Coronavirus : quelles conséquences pour nos économies et nos sociétés?

L’ épidémie actuelle de Covid 19 aura sans aucun doute des répercussions désastreuses sur la croissance économique de court terme. En effet, la plupart des pays ont effectué le choix du confinement de la population, synonyme d’arrêt prononcé d’une grande part d’activités.Un calcul économique est à ce stade extrêmement difficile à élaborer, vu les incertitudes sur la durée, l’intensité et le comportement des consommateurs en cette période de confinement.

Pour la croissance américaine, la plupart des économistes attendent sur le second trimestre 2020 une chute du PIB oscillant – d’après les principales banques d’affaires – entre – 5% et – 20 % depuis le 1e trimestre. Avec un chômage américain au « mieux » doublant de 3,5% a 7% ou triplant à 10 %. Morgan Stanley se distingue avec des prévisions effroyables pour les USA: – 30 % pour l’activité et 13 % de chômeurs. Sans parler de ce Directeur de la Réserve Fédérale qui avance 30% de taux de chômage au pire des cas.

En France, Bruno Le Maire parle « d’un choc comparable à la grande récession de 1929 ». Certains avancent le chiffre de -15% pour le 2e trimestre, et une prévision de récession de l’ordre de -1% sur l’année, chiffre optimiste du gouvernement, alors que des économistes et banques d’affaires parlent de -2 à -4%, avec une médiane à -3%.

Certes, les gouvernements ont d’ores et déjà réagi en soutenant l’économie.

Les USA ont débloqué une aide d’urgence de 2 trn (2000 milliards) de dollars via des dépenses publiques et des baisses d’impôts. L’Allemagne va emprunter 156 milliards d’euros, équivalent de la moitié de ses dépenses annuelles, en aide aux entreprises touchées et en contributions spéciales au chômage. Le Banque Centrale Européenne va injecter 750 milliards d’euros de liquidités pour que les banques prêtent aux entreprises. Et la France renchérit avec son plan d’aide de 300 milliards d’euros, en plus des reports de charges pour les sociétés.

On ne peut pas encore estimer si ces mesures seront efficaces, car l’ampleur de la chute de l’économie sur le long terme n’est pas mesurable de manière fiable. Ces aides de l’ordre de 6% à 10% du PIB sont en effet à comparer à l’intensité et la durée de la chute. En cas de résolution rapide de la crise sanitaire, les économistes parlent d’un rebond en V: tout sera comme avant, on regagne ce qu’on a perdu, les mesures sur doperont la croissance future. Un second scénario est en U: le marasme dure avant un rebond spectaculaire. Dans un tel cas, les mesures limiteront la chute mais ne pourront que partiellement l’enrayer. Le scénario catastrophe de crise sanitaire s’étendant durant des mois sans amélioration notable plongerait l’économie dans une courbe en L: chute et stagnation. Les mesures n’y pourraient rien, sauf à alléger marginalement le fardeau des ménages.

Il n’est donc pas réaliste de proposer un scénario économique à ce stade. La majorité des économistes se situent néanmoins entre le V et le U, si cela peut rassurer quant à notre avenir.

Plus perceptibles sont les conséquences politiques de moyen et long terme de cette crise. Quelques personnalités de renom s’y sont hasardés.

Hubert Vedrine, ancien conseiller et ministre des Affaires Étrangères de François Mitterrand, envisage suite à la pandémie la fin de la mondialisation heureuse, en particulier de l’ouverture des frontières – surtout pour l’Europe, parallèlement à la relocalisation de productions stratégiques comme nombre de produits pharmaceutiques et agricoles. Il estime que le tourisme généralisé sera durement touché. Le local l’emportera sur le global pour les loisirs, comme pour l’agro-industrie, laquelle devra être, en outre, non seulement locale mais bien plus écologique. Enfin, le monde devrait se doter d’une OMS aussi efficace que l’OTAN et l’Europe devrait être repensée en matière sanitaire vers davantage d’efficacité et de coopération entre ses membres, comme elle l’a été pour les banques après 2008. Vedrine appelle au sursaut de la solidarité entre États et à la fin de la globalisation financière pour surmonter la crise vers un développement plus durable.

