Le féminicide : un crime de haine misogyne 

Christelle Taraud est historienne, Senior Lecturer à NYU Paris et membre associée du Centre d’histoire du XIXe siècle (Paris I-Paris IV). Spécialiste des questions de genre et de sexualité dans les espaces coloniaux, elle a publié nombre d’ouvrages (sa bibliographie est à retrouver en bas de l’article) dont « Féminicides. Une Histoire Mondiale ».

Quelle est l’origine du concept de “féminicide” et comment se définit-il ?

Le concept de féminicide est né au milieu des années 1990, au Mexique. Il apparait pour tenter d’appréhender et d’analyser une situation terrible qui concernait l’ensemble de la zone frontalière entre les Etats-Unis et le Mexique. Il s’agit d’une zone d’ultra violence et ce pour plusieurs raisons.  

D’abord parce qu’il s’agit d’une zone frontalière. Une grande partie des populations qui y arrivent souhaitent, en effet, rejoindre « l’Eldorado états-unien » alors même que la traversée est de plus en plus périlleuse.  

C’est aussi une zone de capitalisme extrême et d’économie de prédation. Afin d’éviter, justement, une arrivée massive de travailleurs hispanophones, les Etats-Unis y ont concentré de très nombreuses usines – les maquiladoras – où, à très bas coût, des produits destinés exclusivement à l’exportation sont manufacturés. L’essentiel de la main d’œuvre de ces usines de sous-traitance est féminine avec tout ce que cela comporte : de très bas salaires, des contrats défavorables, des horaires de travail délirants et des cadences infernales, des violences sexuelles…  

Enfin, c’est une zone d’ultra violence parce que le Mexique est une plaque tournante de la drogue : une grande partie de la production qui y circule (et qui vient souvent d’autres pays) ayant vocation à inonder le marché états-unien. De gros cartels y sont installés et utilisent la zone frontalière, grâce notamment à un important réseau de « mules », pour faire transiter leur marchandise.  

C’est donc une zone extrêmement dangereuse où, à partir du début des années 1990, on se rend compte que des femmes disparaissent. On retrouve aussi des cadavres de femmes qui ne sont pas forcément celles dont on avait signalé la disparition. On observe alors une convergence d’acteurs et d’actrices pour médiatiser ce problème, d’abord pensé comme une accumulation de crimes isolés.  

À partir de 1992-1993, on réalise, au sein de la société mexicaine, que ces disparitions et/ou ces morts sont très nombreuses. Les familles qui étaient isolées commencent à se regrouper en collectifs et à interpeler les pouvoirs publics. Comme rien ne se passait, ils ont contacté des journalistes. Dans le même temps, des chercheuses féministes commencent à travailler sur le sujet. Cette convergence d’actrices et d’acteurs permet de démontrer l’importance du phénomène : il ne s’agit pas de cas isolés puisqu’on décompte des milliers de disparues et de mortes.   

C’est là que la chercheuse mexicaine Marcela Lagarde y de los Ríos, qui est aussi une grande femme politique, prend conscience que ce qui se passe au Mexique est sidérant et qu’il n’y a pas d’outil d’analyse et de compréhension pour en percevoir la gravité. Elle part donc d’un concept, celui de « fémicide », forgé quinze ans plus tôt à Bruxelles par la chercheuse féministe Diana Russell, au sein du premier Tribunal international des crimes contre les femmes.  

Ce concept permet d’appréhender les meurtres de femmes, essentiellement dans la sphère privée (partenaire intime, homme de la parenté de la femme), comme des crimes misogynes et de haine sexiste. Dans les années 1970′, bien que l’on sache déjà que la violence contre les femmes est systémique, ces actes sont encore perçus comme individuels et isolés. Le fémicide n’est pas encore considéré comme un problème sociétal et systémique tant à l’échelle locale que globale.

Dans sa définition originelle – définition qui sera ensuite élargie par Diana Russel elle-même au début des années 1990 justement – le féminicide est donc plus proche de l’homicide, à la différence majeure cependant que les femmes y sont tuées en tant que femmes.  

