Ancien étudiant en audiovisuel, Cédric de Giraudy lutte depuis plus de vingt ans pour accompagner des milliers d’enfants brésiliens défavorisés. Pour son engagement en faveur de la scolarisation, notamment à travers l’association Missão Robin Hood qu’il a fondé, Cédric de Giraudy a reçu le prix Humanitaire des Trophées des Français de l’Étranger 2025. Pour l’ASFE, il revient sur son parcours.
Cédric de Giraudy, vous avez quitté la France pour le Brésil il y a plus de vingt ans, en pensant y faire un film. Pourtant, ce voyage vous a mené bien au-delà du documentaire, jusqu’à un engagement de vie. Pouvez-vous revenir sur votre parcours, et nous raconter ce moment charnière où tout a basculé ?
Lorsque j’ai découvert pour la première fois l’intérieur du Maranhão, j’ai ressenti des sensations très contradictoires. Je me demandais si j’avais fait le bon choix de voyager dans un lieu aussi reculé, dans un endroit où j’étais le seul étranger. Je ressentais l’envie de vite plier bagage mais je prenais conscience du côté extraordinaire des évènements.
Je me souviens parfaitement de cette sensation de bien-être comme si on m’insufflait de l’oxygène, comme si je m’éveillais ! Face à l’inconnu et donc face à vous-même vos sens se renforcent et vous vous sentez davantage en vie.
À ce moment-là, soit vous vous repliez soit vous vous laissez prendre dans le tourbillon.
Pendant ce mois de présence sur place, cette immersion profonde a bouleversé quelque chose de tout aussi profond en moi. J’ai compris que je ne serais plus jamais exactement le même et que c’était le début d’une nouvelle vie. On ne peut se découvrir que si on se met à découvert !
Pourtant ma vie était plus ou moins tracée avant ce voyage.
Cette aventure a tout chamboulé et rimait avec des instants successifs de connaissance de mon moi intérieur. Je précise que je ne suis pas pratiquant ni adepte d’aucune pensée parallèle !
Tout a commencé en 1998 par ce petit morceau de papier que l’on m’a transmis, en Italie, avec le numéro de l’unique téléphone qui existait au village de Santa Vitoria, village caché dans la forêt, dans l’entre terre du Maranhão, où, pendant la saison des pluies, la route est vite impraticable. Ce morceau de papier a changé mon existence.
J’ai mis 9 mois, le temps d’une gestation, pour trouver le courage d’appeler (je terminais mes études). Un missionnaire capucin très indépendant souhaitait qu’on réalise un film sur son travail. Il souhaitait l’envoyer aux personnes qui le soutenaient (nous n’étions pas à l’ère d’Internet). Ce missionnaire était italien, il s’appelait Padre Ambrogio. C’était un missionnaire à l’ancienne, homme aux mille facettes, un agriculteur, un « médecin », un arracheur de dents, un apiculteur, un homme d’une énergie impressionnante, indispensable au village.

Mais, entre toutes ces activités, il y en a notamment une qui a attiré mon attention : une petite école qui brillait de mille feux pour les enfants du village.
En 2005, vous fondez l’association Missão Robin Hood, dans l’un des États les plus pauvres du – En 2005, vous fondez Brésil. Ce projet éducatif naît dans un contexte difficile, marqué par la corruption, la violence, et l’isolement. Pouvez-vous nous raconter la naissance de la Missão Robin Hood et les principaux défis rencontrés lors de sa création ? Comment avez-vous gagné la confiance d’une communauté marquée par la méfiance ? Et comment perçoit-elle aujourd’hui votre présence et votre action ?
Lors de mon premier voyage, de belles histoires de rencontres et d’amitiés sont nées. Le film que j’ai réalisé pour padre Ambrogio a été très apprécié.
Tous les ans, je retournais au village pour aider à travers mon modeste savoir-faire. Puis Padre Ambrogio est décédé. Je ne suis pas un confesseur ni un arracheur de dents, mais cette petite école, cette lueur d’espoir d’un monde meilleur allait fermer ses portes.
Une école qui s’éteint, surtout dans un endroit comme celui-ci, c’est tout une terre qui s’arrête d’être cultivée. J’ai tout mis en œuvre pour qu’elle puisse aller de l’avant, avec, au début, beaucoup de naïveté. Vouloir faire le bien ne signifie pas nécessairement que l’on va vous faire confiance et vous ouvrir les bras…
J’ai appris le sens du terme : « différences culturelles ». J’avais pourtant étudié cette matière lors de mes études et j’avais déjà à l’époque vécu plus de 14 ans à l’étranger, je me sentais prêt. Mais rien ne vaut l’expérience du travail et de ce genre de travail ! Surtout dans un lieu aussi éloigné.