Pour François Lenglet également, journaliste économique de renom, l’épidémie et la chute de l’économie accélèrent la remise en cause de la mondialisation heureuse. La récession induite sera combattue par les mesures gouvernementales, ce qui pour lui se traduira en encore plus de dettes, qu’on ne remboursera pas. D’où selon lui « une perte de confiance dans la monnaie, une forte inflation, avec le risque du désordre social qui l’accompagne. Comme pendant une guerre. » Cette crise sanitaire va gravement mettre en cause la libre circulation, particulièrement en Europe. « Il y a eu une espèce de tabou sur la frontière, en Europe, qui nous a empêchés de prendre à temps cette mesure simple (la fermeture des frontières). Parce que le fondement de l’Europe, c’est la disparition des frontières nationales. Et on n’a pas voulu aller contre. » Désir de protection plus que de liberté donc, qui risque de pousser à nouveau la vague nationaliste. Une conséquences intéressante sera l’émergence de l’économie du sans contact, avec le test grandeur nature du télétravail. Les sociétés Internet, les Gafa, les e-commerce, tout ce qui est faisable depuis la maison, devraient être les grands gagnants de l’épidémie.

Yuval Noah Harari, historien mondialement célèbre pour ses ouvrages de réflexion sur l’avenir de l’Homme, anticipe deux choix se présentant aux citoyens suite à l’épidémie: « le premier choix entre surveillance totalitaire et reconquête démocratique; le second choix entre isolement nationaliste et solidarité globale ». « Pour la première fois dans l’histoire, la technologie permet de surveiller tout le monde, tout le temps. Si les pouvoirs politiques et les entreprises récoltent nos données biométriques en masse, ils nous connaîtront mieux que nous-mêmes et non seulement ils pourront prédire nos sentiments, mais ils pourront aussi les manipuler, et nous vendre ce qu’ils veulent. L’humanité doit faire un choix: irons-nous vers la désunion (repli, nationalisme) ou prendrons-nous le chemin de la solidarité globale? La première option non seulement prolongera la crise actuelle mais elle engendrera des catastrophes encore pires. Si nous choisissons la solidarité, ce sera une victoire non seulement contre le coronavirus mais contre toutes les futures épidémies et crises qui pourraient assaillir l’humanité au XXIe siècle. »

En résumé, le monde de l’après virus sera différent : finie la globalisation et la mobilité infinie, une certaine forme de protectionnisme sera inéluctable, avec contrôle renforcé des citoyens. Les instances gouvernementales devront se renforcer devant le besoin de protection de la population, qui dépassera leur goût de la Liberté. En même temps, les Gafa, elles, verront leur puissance renforcée par l’économie du sans contact. Ici la solidarité intergouvernementale sera fondamentale comme contre pouvoir.
Va-t-on finalement assister à un changement au niveau du marché immobilier ? La campagne prendra-t-elle sa revanche sur la ville, avec ses maisons isolées, ses habitants peu mobiles et le télétravail ? Tout dépendra du degré de victoire du protectionnisme.

Une note de prudence néanmoins dans les perspectives de grande mutation: après la crise Internet de 2000, la crise des attentats de 2001 et la crise financière de 2008, on entendait déjà le fameux: « rien ne sera plus jamais comme avant ». Certes, certaines réglementations et comportements ont changé à la marge, mais la population a rapidement retrouvé ses travers d’excès de liberté et de consommation, fut-elle à crédit, les entreprises sont retombées dans le flux tendu globalisé. Will this time be different, comme le disent de manière amusée les prix Nobel d’économie Reinhardt et Rogoff?

 

Hervé Prettre
Délégué consulaire
ASFE Suisse Romande

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