En cette rentrée scolaire, l’ASFE est allée à la rencontre de Laurent Strupler, proviseur d’établissement d’enseignement français à l’étranger. Alors qu’il vient de quitter le lycée Marie Curie de Zurich pour le Lycée Français International de Porto, il revient sur son parcours ainsi que sur les spécificités de l’AEFE.
Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Laurent Strupler, j’ai 50 ans, j’ai suivi des études de Langues Etrangères Appliquées (LEA). C’est un cursus intéressant car la 1ère année j’étais à Aix-en-Provence, la seconde à Londres, puis à Cologne et la dernière année je suis retourné à Aix.
C’était déjà le début d’un goût du voyage et de l’expatriation.
J’ai également habité 2 années en Allemagne dans le cadre de mon service militaire. J’ai ensuite donné des cours de Français Langue Etrangère (FLE) à des enseignants. C’était de 1993 à 1995 en ex-Allemagne de l’Est et j’enseignais à des professeurs de l’ex-RDA. Cela a été extrêmement intéressant, ils préparaient le concours pour devenir professeur de français.
J’ai une formation pour être professeur des écoles dans le 1er degré. Je me suis spécialisé pour m’occuper d’adolescents avec des difficultés d’apprentissage et j’ai travaillé dans un internat, en Etablissement Régional d’Enseignement Adapté (EREA).
L’intitulé exact est professeur des écoles et éducateur, je m’occupais des élèves quand ils n’avaient pas classe notamment avec l’aide aux devoirs, ou en proposant des ateliers, du football, des soirées dans les dortoirs, de l’éducation à l’hygiène etc. C’était vraiment une mission éducative avec ces enfants qui viennent de milieux défavorisés. J’ai fait cela 6 ans. Puis je suis devenu chef d’équipe et éducateur principal, je gérais le budget, les emplois du temps…
Par la suite, j’ai passé le concours de personnel de direction dans le secondaire, puis je suis devenu principal adjoint dans un collège à Hénin-Beaumont.
Avec mon épouse qui est irlandaise, nous avions depuis longtemps le projet de nous expatrier mais avec les enfants et la maison, il y a eu du retard et finalement en 2015, j’ai postulé à l’étranger et ma candidature a été retenue à Munich.
Quand on travaille à l’étranger en tant que personnel de direction de l’Éducation Nationale, on peut rester au même endroit entre 3 et 5 ans, et au bout de sa mission, on peut demander une 2ème expatriation. J’ai ainsi postulé à Zurich en 2020 et j’ai été chef d’établissement au lycée français.
En général, l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger (AEFE) publie la liste des postes vacants en septembre et on peut candidater pour l’année suivante. On fait entre 6 et 8 vœux sur les postes disponibles. C’est ensuite à l’AEFE de dire oui ou non ou de proposer autre chose. L’AEFE recherche des gens mobiles, prêts à s’expatrier, à vivre des expériences.
Vous avez été principal adjoint et éducateur dans des écoles dans le Nord de la France, quelles différences constatez-vous par rapport à votre poste actuel ?
Pour commencer, parlons des choses qui sont semblables. Ce qui est important de savoir est que les lycées français à l’étranger sont homologués par le ministère de l’Education français. Ce qui signifie que nous suivons les mêmes programmes qu’en France, nous avons les mêmes instances décisionnelles et surtout nous préparons aux examens français.
Parmi les différences, l’établissement à l’étranger est payant par rapport système français. Nous recevons des subventions de l’AFE mais elles ne couvrent qu’une partie des frais et le reste est donc financé par les frais de scolarité. Bien souvent les lycées français sont d’anciennes associations fondées par des parents d’élèves et donc initialement privées. Le côté historique explique également cet aspect.
Une autre différence importante est que les parents, notamment d’établissements conventionnés et partenaires, sont très impliqués dans la gestion. Ils ont un rôle très fort car certains font partie du comité de gestion, ils ont une responsabilité financière de l’établissement.
En tant que chef d’établissement à l’étranger, il est nécessaire d’entretenir de bons rapports avec le comité car le proviseur va devoir appliquer les décisions, mais doit surtout garantir l’homologation.
Nous ne sommes pas des établissements élitistes. Dans chaque école française, il y a des élèves qui bénéficient de bourses, appelées bourses consulaires. Cet argent public est là pour aider les familles selon un critère de revenu, cela amène une certaine diversité sociale.
Mais ce qui est très marquant c’est le côté multiculturel, multilingue des élèves des lycées français. Les élèves viennent de partout, ils ont des parcours de vie variés, et ont généralement une ouverture culturelle. Le niveau scolaire général est très bon, les classes sont studieuses, sérieuses, il y a beaucoup de participation.
Je trouve que les élèves et le personnel sont en général très bienveillants, avec de très bon accueil, et une solidarité peut être plus forte qu’ailleurs. Il y a un sentiment d’appartenance qui n’empêche pas les difficultés mais crée une proximité. Souvent il s’agit de plus petites structures qu’en France.
