Sénateur des Français établis hors de France de 2001 à 2017, Louis Duvernois est l’auteur d’un rapport, paru en 2017, intitulé « Francophonie : un projet pour le 21e siècle ». Il préside également l’association Adiflor, un organisme qui œuvre à la promotion de la langue française, au développement et au rapprochement des peuples, à travers la distribution de livres aux formats papier et numérique. Rencontre avec un fervent défenseur de la francophonie.
Qu’est-ce que l’association ADIFLOR et quelle est sa mission ?
ADIFLOR est une association sans but lucratif, fondée en 1985 par Xavier DENIAU, ancien ministre. Elle est animée par une déléguée générale permanente et des bénévoles engagés à Paris et en région. ADIFLOR contribue sur tous les continents à l’apprentissage du français, au niveau scolaire, et par la promotion de la lecture décrétée « Grande Cause Nationale » par le gouvernement de la République française.
L’appui apporté jusqu’alors par ADIFLOR sur la fourniture de livres scolaires et de littérature générale s’est élargi pour répondre aux nouvelles attentes des usagers, professeurs, et des élèves, utilisateurs, en associant, désormais, l’imprimé et le numérique. Notre association a ainsi conçu une « Liseuse Francophone d’ADIFLOR » (LFA) dont la double originalité est d’être un outil pédagogique pour les enseignants et un instrument ludique pour les apprenants qui ont accès à plus de 200 livres numérisés venant d’éditeurs de France et de pays membres de l’Organisation Internationale de La Francophonie (OIF). Une première mondiale en l’occurrence. La LFA a été présentée et remarquée à la Foire internationale du livre de Francfort, au pavillon de France, pays invité d’honneur.
Pouvez-vous revenir sur la genèse d’Adiflor et son évolution au fil des ans ?
Depuis maintenant 38 ans, ADIFLOR promeut les valeurs de Solidarité et de Partage dans le respect de la diversité culturelle et dans la poursuite des objectifs du millénaire de l’ONU pour le développement durable.
À ce jour, ADIFLOR a réalisé 1 700 projets éducatifs et culturels dans 98 pays et distribué, chaque année, près de 200 000 livres en partenariat logistique avec la Marine nationale, une collaboration de plusieurs années. L’Académie française a attribué à trois reprises un « Prix de Reconnaissance » à ADIFLOR pour les résultats obtenus.
Quelles sont les actions menées par l’association ?
Parmi les actions ponctuelles et récurrentes effectuées par ADIFLOR, citons, à titre d’exemple, une intervention récente menée au printemps dernier en partenariat avec « Yvelines Coopération Internationale et Développement » de la Région Ile-de-France. L’événement a rassemblé 17 écoles au Sénégal en appui des autorités ministérielles et locales, de l’Institut Français, et d’associations sénégalaises pour l’éducation numérique et aux médias. L’objectif visé était de renforcer et de donner le goût de la lecture aux enfants, de relever le niveau des élèves et de faciliter une assimilation des enseignements scolaires reçus.
Autre exemple, ADIFLOR exerce aussi sa mission sur le territoire national, dans la Marne, dans des écoles publiques de la Région GrandEst. L’intérêt rencontré est manifeste, d’année en année, une opération soutenue par la ville de Châlons-en-Champagne. Les enseignants utilisent la LFA pour animer des travaux pratiques et les jeunes élèves découvrent, au travers des livres francophones numérisés, des pays, des mœurs, des modes de vie et d’autres cultures francophones enrichissantes.
Vous êtes l’auteur, avec Claudine Lepage, d’un rapport pour la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, paru en février 2017 et intitulé « Francophonie : un projet pour le 21e siècle ». Dans ce rapport, vous émettez 30 propositions en faveur de la francophonie. Vos préconisations ont-elles été suivies d’effet ?
Les 30 propositions contenues dans le rapport sénatorial : « Francophonie, un projet pour le 21e siècle », co-rapporté par ma collègue, Claudine LEPAGE et moi-même, n’ont pas été véritablement suivies d’effets attendus sur un sujet aussi consensuel que la promotion de la langue française et son partage universel. Ce rapport, rappelons-le, avait été présenté et adopté par la commission de la Culture, de l’Education et de la Communication du Sénat, formée de parlementaires de toutes obédiences politiques.
Les causes de ce relatif détachement en sont certainement multiples. Méconnaissance publique et/ou indifférence du sujet traité, sous-estimation d’un projet de société à adapter dans le contexte géopolitique d’un monde en transformation et dont la dimension linguistique et culturelle est trop souvent occultée, conduisant de facto à une uniformisation des modes de vie, de pensée, de réflexion et d’analyse qui tendent ainsi à devenir uniques, et donc réducteurs dans leur expression, l’antithèse même du progrès.
