Championne paralympique de snowboardcross et athlète para surf, Cécile Hernandez nous a fait l’immense honneur de s’entretenir avec l’équipe de l’ASFE. Sportive de haut-niveau, elle est une des championnes contribuant à faire changer le regard des Français sur le handicap. Quelqu’un qui nous rappelle également l’importance de la confiance en soi.
Pouvez-vous revenir pour nous, en quelques mots, sur votre parcours ?
Je suis sportive de haut-niveau mais je suis également une femme, une chef d’entreprise et une maman. Je viens du Sud de la France dans les Pyrénées orientales et j’ai grandi dans une famille qui était animée par le sport. Mon frère et moi avons été éduqués avec ces valeurs de la pratique sportive, de la compétition, de l’effort et du rien sans rien.
J’ai découvert le BMX à l’âge de dix ans. Sport particulièrement masculin, j’en ai beaucoup fait avec les garçons qui étaient plus fort que moi mais ma mère m’a toujours encouragée à me confronter à plus fort pour être tirée vers le haut. J’ai pratiqué ce sport à très haut niveau pendant une dizaine d’années puis j’ai ressenti une forme de lassitude, notamment en arrivant à Montpellier pour mes études. J’ai commencé le snowboard et j’ai eu un vrai coup de cœur. Ça me rappelait le BMX, à la fois dans les sensations du sport extrême mais aussi de glisse, de prise de vitesse, de saut et de compétition.
Le sport m’a énormément apporté. Le goût de l’effort et l’abnégation ont très positivement impacté mes études. Le sport m’a construite, physiquement, psychologiquement et socialement. Il m’a donné un mental de guerrière, « tu tombes, tu te relèves ». Rien n’est gagné ou perdu tant qu’on n’a pas franchi la ligne d’arrivée. Il y a aussi l’exigence, la discipline, cette hygiène de vie nécessaire à la réussite. J’ai réussi à l’appliquer dans tous les champs de ma vie. Aujourd’hui, j’essaie de le transmettre dans mon rôle de maman.
Vous étiez sportive de haut niveau en BMX avant de découvrir que vous étiez atteinte de sclérose en plaques. Quelles conséquences cette maladie a-t-elle eu dans votre approche du sport, et inversement, quel rôle prend aujourd’hui le sport dans votre rapport à la maladie ?
Je suis revenue à Perpignan pour accompagner ma mère qui avait des problèmes de santé. J’ai très rapidement créé une société de communication et d’événementiel sportif que j’ai développée pendant deux ans. Je me suis réveillée un matin totalement paralysée, immobile pendant quatre jours, quatre jours d’inconnu total, à ne pas pouvoir bouger mes jambes, à les griffer et les frapper, à la recherche de la moindre sensation.
Le diagnostic est tombé au soir du quatrième jour, le 24 octobre 2002. Le neurologue m’a annoncé qu’il ne savait pas si je remarcherais un jour en raison de cette maladie dégénérative grave du système nerveux central qu’est la sclérose en plaques. J’ai tout de suite demandé si j’allais pouvoir refaire du sport. Il m’a dit qu’il allait falloir faire le deuil de beaucoup de choses, du sport mais également de mon entreprise. Il fallait basculer dans le monde du handicap, un monde totalement inconnu pour moi. Tout s’est effondré, j’ai basculé de ma vie de rêve durement construire à ce cauchemar qui s’imposait à moi.
Comment votre rapport au monde du sport a-t-il évolué en intégrant le handisport ? Les attentes, les moyens et les accompagnements sont-ils différents depuis que vous avez commencé ?
J’ai intégré le handisport par la voie du journalisme en racontant la vie des autres. Je suis devenue chroniqueuse sur Europe 1 puis rédactrice en chef de la zone handisport du Figaro. J’étais très admirative des parcours incroyables de résilience qui m’ont vraiment inspirée. Je ne me projetais pas dans une telle carrière à cause de mon handicap mais également en raison de mon âge, en fin de trentaine, je ne me pensais pas capable. Je voulais faire briller le handisport par mes écrits.
En 2013, j’ai rencontré Patrice Baraterro, un snowboardeur handisport qui se préparait pour les jeux de Sotchi. Je lui ai partagé mon histoire et sa réaction m’a beaucoup marquée : « Ah mais c’est génial ! Je vais te montrer ! ». On a loué du matériel de snowboard et enchaîné les pistes. Ce fut une révélation. Il m’a dit qu’à ce rythme je pourrais rejoindre l’équipe de France. J’ai travaillé dur, ce qui m’a valu d’être sélectionnée en Coupe du Monde dans le Colorado un mois plus tard et de faire les jeux paralympiques à Sotchi en 2014, auxquels j’ai décroché ma première médaille d’argent.