Bref, pour arriver à mes fins, j’ai emmené ma petite famille (ma fille avait trois mois) vivre au village (ainsi que dans la ville la plus proche) et nous avons recréé une école.
En France, j’ai créé une Association sans but lucratif qui s’appelle « Santa Vitoria », du nom du village, ayant pour finalité la récolte de don. J’ai pas mal taxé ma famille, mes amis… ! Et ainsi, l’Escolinha Robin Hood est née. En commençant à zéro, en inscrivant dans un premier temps les enfants les plus jeunes et en augmentant au fur et à mesure le nombre des élèves.
C’est en travaillant dur, en se relevant les manches et en montrant l’exemple que l’on créé chez les autres l’envie d’y croire et de se solidariser.
Les résultats ont largement dépassé nos attentes ! Je n’avais pourtant aucunes compétences ni en développement social ni en pédagogie. Au fur et à mesure j’ai appris. J’ai recruté des professeurs locaux, qui, pour la plupart, n’avaient eux-mêmes jamais enseignés et j’ai trouvé de vrais talents. Nous avons grandi ensemble. Aujourd’hui, beaucoup d’entre eux enseignent dans de grandes métropoles au Brésil et me sont reconnaissants comme je leur suis reconnaissant. C’était une aventure formidable.
Les enfants qui sont passés par l’Escolinha Robin Hood sont appelés la « génération en or », ils savent tous lire et ont reçu une éducation culturelle merveilleuse.

Après dix années passées au village, pour de nombreuses raisons personnelles et fonctionnelles, j’ai décidé d’aller en ville, où les besoins sont encore plus importants en matière d’éducation. Avec une idée inédite : servir les enfants ayant le taux d’apprentissage le plus faible, en partenariat avec les écoles publiques.
Nous recueillons les enfants qui ont accumulé un tel retard scolaire que plus personne ne croit en eux et surtout pas eux-mêmes ! Nous leur offrons une dernière chance de réinsertion. Il s’agit d’un sauvetage éducatif, social et émotionnel. Ces enfants qui vivent parfois dans des contextes familiaux douloureux, qui ont divers troubles, en fait ceux dont personne ne s’intéresse. Certains des enfants n’ont pas de figure parentale, d’autres sont victimes d’abus, de travail infantile, de manque d’hygiène et d’aucuns souffrent de la faim. Ils sont retirés de leur propre salle de classe dans leur école officielle pour participer à nos cours, cela une semaine sur deux, au minimum pendant une année scolaire.
Aujourd’hui, après plus de vingt ans de résultats surprenants, passés à soutenir ces enfants, la Mission Robin Hood s’est fait une place dans le panorama éducatif de la ville de Barra do Corda (120.000 habitants) et dans le respect de ses concitoyens.
Bien évidemment, c’est un combat insensé : la corruption, le manque d’envie des pouvoirs publics de développer l’instruction, combinés avec nos moyens limités, nous nous battons tous les jours pour réaliser de petits miracles.
En près de vingt ans, plus de 2 000 enfants sont passés par les bancs de votre école. Loin de l’éducation formelle classique, vous leur proposez une nouvelle chance d’apprendre et de se construire. Quelles évolutions avez-vous identifié pour ces élèves ? Avez-vous des histoires marquantes d’élèves dont la vie a été transformée par cette éducation ?
Nous avons connu de nombreuses situations dramatiques et, parfois, nous allons un peu plus loin que nos statuts l’exigent. En visitant les familles et en actionnant les organismes compétents. La prostitution, les viols, les parents assassins, etc. L’année dernière nous avons eu le cas d’une enfante de 6 ans (qui est encore notre élève aujourd’hui) dont la propre maman l’avait échangée à un point de revente contre de la drogue.
Cela dit, notre rôle est éducatif. C’est par l’instruction que les enfants peuvent s’en sortir. Et voir ces enfants retrouver en l’espace d’un à trois ans, leur niveau scolaire qui devraient être le leur, voir même, dans plus de 55% des cas, dépasser le niveau de leur propre salle de classe régulière, c’est toujours extrêmement émouvant. Il existe les statistiques mais comment voulez-vous comptabiliser tous les sourires retrouvés de la part de ces nombreux enfants pour qui étudier n’était absolument pas la priorité?

