Depuis le lundi 30 mars, afin de faire face aux impacts négatifs provoqués par l’épidémie de coronavirus, de nombreux Etats au Nigeria ont adopté des mesures de confinement particulièrement strictes. C’est plus précisément le cas à Lagos (mégalopole et plus grande ville du continent africain), Abuja (capitale du pays) et dans l’Etat d’Ogun.
Nous avons demandé à Guillaume Niarfeix, résidant au Nigéria depuis 15 ans où il travaille dans l’industrie pétrolière, de nous en dire davantage.
Pays le plus peuplé d’Afrique avec près de 200 millions d’habitants. Quelle est la situation actuelle au Nigéria ?
Le Nigeria est actuellement complètement à l’arrêt. Même si les mesures de confinement strictes ne concernent que quelques Etats (dont l’Etat de Rivers dont on parle assez peu) il est impossible de passer les frontières entre Etats et il n’est donc plus possible pour la population de se déplacer ou pour le commerce intérieur de continuer à fonctionner.
Le nombre de cas y est encore relativement bas – 782 à ce jour[1] – mais commence à augmenter sérieusement au fur et à mesure que la capacité de test augmente. Ceci fait dire aux observateurs que le nombre de cas réels est fortement sous-évalué. Il est, par ailleurs, intéressant de noter que jusqu’à récemment les cas déclarés ne concernaient que les classes dirigeantes et aisées de la société ainsi que leurs proches. En effet, les premiers cas ainsi que la plupart des décès enregistrés concernent des membres du gouvernement, de l’administration ou de grandes entreprises internationales. Si cela peut s’expliquer par leurs habitudes de vie et leur plus forte exposition à un virus venu de l’étranger, il est aussi clair que seules ces personnes ont été testées et, dès lors, dépistées.
Dans un pays où le paludisme tue plus de 100,000 personnes par an[2] et où l’accès aux soins est réservé à une élite fortunée, la plupart des gens qui sont souffrants et/ou ont des poussées de fièvre s’en remettent à l’automédication via des antipaludiques. Il est donc très difficile de dépister tous les cas.
Le Nigéria est un pays dont la majorité de la population souffre d’une grande pauvreté. Cette population réussit-elle à respecter les mesures de confinement imposées par le gouvernement nigérian ?
Le respect des règles de confinement est, bien entendu, difficile dans un pays comme le Nigeria où une grande partie de la population réside dans des conditions sanitaires difficiles entrainant une proximité permanente entre les personnes.
Les forces de l’ordre font respecter le confinement tant bien que mal via des barrages routiers et des rondes qui peuvent tourner à la confrontation avec une population qui a besoin de sortir pour se nourrir.
En effet, une grande partie de la population vit au jour le jour de revenus informels. Le confinement a mis fin à une grande partie de cette économie informelle et laissé de grands pans de la population sans ressources pour acheter de la nourriture alors que l’inflation galopante[3] pousse les prix à la hausse. La faim commence donc à pousser ces populations dans la rue et les risques aussi bien sanitaires que sécuritaires augmentent.
Mis à part la mise en place d’un confinement strict, quelles sont autres mesures prises par le chef de l’Etat nigérian afin d’endiguer l’épidémie ?
Comme beaucoup d’autres gouvernements, l’état nigérian a pris des mesures de soutien à l’économie et aux entreprises (principalement des reports de charges) qui ont malheureusement un effet limité en raison du faible pourcentage de la population travaillant pour des grandes entreprises qui respectent les règles fiscales.[4]
Des distributions de nourriture et de matériel de protection commencent à s’organiser mais cela reste pour le moment largement insuffisant pour avoir un impact significatif.
De la même manière des initiatives publiques et privées sont actuellement en cours pour augmenter le nombre de lits disponibles pour accueillir les malades mais les ressources manquent pour pouvoir gérer les cas graves nécessitant une mise en réanimation ou des respirateurs.
Deuxième économie d’Afrique mais fortement dépendante des exportations de pétrole, le Nigéria ne risque-t-il pas de connaître une importante récession économique à cause de la pandémie ? Quels sont les principaux effets de l’épidémie sur la production et le cours du baril ?
