Situation et avenir de la Caisse des Français de l’étranger (CFE)

La CFE aujourd’hui préoccupe. De nombreuses interrogations circulent sur l’état de ses finances, le niveau de protection offert, ses dysfonctionnements et même sa pérennité. Dans ce contexte, nous avons souhaité interroger les trois administrateurs de la Caisse des Français de l’étranger, également membres et représentants de l’Alliance Solidaire des Français de l’étranger (ASFE) : Dr Nadine Fouques-Weiss (Conseillère des Français de l’étranger – CFDE – Conseillère à l’Assemblée des Français de l’étranger AFE et Présidente de la Commission des Finances de la CFE), Dr Karim Dendène (CFDE et Conseiller AFE) et Xavier Dubourg de la Tour (CFDE). Ils reviennent pour nous sur le dernier conseil d’administration qui s’est tenu les 16 et 17 juin 2025 et exposent chacun leur point de vue sur l’avenir de la CFE. 

Quel est l’état de la Caisse des Français de l’étranger aujourd’hui ? Faut-il s’inquiéter ? 

Nadine Fouques-Weiss : « La situation est sérieuse mais pas désespérée. Il convient de prendre des mesures pour la pérennité de la Caisse, entre autres celles qui ont été identifiées par l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) ».

Xavier Dubourg de la Tour : « L’avenir de la CFE est à mon sens préoccupant. La volonté entrepreneuriale de refaire une caisse ne concerne que quelques-uns d’entre nous (dans les administrateurs). Or il est à mon sens tout à fait possible de concevoir l’avenir de la CFE dans un format différent ». 

Karim Dendène : « La situation financière de la caisse est effectivement préoccupante. Historiquement, cette caisse avait toujours été à l’équilibre. Même si certains produits étaient déficitaires, la situation globale restait équilibrée grâce au concours d’autres produits excédentaires, tels que les contrats collectifs (entreprises) par exemple. Aujourd’hui, le nombre de contrats collectifs a beaucoup diminué en raison des politiques RH des entreprises françaises à l’étranger qui privilégient les emplois locaux.

Par ailleurs, la réforme de 2018 a instauré certaines mesures de nature à entrainer des baisses de recettes :

  • baisse du montant de la cotisation de la catégorie aidée, d’une part, et suppression de la double catégorie aidée dans un couple, d’autre part ; 
  • suppression de la rétroactivité, qui a pu ouvrir la porte à certaines adhésions de circonstances.

Pour être complet, il faut admettre que cette réforme a aussi permis de générer des augmentations de recettes, notamment par la détermination des montants de cotisations (hors catégorie aidée), non plus selon les revenus des adhérents, mais selon leur âge. Mais cette mesure n’aura pas suffi, dans un contexte mondial de hausse des coûts de santé ». 

Le Gouvernement a commandé un rapport à l’Inspection Générale des Finances et l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGF/IGAS). Les inspecteurs viennent de rendre leurs conclusions. Avez-vous pris connaissance de leurs recommandations ? Seront-elles rendues publiques ?

Nadine Fouques-Weiss : « Nous n’avons qu’un résumé du rapport (résumé non public pour l’instant). J’en ai pris connaissance bien entendu ».

Karim Dendène : « Les inspections des deux ministères de tutelle (IGAS et IGF), ont procédé à la rédaction d’un rapport sur la situation de la CFE. Ce rapport n’a pas encore été transmis au conseil d’administration, mais nous savons que les inspecteurs ont étudié, en plus d’une réforme de la CFE, trois scenarii qu’ils préconisent de continuer à étudier en parallèle de la réforme qu’ils proposent :

  • soit l’intégration de la CFE à la sécurité sociale ;
  • soit la transformation de la CFE en mutuelle ;
  • soit la disparition de la CFE.

Ce rapport devrait être rendu public sous peu. »

Xavier Dubourg de la Tour : « La direction stratégique à suivre est clairement définie dans le rapport de l’IGAS.