Je dirais qu’il y a deux parcours d’élèves, ceux qui sont dans la même école depuis toujours et ceux qui déménagent tous les 2/3ans. Il y a toujours du mouvement.
Pour résumer, je dirais que c’est à la fois pareil et complètement diffèrent !
Vous avez déjà changé plusieurs fois d’établissements, pouvez-vous nous en dire davantage sur le processus de mutation des proviseurs d’écoles françaises basés à l’étranger ? Est-ce que vous êtes obligé de changer de lycée tous les X années ? Choisissez-vous le pays ou la ville dans laquelle vous voulez travailler ?
Alors le principe est le même qu’en France, il faut rester minimum 3 années et maximum 9 ans dans un objectif de renouvellement de direction d’établissements. Cela amène de nouvelles personnes, de l’air frais mais permet également d’avoir de nouveaux défis.
A l’étranger, c’est la même logique, après 2 missions nous sommes obligés de rentrer en France pour un minimum de 3 ans.
Dans mon cas, le lycée de Zurich change de statut, il va devenir partenaire et par conséquent le poste de chef d’établissement, au lieu d’être attribué à un fonctionnaire, sera attribué en contrat local. Du fait de ce changement, je pars au bout de 2 ans pour aller à Porto au Portugal, ce qui est une exception.
Je pense qu’il est toujours mieux de parler la langue du pays d’accueil. En effet, parfois certains parents d’élèves ne parlent pas le français. De plus, dans mon travail je suis amené à rencontrer des responsables locaux comme le maire de la ville, le directeur du département de l’éducation, les services sociaux, ou encore la police. Évidemment, quand on ne parle pas la langue, on s’appuie sur les personnes bilingues, les collègues, un grand nombre de personnel notamment administratif le sont. Je ne parle pas Portugais, mais je compterai sur le proviseur adjoint pour m’aider et j’espère apprendre à maitriser la langue de manière professionnelle.
Quelle est la différence entre les établissements directement gérés par l’AEFE et les établissements privés de droit local conventionnés avec l’AEFE ? Quel est le statut du lycée français de Zurich ?
Il y a 3 statuts possibles à l’AEFE. Les établissements en gestion directe qui sont sous la tutelle directe de l’AEFE d’une manière administrative et financière. Il y a par exemple les lycées de Munich, Madrid, Londres ou encore Rome qui sont dans ce cas. Les établissements conventionnés ont signé une convention auprès de l’AEFE qui précise les services rendus, les dispositifs de formations et de nomination. Ils sont gérés par des associations ou fondations de droit privé français ou étranger. Puis il y a les établissements partenaires, là on est sur une relation plus distante, il n’y a pas de personnel de l’AEFE. Ils sont également gérés par des associations de droit privé, français ou étranger. L’accord de partenariat avec l’AEFE concerne la formation continue du personnel, les missions d’inspection et l’accès aux ressources.
Au total l’AEFE compte 552 établissements.
Vous êtes coordonnateur opérationnel AGORA Monde / ADN AEFE pour la Zone Européenne Centrale et Orientale. En quoi cela consiste-il ?
Alors c’est un mot compliqué pour une chose simple. L’AEFE propose ce dispositif en travaillant sur 2 champs. Le 1er concerne l’orientation. Via AGORA, on retrouve un forum de discussions destiné aux élèves des lycées français de l’étranger, on organise des chats, des temps forts avec notamment la semaine d’enseignement de spécialités, il va y avoir des professeurs qui sont là pour répondre aux questions. Il y a également une semaine Parcoursup ou encore des semaines thématiques qui portent toujours sur l’orientation.
Le second objectif avec ADN est un système d’échanges entre les élèves de lycée français. Cela se déroule en seconde et permet d’aller chez leurs partenaires, certains lycées en France sont également concernés.
Il y a eu une mise à l’arrêt dû au Covid. Néanmoins, depuis 2 années scolaires, nous avons mis en place ADN Carbone 0. Ce sont des échanges entre classes de 3ème avec différents projets, incluant le sport, mais aussi l’expression artistique.
Je suis coordonnateur afin de mettre en place les projets, inscrire les élèves sur les différentes plateformes, respecter les calendriers. Je suis le relais des informations pour la zone qui s’étend de l’Allemagne à la Russie. J’aide les gens, j’anime des formations. C’est une mission particulière qui amène à travailler avec des collègues du monde entier, c’est un vrai bonheur professionnel qui m’apporte beaucoup d’enrichissement grâce à son aspect très international.
Avez-vous quelque chose à ajouter ?
J’ai envie de dire que l’expatriation est une décision difficile même si l’on ne part pas loin. Cela inclut un déracinement, être loin de ses amis, de sa famille. Il ne faut pas sous-estimer cela. En revanche, cela est bien souvent une expérience très enrichissante et encore plus si l’on peut la vivre en famille. C’est une page marquante pour la mienne.