Gilles Servanton, membre de l’équipe ASFE Espagne, a recueilli le témoignage de Tatiana Turchyn, ukrainienne arrivée il y a 20 ans en Espagne. Elle a accepté de témoigner de la situation de son pays dans ce conflit russo-ukrainien et de ce qui est mis en place en Espagne pour venir en aide aux réfugiés.
Gilles : Merci d’avoir accepté cette rencontre pour témoigner de votre engagement en faveur de vos compatriotes ukrainiens en guerre depuis plus d’un mois. En 2003, vous avez été quitté l’Ukraine, pour des raisons économiques afin de pouvoir mieux vivre et financer la fin de vos études. Pleinement intégrée dans la société espagnole, vous vivez désormais entre Murcie et Alicante avec votre famille et où vous avez développé une activité économique (malheureusement fermée en raison du Covid) et vivez.
Avant de détailler votre action pouvez-vous nous dire quelle est votre vision générale du conflit qui frappe l’Ukraine ?
Tatiana : Tout d’abord je refuse le mot « problème » qui est négatif et trop souvent employé pour des situations trop différentes. Je préfère m’appuyer sur une vision globale du monde qui ne peut se réduire au seul conflit qui touche mon pays. Nous devons demeurer positif et trouver tous ensemble les solutions qui nous permettront de trouver une issue. Par ailleurs pour moi, l’Ukraine et la Russie sont deux pays frères. La plupart des familles ukrainiennes se partagent entre ces deux nations.
Enfin aujourd’hui, ici, dans la ville d’Orihuela les familles russes aident les victimes de la guerre en Ukraine matériellement mais aussi en accueillant des réfugiés. Les deux communautés russe et ukrainienne se soutiennent et ne s’affrontent pas. Je sais cependant que tous mes compatriotes ne partagent pas cette vision.
Qui vous assiste dans votre engagement ?
Les autorités consulaires de mon pays sont naturellement débordées. Par ailleurs, les municipalités sont pour l’instant peu engagées. Ce sont surtout des organisations comme la Croix Rouge et CARITAS qui accompagnent les initiatives citoyennes, coordonnent les différentes collectes, l’acheminement des dons en Ukraine. Elles veillent aussi à ce que la générosité perdure dans le temps afin notamment de pouvoir aider les réfugiés qui arrivent.
Nous parlons aujourd’hui d’une situation d’urgence. L’accueil des réfugiés va-t-il selon vous se perpétuer dans le temps?
Bien sur même si pour l’instant les premiers arrivants ont pu être accueillis par des membres de leurs familles ou par des amis. Les vraies difficultés sont devant nous ! Dernièrement, a été signalé le cas d’une mère et de ses deux enfants qui après avoir été logés pendant quatre jours se sont retrouvés à la rue !
Êtes-vous inquiète ? Pouvez-vous détailler votre analyse de la situation ?
Sans minimiser la valeur d’un don, l’accueil d’un réfugié totalement démuni, qui ne parle pas votre langue, qui peut être malade ou blessé est d’une tout autre dimension. En Ukraine ce sont des millions de femmes, d’enfants et de malades qui fuient dans un premier temps les zones de combats en gagnant l’ouest du pays. Dans un deuxième temps les pays frontaliers comme la Pologne, la Moldavie ou la Roumanie accueillent dans des conditions précaires des centaines de milliers de femmes et d’enfants. Malgré leur mobilisation et leur générosité ils ne peuvent faire face, seuls, à ce terrible exode qui va toucher plusieurs millions de personnes.
L’effort sera donc européen et non seulement à la charge des pays frontaliers ? Quel message souhaitez-vous adresser à nos lecteurs ?
Bien sûr que la charge de l’accueil de millions de réfugiés concerne toute l’Europe et notamment les France et l’Espagne ! Par ailleurs soyons réalistes et humbles. Aujourd’hui chacun d’entre nous est porté par son indignation devant les images de la guerre. Demain sera tout autre ! Il s’agira d’accueillir des femmes et des personnes âgées et des enfants dans sa ville, dans son quartier et parfois chez soi. Cette population est totalement démunie et nous affrontons une conjoncture économique difficile entrainant une forte baisse du pouvoir d’achat.
Notre engagement doit viser à passer les bons messages et préparer les esprits aux temps difficiles qui nous attendent.
Il faut éviter que la magnifique générosité qui se manifeste de toute part aujourd’hui ne se transforme demain en un rejet des victimes du pire exode connu depuis la fin de la seconde guerre mondiale.