Sans équivoque, l’inspection générale des services a dressé la liste des options possibles et des options non envisageables à étudier. Cette clairvoyance dans la situation mérite d’être saluée.

Pour rappel, la préoccupation principale est l’amélioration des comptes de notre caisse, à laquelle vous et moi sommes si attachés.

Dans les conditions actuelles de déséquilibre financier, il n’est pas possible de revenir au régime général de la sécurité sociale.

En intervenant sur un sujet qui ne concerne que les assurés, cela nous permettrait d’avoir une meilleure visibilité sur la bonne gouvernance à laquelle je suis attaché.

Le maintien de cette situation avec la prétention d’un État providence est une conviction politique partagée par certains, mais irréaliste dans la situation actuelle budgétaire que notre pays connaît.

Bien que les comptes se redressent, nous sommes loin de l’équilibre et nos réserves sont limitées ». 

Quelles sont à votre sens les pistes de réforme à suivre ? Faut-il réformer la catégorie aidée et supprimer le plafonnement des cotisations que subissent actuellement les anciens contrats, un plafonnement imposé par la loi de 2018 ? 

Xavier Dubourg de la Tour :  « L’équilibre réside dans la conciliation de la gestion assurancielle avec une culture de solidarité. La caisse a une vocation de solidarité, notamment à travers la catégorie aidée, qui nécessite une gestion différente. Le choix optimal serait de faire appel aux services publics, en particulier à nos ministères de tutelle (affaires étrangères et sécurité sociale).

La résurgence d’une caisse autonome est un souhait des tutelles, car l’Etat providence n’est pas en vigueur en 2025. 

Quant au portefeuille client, il est appréciable à sa valeur technique et commerciale.

La réduction des frais de gestion qui s’élèvent à 19,3 % en 2024 est un résultat satisfaisant et conforme pour une mutuelle d’assurances.

En mutualisant les frais de santé via une délégation de gestion avec un autre organisme, il est envisageable de trouver une issue favorable à ce déséquilibre.  

Études, études… Il y en a des études qui sont sollicitées, mais en attendant, le déficit se cumule.

Pour améliorer la proximité avec les entreprises, la caisse pourrait envisager un développement commercial à l’étranger. Le portefeuille collectif a été réduit de moitié en une décennie. 

Le concept de décentralisation des entreprises françaises dans le monde, ne correspond plus à la centralisation de la caisse.

Engager des relais locaux et régionaux est une direction qui mérite d’être prise en considération ». 

Nadine Fouques-Weiss : « Malheureusement il est, à mon sens, inévitable de supprimer le plafonnement des anciens contrats (d’ailleurs je ne connais aucune prestation, de quelque nature qu’elle soit, dont le montant soit figé dans le marbre) et de moduler les cotisations de la catégorie aidée selon que le contrat couvre une ou plusieurs personnes. La CFE ne peut plus se permettre d’avoir des cotisations qui ne couvrent pas les frais de gestion ». 

Karim Dendène : « En ce qui concerne la catégorie aidée, je milite – depuis la réforme – pour l’instauration de catégories à l’intérieur la catégorie aidée. Il me semble en effet qu’appliquer un montant de cotisation unique, à des foyers dont les revenus ne sont pas comparables, est injuste.

Je vous disais en début d’interview que la réforme avait établi un montant de cotisation aidée, beaucoup plus bas qu’il ne l’était. Ce montant est bien adapté à certains foyers, mais trop bas ou trop élevé pour d’autres. En adoptant le système que je préconise, je suis certain que nous diminuerons les déficits liés à la catégorie aidée.

En ce qui concerne les contrats dits EX, c’est à dire les contrats qui existaient avant la réforme et qui restent beaucoup moins coûteux que les nouveaux, je ne suis pas opposé à ce que les cotisations puissent être raisonnablement augmentés et à un rythme tout aussi raisonnable.