Le concept de « féminicide » introduit par Marcela Lagarde diffère et renvoie, lui, au féminin de génocide. Il s’agit pour elle :  

  • d’un crime sociétal qui engage toute la société ; 
  • d’un crime de masse qui ne s’inscrit pas dans un rapport de proximité (souvent les victimes ne connaissaient pas leur meurtrier) ; 
  • d’un crime d’Etat basée sur une nécropolitique, c’est à dire une politique de la mort, activée par des institutions étatiques qui participent directement (les policiers corrompus qui travaillent avec les mafieux) ou indirectement (les hommes politiques mexicains qui louvoient entre les cartels de la drogue et les agences étrangères comme la CIA tout en en tirant bénéfice) au processus féminicidaire ;
  • d’un crime à tendance génocidaire car ce n’est pas seulement le corps physique des femmes qui est visé mais l’identité féminine, l’univers féminin et plus généralement les femmes en tant que peuple.  
  • d’un crime préparé, jamais spontané, dans la mesure où nous vivons dans une société patriarcale qui produit des agresseurs et les autorise à agir. Il s’agit d’une logique systémique, ce qui ne veut pas dire que celle-ci est systématique : tous les hommes ne sont pas des meurtriers de femmes, heureusement.  

Comment sont tuées ces femmes ?

À propos des féminicides au Mexique, l’anthropologue argentine Rita Laura Segato évoque les « corps territoire » des femmes qui servent à baliser les « zones » que les différents acteurs masculins – les cartels, l’Etat mexicain et ses institutions, et les Etats-Unis et ses agences, en particulier la CIA – se sont partagées ou pour lesquelles ils sont en lutte. En utilisant cette expression, Rita Laura Segato démontre, de manière limpide, que les femmes ne sont pas considérées comme des individus, des êtres pensants et agissants, mais comme des objets, des marchandises dont on fait l’acquisition, dont on peut user et abuser à sa convenance et qu’on peut évidemment exécuter, avant de se débarrasser des corps, tels des déchets, dans les décharges des quartiers où ces femmes vivaient, dans les zones à la marge du désert ou dans les espaces semi-urbains périphériques.  

À la notion de « corps-territoire » développée par Rita Laura Segato s’ajoute aussi celle du sur-meurtre. Dans les féminicides au Mexique, les femmes ne sont pas tuées, par exemple, d’une simple balle dans la tête ou étranglées. Elles subissent post ou ante-mortem toute une série de violences. Systématiquement ou presque, il y a : 

  • des violences sexuelles ou des viols ;  
  • des mutilations, en particulier de l’appareil génital et reproducteur ;  
  • des démembrements ; 
  • des profanations, les corps retrouvés étant partiellement détruits par le feu ou l’acide et parfois couverts de brûlures de cigarettes.    

À quelle époque la France se met-elle à parler de féminicides ?

À partir du début des années 2000, même si ce concept était déjà présent, évidemment, dans certains milieux, notamment féministes et universitaires. Deux affaires qui ont lieu en France en 2002 et en 2003 vont changer cela.

Il y a d’abord l’exécution de Sohane Benziane à Vitry-sur-Seine. Une affaire qui a été totalement pervertie médiatiquement, dans le sens où on a fait passer cette exécution pour un « crime passionnel » alors qu’il s’agissait d’un petit caïd qui voulait empêcher la jeune femme d’entrer dans son propre quartier, en l’occurrence la cité Balzac.

C’est donc, ici aussi, un problème de territoire. Sohane Benziane est un « corps territoire », car en la brûlant vive dans une cave, son féminicidaire envoie un message très clair aux autres membres de la communauté : ici il y a une frontière, marquée par le corps de Sohane Benziane, et cette frontière, c’est moi qui la contrôle.

À l’époque, on ne perçoit pas du tout cela dans la société, parce qu’on n’a pas les outils pour le faire mais aussi et surtout parce qu’on ne veut pas le voir. C’était bien plus facile de faire passer cette affaire pour un « crime passionnel ». Pourtant, Sohane Benziane n’avait pas de relation amoureuse avec son meurtrier, elle s’était juste opposée à lui, refusant qu’il fasse la loi dans ce quartier qui était aussi le sien.

C’est à la suite de l’exécution de Sohane que naissent la Marche des femmes des quartiers et l’association Ni putes, ni soumises. Mais pour la société française, et en particulier au sein de ses élites, l’affaire Sohane Benziane est surtout utilisée comme une manière de conforter l’idéologie dominante qui consiste à penser que ces hommes-là, c’est-à-dire ceux qui sont issus de l’immigration et qui sont de confession musulmane, sont des « sauvages », des « barbares » inassimilables.

