À la suite du terrible incendie qui a ravagé sept tours d’un ensemble résidentiel à Tai Po le 26 novembre 2025, faisant plus de 150 morts et des milliers de sinistrés, l’ASFE a interrogé Émilie Tran-Sautedé, Conseillère des Français de Hong Kong. Elle revient pour nous sur les circonstances du drame, ses conséquences humaines et politiques, la réaction des autorités et les controverses qui en découlent, à quelques jours d’élections législatives sous tension.
Pouvez-vous revenir sur les incendies à Hong Kong ? Que s’est-il passé ?
L’incendie s’est déclaré le 26 novembre 2025 à Wang Fuk Court, un ensemble de logements situés à Tai Po (dans le nord-est de la Région administrative spéciale) et géré par le gouvernement. Il s’agit de copropriétés vendues à bas prix à des ménages à revenus faibles ou moyens, sous conditions de ressources et avec restrictions de revente. Le feu a embrasé en quelques minutes sept tours de 31 étages alors en rénovation, et les pompiers ont dû hisser l’alerte au niveau maximal, mobiliser plus d’un millier de secouristes et lutter plus de trente heures avant de maîtriser totalement le brasier. Aujourd’hui, le bilan officiel dépasse les 150 morts, dont au moins 104 identifiés, des dizaines de blessés et plusieurs dizaines de disparus, ce qui en fait le pire incendie à Hong Kong depuis la fin des années 1940.
Quelles sont les conséquences de ces incendies ?
Les conséquences humaines sont immenses : plus de 4 000 résidents ont été sinistrés, des centaines de familles ont perdu un proche, un logement ou tous leurs biens, et plus de 3 000 places de relogement temporaire ont dû être ouvertes en urgence. Sur le plan politique et institutionnel, le gouvernement a activé un groupe de travail interministériel, promis une inspection de tous les ensembles en rénovation, et lancé à la fois une enquête pénale – avec arrestations rapides d’employés de l’entreprise de rénovation et de sous‑traitants – et une enquête anticorruption sur l’attribution du chantier. Cette séquence très rapide donne l’image d’une grande fermeté mais suscite aussi des doutes : certains y voient une manière de désigner des boucs émissaires techniques pour éviter de questionner les failles systémiques des politiques de logement, des inspections de chantiers et du choix des matériaux. Face à la pression de l’opinion, le chef de l’exécutif a annoncé la mise en place d’une enquête plus large sur les défaillances institutionnelles et systémiques, qui serait présidée par un juge, ce qui marque une tentative de répondre aux critiques sur l’insuffisance d’un simple traitement pénal des responsabilités individuelles.
Comment percevez-vous la réaction des habitants et des autorités locales face aux incendies ?
Du côté de la population, la réaction a été marquée par un mélange de choc, de deuil et d’une solidarité très visible : dons de sang, collecte de vivres et de couvertures, hébergement spontané, cagnottes en ligne, et veillées de recueillement au pied des tours sinistrées. Mais cette compassion s’accompagne aussi d’une colère sourde : sur les réseaux sociaux, dans certaines pétitions et même dans la presse, beaucoup dénoncent l’inaction face aux alertes de sécurité antérieures. Les autorités, elles, mettent en avant une empathie affichée – drapeaux en berne, visites sur site, discours de soutien – et une réponse opérationnelle « tous azimuts », tout en cherchant à « dépolitiser » la tragédie : la mobilisation spontanée est très vite encadrée par des organisations proches du pouvoir, un étudiant à l’origine d’une pétition est arrêté, et toute critique plus structurelle est renvoyée au risque de « menacer la sécurité nationale ».
Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Oui, deux points,
1) Sur la controverse des échafaudages en bambou ; et 2) sur l’impact politique et électoral :
1) Sur la controverse des échafaudages en bambou
La responsabilité des échafaudages en bambou dans l’incendie de Wang Fuk Court alimente un débat vif à Hong Kong. Si le feu s’est effectivement propagé très rapidement par l’extérieur des bâtiments en rénovation, nombre d’experts rappellent que le bambou, utilisé depuis des décennies, n’est pas hautement inflammable : il contient naturellement de l’humidité qui retarde la combustion. Ce sont surtout la présence de filets, bâches et matériaux plastiques très inflammables, ainsi qu’une mauvaise gestion de chantier, qui ont accéléré la catastrophe. Le bambou a néanmoins joué un rôle aggravant : la violence de l’incendie a provoqué l’effondrement des échafaudages, gênant l’intervention des pompiers et, symboliquement, donnant prise à la suspicion publique sur des normes inadéquates.
Dans ce contexte, les autorités hongkongaises, sous la pression de l’émotion collective, veulent accélérer la transition obligatoire vers des échafaudages métalliques, officiellement pour des raisons de sécurité incendie. Des voix soulignent cependant les enjeux industriels en arrière-plan, ce changement profitant principalement à de grandes sociétés chinoises, au détriment d’artisans hongkongais formés au bambou.
2) Sur l’impact politique et électoral
La tragédie de Tai Po bouleverse le climat des élections législatives prévues le 7 décembre. Tous les grands rassemblements et forums électoraux ont été suspendus, l’attention publique étant entièrement tournée vers la gestion de la crise, la solidarité et la recherche de responsabilités ; le scrutin n’est cependant pas reporté, les autorités estimant que l’organisation des secours et l’élection peuvent progresser en parallèle – même si la catastrophe pèsera sûrement sur la participation. Il faut rappeler que ces élections étaient déjà très controversées avant l’incendie : avec le système “patriotes seulement”, seuls des candidats approuvés et jugés loyaux envers Pékin peuvent se présenter, et un taux d’abstention historiquement élevé était anticipé, dans un contexte de boycott ou de vote blanc surveillés et parfois sanctionnés.