La production journalière de pétrole au Nigeria qui était en forte croissance ces derniers mois, comparée à la fin de l’année 2019[5], va probablement chuter de manière significative car de nombreuses installations offshores ont réduit leur production au minimum pour pouvoir fonctionner avec aussi peu de personnel que possible. En effet, la crainte d’une contagion sur une plateforme force tous les acteurs à la plus grande prudence.
La fermeture des frontières a aussi eu un impact direct sur les opérations des compagnies pétrolières dont une partie importante de la main d’œuvre vient de l’étranger et ne peut donc plus travailler.
Ceci, couplé à la forte chute du prix de l’or noir sur les marchés internationaux, va avoir un impact dévastateur sur les finances publiques et le PIB du Nigeria. Il y a fort à parier qu’une récession sans précédent va toucher le pays dans les mois à venir.
Quelle est la situation de la communauté française au Nigéria ?
Une grande partie de la communauté française a décidé de quitter le Nigeria au début de l’épidémie et la plupart du reste de la communauté a suivi lorsque les école internationales et locales ont fermé. Les autorités françaises et plusieurs grandes entreprises ont organisé le rapatriement des familles qui le souhaitaient.
Il reste un noyau dur de Français qui a décidé de rester pour des raisons personnelles ou professionnelles. La communauté est assez soudée et reste en contact permanent.
Avez-vous quelque chose d’autre à ajouter ?
La question du confinement dans un pays, comme le Nigeria, qui n’a pas un système de santé capable de répondre à une épidémie de cette ampleur se pose. En effet, la stratégie appliquée dans le monde entier a pour objectif principal d’aplanir la courbe des cas graves pour permettre au système hospitalier de gérer la crise et de soigner tous les patients.
Au Nigeria, cette stratégie semble vouée à l’échec car une grande partie de la population va se retrouver sans ressources et souffrir de la faim très rapidement alors que le système de santé va être débordé de toute façon si le nombre de cas augmente. Il semble aussi irréaliste d’attendre l’arrivée d’un vaccin pour permettre le déconfinement.[6]
Il semble donc probable que le confinement va devoir être levé dans les semaines qui viennent pour se tourner vers une stratégie hybride alliant, par exemple, port de masque et isolation des personnes malades à leur domicile… quand cela est possible.
[1] https://www.worldometers.info/coronavirus/country/nigeria/
[2] https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/malaria
[3] https://tradingeconomics.com/nigeria/inflation-cpi
[4] https://www.bbc.com/news/world-africa-49566927
[5] https://www.ceicdata.com/en/indicator/nigeria/crude-oil-production
[6] https://som.yale.edu/should-low-income-countries-impose-the-same-social-distancing-guidelines-as-europe-and-north-america-to-halt-the-spread-of-covid-19
Il y a une autre pandémie qui risque particulièrement de décimer des populations entières en Afrique, celle de la famine, ce, selon les projections du Programme alimentaire mondial (PAM) dévoilées ce mardi 21 avril 2020.
Dans ce continent, à part le Nigéria cité dans votre article, la République démocratique du Congo, le Soudan du sud et le Zimbabwe, déjà en difficultés, risquent de connaître de véritables catastrophes humanitaires.
Quant au pétrole, ce n’est plus aujourd’hui une valeur sûre et la chute spectaculaire de son cours risque de déstabiliser fortement, et si ce n’est pas d’une manière irreversible, les pays producteurs du continent comme le le Nigéria, l’Algérie, l’Angola et plus récemment l’Egypte, qui depuis la découverte du gisement de Zohr, comptait sur le pétrole pour relancer son économie.
Ne parlons pas de la chute des recettes générées par le tourisme qui font vivre, tout comme en Tunisie, Ethiopie et Kenya, et pour ne citer que ceux-ci, de larges pans de la population.
Alors, l’Europe doit anticiper et travailler étroitement avec tous les pays africains pour freiner l’apocalypse dantesque qui s’annonce sur ce continent.