Le manque de moyens pour modifier cette apparente apathie citoyenne ne peut être une excuse. L’actualité foisonnante nous interpelle régulièrement sur le choc des civilisations qui, comme disait Paul Valéry, sont mortelles si on l’oublie. L’état de cette situation acquiert donc une portée stratégique relayée par la surabondance d’une communication numérisée, standardisée et instantanée, au détriment de l’écrit qui incite à la réflexion et épouse le temps long de l’apprentissage. Dans cette communication, la langue est d’abord identitaire. N’est-elle pas reconnue dans la Constitution comme étant « la langue de la République française » ?
À l’occasion de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française par le Président de la République, plusieurs associations de défense de la langue française (CO.U.R.R.I.E.L et A.FR.AV) ont émis des critiques sur la politique linguistique d’Emmanuel Macron et de l’Union européenne. Elles dénoncent – entre autres – un « coup d’État linguistique » au sein des instances de l’UE, qui a fait de l’anglais, en plein Brexit, la langue de travail unique de la Commission, de la Cour des Comptes et de la Cour de justice européennes. Quelle est votre analyse sur ce point, que vous aviez évoqué dans votre rapport ?
L’inauguration, le 30 octobre 2023, de la Cité internationale de la langue française, héritière de l’Ordonnance du 25 août 1539, faisant du français – francoys d’alors – la langue administrative du royaume. Cet acte formalisait le français, à la place du latin, dans les documents juridiques, et l’omniprésence de l’emploi de dialectes régionaux.
Amin MAALOUF, écrivain franco-libanais, nouveau secrétaire perpétuel de l’Académie
française, fondée en 1635, exprime en bonne connaissance de cause, que « le français est ma langue adoptive, comme la France est ma patrie d’adoption ». Né en Algérie, Albert Camus, prix Nobel de littérature ne disait pas autrement : « Je suis français par la langue ». De ces vérités vécues, en découlent d’autres pratiques.
Celle, en premier, d’établir pour une langue nationale, les fondements de l’Égalité, une devise d’une République devenue porteuse de ce qu’il y a de permanent et d’universel dans l’Ordonnance royale de Villers-Cotterêts. 484 ans plus tard, en 2023, n’est-il pas toujours d’actualité que de souligner que la langue française n’est pas qu’un marqueur national mais aussi un instrument de Progrès social ?
Cela dit, l’Etat au 21e siècle, joue-t-il encore ce rôle ? On peut raisonnablement en douter au vu et au su de l’environnement linguistique dégradé qui est le nôtre, dans l’expression quotidienne, en matière publicitaire, économique ou commerciale, dans l’audiovisuel public ou privé et autres secteurs d’activité.
Du « choose France » utilisé publiquement et, rien de moins, au château de Versailles, à la « French Tech » de la « Start up Nation » (entendre la France), l’énumération serait très longue à relever ces absurdités verbales et écrites « en live » (direct) pour rester dans le vent !
Un ressaisissement collectif s’impose pour juguler l’érosion de notre langue. Notre proposition de rapport n°7 appelait « les élites françaises à réaliser l’importance de l’usage du français comme langue de la modernité ». Exigeons de nos gouvernants, proposition n°11 du même rapport, « de faire des sujets d’éducation une des priorités budgétaires d’une politique de coopération », indissociable à l’adoption d’une politique de la francophonie qu’appelait déjà de ses vœux, en 2014, Jacques ATTALI, parce que, disait-il, « la francophonie et la francophilie sont des moteurs de croissance durable ».
Somme toute, les polémiques associatives, en appelant notre réflexion, trouvent une réponse d’actualité à l’occasion de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française, dans l’éditorial d’un grand quotidien national : « Choisissez le français ! ». Champions de l’auto-dénigrement, pardon, du « french bashing », une règle s’impose à tout un chacun d’entre nous, sans esprit partisan mais mû par le seul engagement citoyen : on ne saurait défendre le français en France et vouloir le promouvoir à l’étranger, sans en favoriser l’usage, d’abord, dans notre pays et, en premier lieu, par ceux qui nous gouvernent.
Le « vent de fronde » suscité ainsi par l’Académie française chargée de normaliser et de perfectionner la langue française, exprime cette distorsion de perception constatée entre l’écoute de beaux discours publics et les annonces de leurs concrétisations. Le protecteur de droit de l’Académie française qu’est le président de la République doit ainsi veiller à ce que les résolutions prises soient suivies d’effets.