Mon rapport au snowboard n’a pas évolué dans le sens où je pratique le même sport qu’avant. Nous ne sommes pas des handicapés qui pratiquent un sport mais des sportifs qui ont un handicap, là est toute la nuance. Bien que je tienne à parler de mon handicap pour faire évoluer le regard sur le handicap.
En revanche, c’est plus compliqué d’attirer médias et sponsors. Je cherche toujours des sponsors pour boucler mes saisons, particulièrement en ce moment car je suis sur un double projet sportif. Je suis en équipe de France de snowboard mais aussi de surf, visant une médaille sur les sports d’été. C’est beaucoup d’investissement. Mêmes attentes qu’avant, le haut du podium mais avec moins de moyens.
Sentez-vous que le fait d’être une femme soit source de difficultés en milieu sportif ? Le regard sur cette question a-t-il lui aussi évolué ?
Le fait d’être une femme a des impacts variés selon les sports. Moi, j’ai tendance à faire des sports dits « plus masculins ». Je suis la seule femme de l’équipe de France. C’est surtout cette solitude qui est difficile à gérer, avec des commentaires machistes ou sexistes dans l’équipe. J’ai donc proposé d’instaurer des règles dans le groupe avec des petites amendes ou des « cartons » quand on dépasse certaines bornes.
Ça passe aussi par l’éducation des coachs et du staff qui se doivent d’imposer une forme de rigueur dans le traitement des femmes en milieu sportif. Par ailleurs, la médiatisation, déjà difficile pour le handisport est encore plus compliquée en tant que femme parce que ça n’intéresse pas le public. C’est bien dommage car je suis persuadée que le sport féminin c’est l’avenir du sport.
Vous avez participé à de nombreuses compétitions internationales. Quel rapport à la France avez-vous développé en représentant notre pays dans ces événements ? Comment voyez-vous les JO qui arrivent ?
Je suis éperdument amoureuse de la France. Je suis extrêmement fière de porter ce drapeau tricolore et ce coq bleu blanc rouge sur la poitrine. Je suis honorée de mettre la main sur le cœur quand j’ai la chance et le mérite de chanter la Marseillaise. C’est énormément d’émotions. Quand on va à l’étranger, on voit beaucoup de Français qui viennent participer dans le public et qui signalent leur présence. Ce soutien est primordial. J’aime pouvoir faire rayonner la France à l’étranger et faire vibrer le public au-delà des frontières.
Le rapport au sport en France est encore compliqué, la culture sportive n’est pas assez développée notamment sur l’importance du sport dans le développement global de la personne au quotidien et tout au long de sa vie. C’est ce que j’essaie de transmettre à ma fille. Faire voyager la France en tant que sportive de haut niveau est important mais j’attends aussi que la France nous en donne les moyens et s’intéresse davantage à nous car nous sommes de réels ambassadeurs malgré nos ressources limitées.
Les Jeux qui arrivent sont l’occasion d’une nouvelle Révolution Française. Les jeux 2024 peuvent être une révolution à la fois sur le traitement du sport d’une manière générale, mais également l’appréciation du sport dans ses différents volets (social, médical, psychologique, intégration). Aujourd’hui, on parle beaucoup de sport-santé mais aucun plan politique n’est fait autour de tout ça. C’est aussi l’opportunité d’une révolution pour les personnes handicapées en termes d’accessibilité et d’une révolution médiatique pour le sport féminin. J’espère que cette révolution va se produire, s’ancrer et durer !
Quels conseils donneriez-vous à une jeune femme, confrontée ou non à la maladie, qui souhaiterait rejoindre le sport de haut niveau ?
Le premier conseil que je donnerais à une femme, quel que soit son âge, c’est d’oser, de ne pas se dire qu’elles ne sont pas capables et de pousser la porte des clubs. Il ne faut pas se mettre des barrières soi-même, ce n’est pas possible ! Il faut bousculer les codes et faire tomber les barrières. Si j’ai peur, pourquoi j’ai peur ? Aujourd’hui, ma peur est ma meilleure amie. Cette ennemie, je la confronte, je lui parle, j’en cherche les origines et je la transforme pour me permettre d’avancer.
Il faut faire preuve d’audace pour ne jamais se dire « si j’avais su » ou « si j’avais osé ». On fonce, on essaie, on est positive et surtout on croit en soi. Si on a besoin d’aide et de préparation, on ose demander. Il ne faut pas se laisser démonter par certains propos qui pourraient nous dévaloriser ou nous faire croire qu’on est « qu’une femme ». Non, on est une femme et on est l’avenir de tout ! Donc osez, foncez, croyez en vous, soyez audacieuses, l’avenir est à nous.