Toutefois, il n’est pas possible comme le réclament certains, de faire basculer tous les contrats EX, vers les nouveaux contrats. Parce que la loi n’est pas rétroactive d’une part. Et parce qu’il est impensable de demander à un assuré un montant correspondant au triple ou au quadruple de la cotisation habituelle.

Il ne restera à cet assuré que deux options : soit demander d’accéder à la catégorie aidée et s’il y est admis, il coûtera encore plus cher à la caisse ; soit renoncer à toute couverture. Et je ne peux admettre qu’un compatriote qui a consenti des sacrifices pour s’acquitter de ses cotisations pendant des années soit raccompagné de la sorte vers la sortie.

A propos d’autres pistes, je réfléchis en fonction de ce qui existait avant la réforme et qui n’existe plus, ou à l’inverse.

Je pense à la réintroduction de la rétroactivité qui peut freiner certaines adhésions de circonstance et d’ailleurs je crois savoir que les inspecteurs préconisent d’y avoir recours dans certains cas.

Je ne peux m’empêcher d’évoquer également une dépense non négligeable qui est le coût de l’assisteur. La CFE a fonctionné sans assisteurs pendant des décennies. J’admets l’intérêt de cette collaboration, mais dans l’état actuel de nos finances, est-ce indispensable ? ».

Faut-il réformer la gouvernance de la CFE et si oui comment ? 

Xavier Dubourg de la Tour : « Les entreprises françaises à l’étranger qui constituent un vivier d’assurés ne sont actuellement pas représentées au CA. Il faut changer cela. 

En outre, les élections des administrateurs sur différentes listes ont engendré l’émergence d’un courant politique majoritaire. L’assuré n’est pas convaincu par ce choix, qui ne correspond pas à ses attentes ». 

Nadine Fouques-Weiss : « Oui, il faudrait, car le Bureau, organe décisionnel majeur, n’est quasi jamais sur place à Rubelles. On ne peut pas diriger une Caisse complexe comme la CFE à distance, même si le Directeur et son Adjoint sont, eux, sur place. Quant au Conseil d´administration, il se réunit seulement 2 fois/an 2 jours et ses membres résident pour la plupart très loin de la France. Il a aussi des attributions très limitées. J’ajouterai que certaines catégories d’adhérents ne sont plus représentées au sein du CA depuis la Réforme de 2018, ce qui interroge ». 

Karim Dendène : « Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de modifier la gouvernance de la CFE. Je n’en vois pas un intérêt immédiat ».

Avez-vous quelque chose à ajouter ? 

Karim Dendène : « La CFE est une magnifique création. Un organisme d’assurance de droit privé chargé d’une mission de service public. Pas de questionnaire de santé à l’adhésion, pas de limite d’âge non plus. Malheureusement, l’État a dépassé ses prérogatives un jour de 2002, en créant la catégorie aidée, qui est une formidable idée, mais qu’il n’a pas assumée, en préférant se défausser sur la CFE, organisme privé.

Depuis 23 ans, la CFE assume un service qui revient à l’État.

Quelle serait la situation financière de la CFE sans cette charge imposée depuis tant d’années ? Il est clair que dans ce cas, la question de la CFE n’alimenterait pas tant de débats aujourd’hui.

Il est temps que l’État joue son rôle, en prenant en charge totalement le coût de la catégorie aidée. Soit par une partie de la CSG payée par les expatriés, soit par tout autre financement.

Nadine Fouques-Weiss : « Je prépare un résumé plus exhaustif et surtout chiffré de la situation ainsi que des réflexions sur la Gouvernance ». 

Xavier Dubourg de la Tour : « Il est indispensable que le conseil d’administration prenne des décisions sans tenir compte des considérations politiques. C’est impératif ».

Nadine Fouques-Weiss
Xavier Dubourg de la Tour
Karim Dendène

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