Quant à la place du français, langue de travail dans l’Union européenne (UE), majoritaire jusqu’en 1973, notre proposition sénatoriale n° 20 appelait à garantir, à la faveur des négociations sur le Brexit, la présence du français et des autres langues au sein des instances de l’UE. Et pourtant, malgré l’existence de trois « capitales » (Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg) francophones et bilingues, français/flamand à Bruxelles, de 17 des 27 Etats représentés à la fois membres de l’UE et de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), la situation du français reste inquiétante et dans les perspectives, en outre, de l’adhésion de nouveaux pays notamment d’Europe centrale.
Que choisiront ces pays comme langue de travail majoritaire dans l’UE ? Ce groupe de 17 pays membres de l’OIF et donc majoritaires au sein de l’UE ne sont cependant pas suffisamment structurés pour s’imposer comme « majorité de blocage » après le Brexit alors que, paradoxalement, l’UE ne sera plus composée que de pays n’ayant pas l’anglais comme langue officielle, la langue officielle de Malte est le maltais et celle de l’Irlande, l’irlandais.
Que pensez-vous de l’écriture inclusive ?
La création de la Cité internationale de la langue française intervient, quel hasard, alors que le Sénat examine une proposition de loi visant à protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive. À Villers-Cotterêts, le président de la République, Emmanuel MACRON, a été explicite : « Elle rend la langue française illisible, on n’a pas besoin de rajouter des points au milieu des mots ou des tirets ou des choses pour la rendre lisible. Il ne faut pas céder aux airs du temps. Nous devons garder les fondements de la langue française, les socles de sa grammaire, la force de sa syntaxe (…) La langue française est une langue de liberté et d’universalisme (…) Elle explique très bien notre rapport à la Nation et à la République ».
Notre langue ne relève en effet d’aucune idéologie partisane. Ouverte, vivante et partagée, elle se nourrit de la créativité de celles et ceux qui vont jusqu’à la traduire en d’autres langues pour mieux en faire connaître sa culture profonde. Combien d’entre nous avons découvert sur les bancs de l’école républicaine de grands auteurs étrangers, russes, allemands, anglais, italiens, espagnols, etc. en version française ?
C’est pourquoi j’approuve l’annonce du Chef de l’Etat de confier à un grand écrivain algérien, Kamel DAOUD, « la mission de travailler sur les traductions des auteurs de langue française dans des langues étrangères », notamment en arabe, de manière à rendre plus accessible et compréhensible, au plus grand nombre, la diversité des réflexions et pensées exprimées . « C’est la culture qui nous sauvera », titre d’un livre récent de Christophe TARDIEU, inspecteur des finances, ancien administrateur du château de Versailles et de, David LISNARD, créateur et administrateur de plusieurs festivals culturels et maire de Cannes. Respectons notre langue et partageons-la avec fierté.
Selon vous, comment se porte la francophonie aujourd’hui, quels sont ses défis et comment peut-elle les relever ?
Premier constat. Les acteurs de la francophonie auditionnés dans le rapport sénatorial n’ont pas la même vision, ni la même définition de ce qu’est la francophonie. Les uns mettent l’accent sur la culture, les autres sur l’économie ou l’enseignement du français alors que la genèse de la francophonie est le partage d’une même langue riche de ses différences et accents, d’une latitude à l’autre. Sans la pratique de cette langue, la solidarité recherchée est malmenée. Le manque d’une stratégie globale de la France explique les craintes éprouvées ici et là quant à sa volonté de positionnement dans un univers concurrentiel où le primat économique l’emporte sur le culturel.
Une étude inédite de l’Institut CSA révèle que « la France rayonne à l’étranger plus par sa culture que par son économie ». Langue et culture ont néanmoins des atouts d’importance et des singularités porteuses. Le président du Sénat, Gérard LARCHER, a eu l’expression juste pour définir la francophonie, à l’occasion du 30e anniversaire de la fondation d’ADIFLOR, en 2015 : « C’est, avait-il dit, une communauté de valeurs universelles que nous devons plus que jamais défendre : paix, liberté, solidarité et démocratie ».
Sans une claire stratégie visant à conforter la place du français comme langue internationale, dans des secteurs d’avenir, la francophonie des peuples et pas uniquement celle des institutions, s’affaiblira. Échange, concertation, coopération, éducation, formation professionnelle, communication, sont la sève d’une francophonie démographiquement, en outre, en progression constante.
Les propositions n° 23 et 24 visaient à répondre concrètement à ces attentes : la création d’un ERASMUS francophone, à l’exemple du programme européen, porté par l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), et la création d’un Office Francophone de la Jeunesse, également porté par l’OIF, et à l’inspiration d’organismes semblables entre le Québec et l’Allemagne.