Richard Barbeyron
Ancien Ambassadeur et Consul General à Rio de Janeiro
Election présidentielle au Brésil
« Tous les sondages prévoyaient une avance confortable du candidat d’extrême droite à l’issue du premier tour, conséquence d’un rejet massif de la classe politique tenue pour incapable et corrompue, notamment le Parti des travailleurs, au pouvoir depuis 16 ans et considéré largement responsable de tous les maux du Brésil.
Ces prévisions ont manifestement sous-estimé le « phénomène » Bolsonaro, qui a obtenu 15 points de plus que prévu, le propulsant grand favori pour le second tour. Le candidat du PT, Fernando Haddad, arrive cependant bon second avec près de 30% des voix, soit également au delà des prévisions. Les autres candidats ayant réalisé des performances faibles ou insignifiantes, l’électorat brésilien se trouve aujourd’hui polarisé comme jamais, entre la continuité d’un gouvernement de gauche qui a fortement déçu, et l’aventure totalitaire, puisque Bolsonaro ne cache en rien ses intentions anti-démocratiques. On peut difficilement ne pas rapprocher la campagne électorale brésilienne de 2018 avec celle qui a permis, aux Etats-Unis, l’élection de Trump, dont Bolsonaro est un émule, la nostalgie de la dictature militaire en plus, et le « talent » pour les affaires en moins: Conseillé par Steve Bannon, le stratège électoral de Trump, désormais inspirateur de la plupart des mouvements ultra-nationalistes de la planète, il a surfé sur la vague anti-PT, en distillant fake news et messages de propagande déguisés via des groupes WhatsApp et d’autres réseaux sociaux. Un mélange d’informations véridiques, mais placées hors contexte, de montages photographiques, de messages audios et vidéos provenant soi-disant de » gens normaux », supposés engendrer une remontée de haine envers la classe politique, les médias traditionnels, ou les milieux intellectuels et artistiques, a atteint des millions d’internautes. Manifestement, cette stratégie s’est avérée payante, sans doute au delà même des espoirs des tenants de l’ultra-droite brésilienne.
Bolsonaro a pu également jouer sur la naïveté d’une large partie de l’électorat brésilien, en engrangeant le soutien des milieux évangélistes, très influents et politisés, et qui suivent à la lettre les consignes de vote de leurs pasteurs, souvent peu scrupuleux. Le fait que le vote soit obligatoire a accentué l’impact du
phénomène.
Malgré cela, le second tour n’est peut être pas définitivement joué, car Bolsonaro a également bénéficié jusqu’à présent d’un avantage paradoxal : l’attentat au couteau dont il a été victime un mois avant l’élection l’a sans doute aidé en provoquant la compassion, mais il l’a, surtout, empêché de s’exprimer largement et de participer aux débats. Or, il a été démontré qu’avec ses propos outranciers et l’impression d’incompétence qu’il dégageait, il perdait des points après chaque intervention…Entre les deux tours, il pourra difficilement ne pas sortir du bois. Ceux de ses électeurs dont les motivations étaient surtout protestataires pourraient réaliser leur méprise et s’en détourner. Qui plus est, si son challenger fait montre de talent et parvient à rassembler d’avantage, en prenant sesdistances vis à vis des ténors du parti, notamment Lula, prisonnier pour corruption et Dilma, présidente déchue pour inconséquence, peut être est-il encore en mesure de renverser la donne. Haddad a déjà réussi, après être parti de très bas, à atteindre un score plus qu’honorable, dépassant l’électorat acquis des inconditionnels du PT. Enfin, après tout, la somme des voix recueillies par les candidats écartés du second tour étant légèrement supérieure à la différence de voix entre les deux challengers, et le nombre d’abstentions, malgré le caractère obligatoire du vote, ajouté à celui des bulletins nuls étant élevé (près de 20% au total), un retournement de situation reste arithmétiquement possible. »