À contrario du meurtre de Sohane, la seconde affaire qui frappe les esprits, au début des années 2000, se situe à l’autre bout du spectre socio-économique et accrédite l’idée que les féminicides ne sont pas des actes isolés mais relèvent bien d’un problème systémique. Il s’agit, bien sûr, de l’assassinat de Marie Trintignant.

Avec cette affaire, on sort des quartiers populaires et immigrés pour entrer dans le milieu artistique. Du côté de Marie, on parle d’une des familles les plus (re)-connues du cinéma français ; du côté du féminicidaire, d’une figure majeure du rock français alternatif, très engagé politiquement, à gauche de surcroît.

Pourtant, force est de constater que le résultat est le même. Et là encore, le discours médiatique est hallucinant alors que les explications de Bertrand Cantat ne tiennent pas la route deux minutes. Elles vont pourtant tenir jusqu’à ce qu’on rapatrie Marie Trintignant en urgence sanitaire en France et qu’on découvre la réalité des dégâts causés sur son visage et son crâne.

On comprend alors l’acharnement déployé mais aussi sa lente et terrible agonie : sept heures durant Marie a attendu, comateuse, dans le lit de cet hôtel de Vilnius, avant que son frère, venu à la rescousse, ne prévienne enfin les secours.

Avec cette affaire, on prend donc conscience, en France, que les féminicides touchent toutes les femmes ?  

C’est surtout qu’on prend conscience que cela touche tous les types d’hommes. Parce que le discours officiel de l’époque, c’est que les féminicides sont causés par une catégorie d’hommes en particulier, c’est à dire ceux issus des classes populaires de manière globale et plus spécifiquement d’origine immigrée. Or, il faut le rappeler avec force, il y a des féminicides dans toutes les classes d’âge, même chez les très jeunes, dans toutes les catégories sociales, dans toutes les confessions religieuses et dans toutes les catégories ethniques. Et le féminicide est toujours un crime de haine misogyne, que la victime soit tuée par un partenaire intime, un membre de sa famille ou un étranger.

Quel(s) effet(s) cette prise de conscience a-t-elle eu ?  

Il va d’abord falloir revoir tous les « cold case », les affaires non résolues. Le nouveau pôle de Nanterre dirigé par Sabine Kheris, s’est d’ailleurs constitué sur cette base. On y constate que les crimes contre les femmes et les disparitions inquiétantes dont elles sont les victimes sont surreprésentés puisqu’ils constituent plus de 75% des affaires non élucidées. Ma théorie est qu’il s’agit de féminicides d’un type nouveau, qu’on n’a pas encore vraiment identifié et qui serait ce que j’appelle des féminicides « one shot », commis par un homme étranger à la victime.  

Il y a dans la société française des hommes qui haïssent tellement les femmes qu’ils vont, à un moment donné, parce qu’ils en ont l’opportunité, passer à l’acte. Cela se traduit par ces disparitions inquiétantes et ces meurtres non résolus car ces hommes n’ont aucun lien avec leur victime et ne tuent qu’une seule femme, ce qui rend le travail des enquêteurs plus que difficile, en particulier quand le corps n’a pas été retrouvé.  

Quels sont les grands enseignements qu’on peut tirer de votre ouvrage « Féminicides. Une Histoire Mondiale » ?

La principale découverte est cette prise de conscience du fait que les femmes sont inscrites dans des cycles de violences qui les touchent de la naissance à la mort et parfois même avant la naissance. C’est le cas des fœticides et infanticides de masse à l’échelle planétaire. Pour la première fois dans l’histoire humaine, cela a atteint des proportions de nature à déséquilibrer notre démographie mondiale.

Depuis les années 1970′ sur le continent asiatique, 200 millions de femmes ne sont pas nées ou n’ont vécues que quelques heures du simple fait qu’elles sont des femmes, en particulier en Chine en raison de la politique de l’enfant unique, et bien sûr en Inde. Le continuum féminicidaire [NDLR : ensemble des violences qui participent à la domestication, la chosification, l’anéantissement des femmes], concept que j’ai forgé pour saisir les trajectoires de violences qui constituent la vie des femmes, permet d’en éclairer tout le spectre. Un spectre qui est extrêmement étendu puisqu’il va des violences physiques les plus évidentes, aux violences plus symboliques comme la négation de leur rôle dans la construction de leur propre pays.

