types de violences, adossée à un centre hospitalier. Ces lieux offrent aux victimes un espace sécurisé de recueil de leur parole, d’accompagnement psychologique et juridique, d’information et d’orientation vers les partenaires (psychologues, médecins, associations d’aide aux victimes, policiers et gendarmes, tribunal, avocats…). D’ici à 2025, le nombre de Maisons des femmes, de 56 actuellement, sera donc doublé sur notre territoire.

De plus, une convention signée le 22 mai 2023, à la Maison des Femmes de Seine-Saint-Denis permet l’amélioration de l’accueil et de l’accompagnement des victimes à travers la mise en place d’un dispositif de prise de plainte en mobilité. L’objectif est de faciliter le dépôt de plainte en évitant à la victime un déplacement, notamment lorsque son état physique ou psychique ne le permet pas. Réalisé dans un cadre sécurisant, ce dispositif constitue un levier important pour permettre le dépôt de plainte.

Pack nouveau départ 

En expérimentation dans le Val d’Oise depuis le début de l’année 2023 pour faciliter le parcours des victimes de violences conjugales et lever les obstacles à la séparation du conjoint violent, le pack nouveau départ sera étendu dans 5 départements pilotes en 2024 puis déployé́ intégralement. L’aide financière d’urgence pour les personnes victimes de violence conjugale, créée par la loi du 28 février 2023 en est l’une des composantes. 

Et pour les Françaises à l’étranger ?

L’ampleur des violences au sein de couples de Français ou de couples mixtes vivant à l’étranger, ainsi que la prise en charge des victimes sont difficilement quantifiables en l’absence des chiffres et de remontées systématiques des postes consulaires. Il faut l’existence de ces femmes et de ces familles afin qu’ils puissent accéder aux dispositifs mis en place en France. 

Accompagnement dans les démarches et actualisation de la liste des structures d’accueil

Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères indique que les consulats accompagnent les victimes de violences conjugales et de mariages forcés et les orientent vers les services étrangers compétents(services de police, de justice, associations). Un recensement des structures d’accueil par pays (associations, centres, institutions…) avait été effectué et a été mis à jour en début d’année suite à la demande d’Evelyne Renaud-Garabedian.

Save you, première plateforme d’aide aux femmes françaises victimes de violences

Créée l’année dernière par l’association The Sorority Foundation, la plateforme d’aide aux françaises victimes de violences à l’étranger Save You, a traité plusieurs centaines de dossiers. Elle permet :

– l’accompagnement au retour en France grâce à son travail avec France Victimes et Coeur de guerrières

– le maintien dans le pays avec l’application The Sorority fondation

– l’établissement d’une cartographie des structures locales (professionnels, associations)

– la coopération des postes consulaires et du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Formation des agents et des personnels du ministère

Une formation, tant au sein de l’administration centrale qu’auprès des agents en charges des affaires sociales, est progressivement mise en place. Elle a pour objectif de mieux détecter les situations de violences conjugales et de mieux recevoir les victimes. Elles sont dispensées avant les départs en poste. De plus, les postes pilotes expérimentent des guides de formation à l’audition de victimes de violences conjugales et sexuelles qui sont appelés à se généraliser à l’ensemble du réseau. Evelyne Renaud-Garabedian a demandé à ce que ce guide soit également distribué à l’ensemble des élus – Conseillers des Français de l’étranger et délégués consulaires – au début de leur mandat.

Des formations sont également organisées directement par les consulats pour leur personnel auprès de professionnels locaux pour mieux accueillir et appréhender les victimes mais aussi pour présenter l’état de la législation locale en matière de droit de la famille.

Une information renforcée 

Des fiches “réflexes” – pour les agents mais également pour le public – existent déjà. Elles sont complétées par d’autres documents notamment concernant la prise en charge des victimes de violences conjugales. Une rubrique spécialement dédiée à l’information des victimes de violences intra familiales est en cours de création sur le site de chaque poste consulaire. Elle indiquera les coordonnées des associations locales spécialisées, des services de police locaux, du service des affaires sociales du poste ainsi que le numéro d’urgence d’aide aux victimes piloté par l’association France Victimes (depuis l’étranger : 00 33 1 80 52 33 76).

Enfin, des affiches informatives seront accrochées dans les salles d’attente des postes consulaires.

Visio plainte : déploiement prévu à l’étranger

La loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur prévoit la possibilité de porter plainte en ligne auprès d’un agent via un système de visioconférence pour les atteintes aux personnes ou aux biens. Un amendement adopté à l’Assemblée nationale permettra aux Français résidant hors de France de bénéficier à terme de cet outil. 

Evelyne Renaud Garabedian a interrogé la ministre de l’Intérieur et des outre-mer en octobre lors d’une question écrite sur le calendrier de déploiement du dispositif et sur son adaptation aux contraintes techniques liées à la situation des Français de l’étranger.

Retour en France

Afin de faciliter le retour en France de victimes de violences, les postes consulaires peuvent également faciliter la délivrance de titre de voyages d’urgence. Le ministère s’est également rapproché d’associations françaises (Voix des femmes et France Victimes) pour mieux assister et accueillir les personnes revenant en France à la suite de violences conjugales.  

Création du programme « Soutien aux femmes victimes de violences conjugales et formation » dans le projet de loi de finances 2023 et 2024

Evelyne Renaud Garabedian a présenté l’année dernière, un amendement au projet de loi de finances 2024, à la mission « Action extérieure de l’Etat » visant à une aide spécifique de 500 000 euros à destination des victimes françaises de violences conjugales à l’étranger. Une telle aide leur permettrait de quitter le domicile conjugal et de rebondir localement s’il est impossible de quitter le pays, par exemple du fait des enfants ou d’une procédure judiciaire en cours, ou bien de regagner la France, en finançant le billet d’avion pour elles et leurs enfants.
L’amendement avait été rejeté l’année dernière car il avait été avancé que les consulats pouvaient déjà aider nos ressortissantes via les aides consulaires. Pourtant, la situation sur le terrain semble bien différente.

Pour le budget 2024, les sénateurs de l’Alliance solidaire des Français de l’étranger re-proposeront cette mesure.

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