Des enfants qui arrivent à la Mission avec les rudes empreintes de la vie sur leurs visages, dans leurs regards, et qui, petit à petit, s’ouvrent, sourient et retrouvent le goût d’apprendre. Cela n’a pas de prix et est hors calcul.
Il y a un an, pour les vingt ans de RobinHood, j’ai réalisé 25 interviews d’enfants comme d’anciens éducateurs, qui ont participé à cette aventure. Cela s’est fait de façon improvisée et très naturelle et les messages sont superbes d’amour pour notre travail. Tous sont reconnaissants et continuent leur chemin avec un bagage et des projets de vie.
L’école que vous avez fondée repose sur une méthode pédagogique alternative, humaine, adaptée au terrain. Mais peut-on répliquer une telle expérience dans d’autres régions du Brésil ? Quels sont vos projets futurs pour la Missão Robin Hood ? Et quelles sont les leçons que vous tirez de cette aventure humaine et pédagogique ?
Avec l’expérience acquise au fur et à mesure nous avons développé une méthodologie qui n’a rien d’alambiquée ou de miraculeuse. Tout est dans la manière humaine de se comporter, d’accueillir, d’établir et de faire respecter des règles, associés à des idées pédagogiques distinctes et souvent ludiques pour faire en sorte que les enfants se sentent en confiance et puissent s’intéresser à leurs études. Cette méthode m’aurait été très productive lorsque j’étais enfant et que je n’aimais pas l’école dans tout ce qu’elle a d’insensible et de « bruyant ».
Le système scolaire tel qu’il existe est sans doute parfait pour les enfants qui sont dans la « norme ». Les autres doivent se débrouiller.
Une Mission RobinHood pourrait à l’évidence s’adapter partout dans le monde, en revanche il faudrait que le système scolaire de nos pays développés puisse l’accepter, ce qui, je pense, est plus ardu.
Nous avons aussi créé récemment, sur place au Brésil, une petite sœur locale de l’Association Santa Vitoria, appelée ONG Temps d’Agir afin de soutenir au plus près la Mission et de pouvoir aussi recueillir en toute transparence les éventuels dons provenant du Brésil.
La poignée de volontaires est composée de personnes issues de la société civile, des Professeurs d’Université, une avocate, des étudiants etc.
Pour l’instant, nous manquons de soutiens. Nos projets futurs sont des rêves ! Notre Association est très modeste. Nous souhaiterions, en premier lieu, aider davantage d’enfants. Puis ouvrir un pôle culturel ainsi qu’une maison des étudiants où tous les enfants qui sont sans soutien parental pourraient venir se loger. Des rêves, je vous dis…
Les leçons que j’en tire sont très primitives mais finalement si épineuses chez nous les humains ! L’amour est plus fort que tout, plus fort que les frontières qui séparent les gens. L’amour pour ce qu’on fait, pour ce que l’on est, et l’amour des autres.




De nombreuses personnes souhaitent se rendre utiles à l’étranger, mais peu savent ce que cela implique réellement sur le terrain. Quels conseils donneriez-vous à celles et ceux qui souhaitent s’engager dans des projets humanitaires similaires ?
Tout d’abord je leur conseillerais vraiment de s’engager ! C’est la chance d’une autre vie qui commence.
D’ailleurs, nous impliquerions peut-être un peu moins les hommes politiques si tout le monde offrait de son temps à s’occuper de son voisin ou à aider une Association.
Quant à ceux qui souhaiteraient partir loin pour s’engager dans des projets humanitaires, dans un premier temps je leur conseillerais de venir nous donner un coup de main chez RobinHood, pour apprendre. Nous passons tous par la case : « stage » !
Plus sérieusement, cela nécessite un minimum de préparation en amont. Par exemple, connaitre la culture, les us et coutumes du pays en question. Et puis, c’est le nerf de la guerre, lever des fonds c’est très complexe et nécessite du temps et de la patience.
Créer une Association ou une ONG, c’est créer une entreprise, sans but lucratif certes, mais avec ses règles, le respect des lois en vigueur, sa gestion, les difficultés, un marché, un pays. Il faut avoir des objectifs bien définis, une très bonne organisation et, si possible, une personne-partenaire sur place pour vous aider à vous adapter plus vite à la culture locale.

Comment les personnes intéressées peuvent-elles soutenir la Missão Robin Hood ?
Nous cherchons principalement deux formes de soutien : des dons pécuniers, car sans argent, malheureusement, nous ne pouvons pas continuer. Trop souvent les gens sont gênés de faire une offrande modeste et voient les dons comme réservés aux personnes fortunées ou aux entreprises, alors que ce sont plusieurs petits gestes qui, ensemble, changent le monde.
Pour ceux qui souhaiteraient parrainer les études d’un enfant en grandes difficultés scolaires, avec 25 euros par mois, vous lui offrirez tout ce dont il aura le plus besoin à la Mission Robin Hood.
Ensuite, nous recherchons des volontaires en France, notre association a grand besoin de se développer et de se structurer davantage.
Je souhaite aussi alerter les communautés brésiliennes qui vivent en France et à l’étranger : nous avons besoin de vous !
Nous soutenons des enfants brésiliens, vous connaissez plus ou moins les contrariétés et les obstacles à affronter comme les grands besoins, rejoignez-nous !