Tout cela est extrêmement lié dans la mesure où la politique d’écrasement des femmes se joue à tous les niveaux du spectre. Ce continuum permet aussi de mettre en lumière le fait que pour survivre, individuellement et collectivement, les femmes cloisonnent les épisodes violents. Rares sont celles, en effet, qui font le lien entre les violences dont elles sont les victimes.

Ce qui est subi en permanence – harcèlement de rue ou dans les transports, remarques ou regards salaces, inégalités à l’école, au travail, dans le monde politique, culturel, scientifique, médiatique, néantisation dans les récits, dans les langues… – est qualifié, au mieux, de « micro-agressions » et n’est pas considéré comme grave au regard des « macro-agressions » (coups, crimes sexuels, contrôle coercitif, féminicides). Pourtant, il faut comprendre que ce qui conduit à la mort passe souvent par ces « micro-agressions » permanentes : humiliations, surveillance constante de la personne, violences psychologiques…

Dans ce contexte, comment analyser l’attitude de celles que vous appelez les « collaboratrices » , c’est-à-dire les femmes qui collaborent avec le système patriarcal ?

Pour le comprendre, il faut s’intéresser à la deuxième phase de « domestication » des femmes en France, qui commence avec les chasses aux « sorcières ». Les chasses aux « sorcières » sont d’abord une politique d’éradication. Le premier génocide de l’histoire de l’humanité, c’est le génocide contre les femmes, en tant que femmes, mené en Europe entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIIe siècle.

Ces chasses résultent d’une volonté des hommes – en particulier des élites masculines – de mettre au pas les femmes qui étaient entrées, à la fin de l’époque médiévale, en rébellion contre les ordres patriarcaux un peu partout en Europe. Des femmes qui voulaient travailler pour un salaire, être maitresses de corporations, remettre en cause le primat des hommes sur le religieux et/ou sur le savoir formel ou encore la concentration des terres et la captation des communs par les propriétaires etc.

Partout en Europe des textes d’une misogynie terrifiante surgissent alors. Et des paroles aux actes, il n’y a qu’un pas vite franchi : l’idée étant d’éradiquer toutes les femmes considérées comme inassimilables ou incontrôlables, les rebelles en sommes. Les autres – les survivantes – ont été soumises à une politique de domestication violente dont l’objectif était de briser les sororités nées à l’époque médiévale, notamment dans les zones rurales.

Dans les villages, en effet, les femmes avaient du pouvoir et avaient mis en place des structures de partage d’expertises, de connaissances et de solidarités. En d’autres termes : des contrepouvoirs. Une fois les sororités brisées, l’endoctrinement des femmes a (re)-commencé. Il consistait à leur expliquer qu’elles n’avaient aucune existence en propre, qu’elles ne s’appartenaient pas, qu’elles ne pouvaient être que les extensions d’autre chose : de leur famille, de leur communauté, de leur nation et plus tard de leur « race ». Un discours matérialisé, en France, dans l’article 213 du code civil de 1804 : « La femme doit obéissance à son mari ».

Dans ce contexte, les « femmes collaboratrices » sont celles qui ont très bien assimilé le fait qu’elles n’étaient rien par elles-mêmes et tout par leur père, leur mari et plus encore par leur fils, la triade patriarcale. L’ensemble des désirs féminins ont alors été « canalisés » dans la maternité au sein de l’espace intime et domestique, notamment celle qui consiste à donner naissance à des mâles. Ainsi, on ne s’étonne pas de voir la mère de Jorge Vilda, l’ex-sélectionneur de l’équipe nationale de football féminine d’Espagne, monter au créneau pour défendre son fils dans l’affaire Rubiales.

Quel regard portez-vous sur la manière dont les médias rendent compte des affaires de féminicides ? 

Cela a beaucoup évolué depuis les deux affaires Benziane-Trintignant. Un processus a été enclenché à ce moment-là qui porte ses fruits aujourd’hui, puisque désormais on en parle. Pour autant, on en parle encore mal. Il y a donc du travail à faire de ce côté-là pour éviter la romantisation ou la surexposition du féminicidaire dans les récits, l’invisibilisation ou la culpabilisation de la victime encore trop souvent visée par le « victim blaming », qui consiste à la salir, à l’accuser, et à la rendre responsable de son meurtre pour dédouaner l’homme qui l’a exécutée.  

Il faudrait aussi que les médias français adoptent, sur cette question, une charte déontologique qui encadre la manière dont les affaires de féminicides sont traitées, dans le respect des victimes et des co-victimes, enfants et parents notamment.  

De quelle manière les féminicides sont-ils traités par la justice et la police ?

Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’on ne règlera pas la question des féminicides par la chaîne répressive, même si cette dernière est essentielle, en particulier pour les familles de victimes qui sont d’ailleurs très engagées dans ce combat en France. Toute la question est de savoir ce qu’on peut faire en amont et comment on crée une société égalitaire. Or, l’Etat Français est patriarcal, il ne peut donc pas être producteur, tel qu’il est aujourd’hui, d’une véritable politique égalitaire. Il faut donc inventer autre chose.

Le phénomène sociétal structurel qu’éclaire le féminicide – le système d’écrasement des femmes – ne se règlera pas dans les tribunaux, car il relève de toutes les instances de socialisation collectives, comme l’école, mais aussi de chacun d’entre nous. Les familles, notamment, sont des zones dangereuses pour les femmes comme pour les enfants. On y acclimate les filles et les garçons à la violence physique, psychologique et sexuelle. Il faut déconstruire tout cela.

En matière de politique publique contre les féminicides, on doit mettre en place des politiques à long terme qui visent à construire une nouvelle société sur d’autres bases, mais aussi à court terme pour gérer l’urgence. C’est la raison pour laquelle les militantes féministes et les familles de victimes se sont mobilisées pour que des pôles spécifiques soient créés, comme en Espagne, ce qui est maintenant acté.

Mais les moyens manquent, alors même que la justice comme la police sont des corps patriarcaux et masculinistes. Il faut donc former ces acteurs, policiers, juges et gardiens de prison – le taux de récidive féminicidaire étant important. Mais qui pour les former et les former à quoi ? La majorité des formateurs et des formatrices ne sont pas féministes et ne maitrisent pas les concepts. On a donc un gros problème à ce niveau-là.

Autre difficulté : l’application des ordonnances d’éloignement. La policière Karen C., tuée le 31 août dernier en Savoie par son ex-compagnon, était elle-même responsable du pôle « violences faites aux femmes » de son commissariat. Elle avait obtenu une ordonnance de protection pour le résultat que l’on connait. Car émettre des ordonnances de protection et accepter de prendre des plaintes, c’est bien, mais qui s’assure ensuite que les femmes soient vraiment en sécurité et protégées de leurs agresseurs ?

Comment favoriser l’émergence de cette société égalitaire que vous appelez de vos vœux ?  

Plus de sororité inclusive est une réponse possible. Les femmes et les hommes ne sont pas socialisés de la même manière. On le voit bien aux statistiques de genre dans les prisons, remplies à 96% d’hommes pour 4% de femmes, tous délits confondus. L’éducation à la violence est avant tout une éducation masculine, qui n’a rien à voir avec le contexte socio-économique des personnes puisque là encore, ce sont les femmes les plus touchées par la précarité.  

On parle donc ici d’éducation à l’agressivité, à la violence, à la prédation, à la concurrence etc… À contrario, les femmes sont globalement socialisées autrement, autour de valeurs telles que la bienveillance, l’attention, le soin… les politiques du « care » sont ainsi essentiellement féminines. Des qualités qui se révèlent essentielles à la survie d’une société, comme on s’en est aperçu récemment, mais aussi à sa cohésion.  

Peut-être qu’une société plus égalitaire pourrait justement se construire autour de ces valeurs qui ne seraient plus considérées comme « féminines » mais universelles ; des valeurs qui permettent de faire société plutôt que de défaire, d’accaparer, de piller, de détruire. La sororité inclusive sous-entend que tous les hommes qui sont prêts à abandonner les valeurs de la masculinité hégémonique et à tourner le dos à la violence sont les bienvenus. Une société véritablement égalitaire – et donc pour moi humaine – se construit ensemble, pas les uns contre les autres.

Christelle Taraud, historienne spécialiste des questions de genre
©Charlotte Krebs

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