A l’occasion de la Journée mondiale de la sensibilisation à l’autisme 2022 organisée le 2 avril, l’équipe de l’ASFE a eu l’occasion de s’entretenir avec Eric LUCAS (en Autistan).
En toute première question, pourriez-vous définir l’autisme ?
“L’autisme” est une particularité humaine naturelle, à ne pas confondre avec “les troubles” relatifs à l’autisme. L’autisme repose sur un “référentiel naturel” : harmonie et cohérence, vérité et justesse, pas de confusion/amalgame ou déformation, donc sensibilité aux “atteintes sensorielles” (faites à l’harmonie physique) et aux “atteintes mentales” (faites à l’harmonie mentale).
Les autistes ne souffrent pas d’autisme, mais surtout des conséquences de l’absence de prise en compte correcte de l’autisme par le “système social” (qui est artificiel, abstrait, incohérent et confus). Puisque nous voyons les choses si différemment, on peut parler du “monde des autistes”, qu’on peut appeler l’Autistan (“pays métaphorique des autistes”).
Ambassade de l’Autistan, pays métaphorique des autistes.
Etre autiste, c’est un peu être “tout le temps un étranger” (même dans son propre pays). Nous voyons les conventions sociales de loin, elles varient selon les pays, elles ne sont pas “universelles”, donc pas “fiables”, donc les autistes peuvent difficilement y adhérer. En voyageant dans d’autres pays, nous continuons à être “des étrangers”, nous sommes habitués et nous avons moins besoin de nous “raccrocher” aux “conventions” de notre pays de naissance.
Vivre à l’étranger offre l’immense avantage de ne plus être méjugé parce qu’on est “bizarre”, ou parce qu’on ne perçoit pas un usage local ou une subtilité de langage “convenue” : nous sommes vus d’abord comme des étrangers, et notre “manque d’adhésion” aux “choses absurdes obligatoires” est accepté facilement.
Contrairement aux idées reçues, il ne faut pas mettre les autistes sous cloche, ce qui empêche “d’apprendre la société” (chose comparable à l’apprentissage d’une deuxième langue) : il faut favoriser (progressivement) les expériences les plus diverses, pour que la personne autiste trouve son propre “chemin de vie” et puisse s’y épanouir : il faut donc du “hasard”, ce qui n’existe guère dans les environnements sociaux sur-protecteurs.
J’ai commencé à m’ouvrir à la société, à l’apprécier, quand j’ai enfin pu trouver un ami à l’étranger en 2001, après plus de 30 ans de vaines recherches en France : je n’étais plus moqué ni pris pour un fou, mais juste pour un étranger. C’est lors d’un séjour en Amérique Latine en 2013, en voyant le film “My name is Khan“, que j’ai découvert mon “syndrome d’Asperger” (ancien nom de l’autisme “léger”), ce qui fut dûment confirmé ensuite.
En France, aucun médecin n’avait été capable de le voir avant, et en 1994-1995 on m’avait privé de liberté pendant 15 longs mois dans un hôpital psychiatrique, à cause de l’ignorance imbue. Ce fut très traumatisant et la blessure est toujours ouverte, faute d’accès à la justice depuis tout ce temps.
En 2014, j’ai créé l’Alliance Autiste (association française qui fait des rapports à l’ONU, hors de France donc). En 2015, j’ai quitté “le pays de ‘sous-France’ pour les autistes”, j’ai enfin pu faire des présentations (voir AutisticAlliance.org), puis je me suis trouvé si bien au Brésil qu’en 2017 j’y ai créé la première Ambassade physique d’Autistan à Rio de Janeiro. Ici, je ne risque pas d’être enfermé à tout moment sur la base d’une erreur médicale (et sans véritables possibilités de se défendre), et je me sens enfin libre ; ma “santé mentale” ne s’est jamais aussi bien portée (grâce à la bonne humeur, la gentillesse, la simplicité et l’humilité de la population).
Au Brésil, j’ai découvert le bonheur : je savais que ça existait, mais je croyais que c’était “pour les autres, pas pour moi” (comme beaucoup de choses quand on est autiste et sans les bons conseils). L’un de mes rêves serait un projet pour “sauver” d’autres personnes autistes en les aidant à s’évader d’un “occident malade”, par exemple pour leur éviter de se suicider, ce qui arrive trop souvent (et c’est logique dans de telles conditions).
Qu’aimeriez-vous voir comme changement dans la société dans la façon d’appréhender l’autisme ?
Il faut commencer par mieux comprendre l’autisme, sans approche “défectologique”, sans sentiment de supériorité. C’est l’histoire de “la poutre dans l’œil qui empêche de voir la brindille dans celui du voisin” (cf. les “Troubles Non Autistiques” très nombreux et parfois très dangereux, qui ne peuvent pas exister chez les autistes “non socialisés”, par exemple parce qu’ils n’ont pas besoin de dominer un voisin ou un pays).
Pour cela, il est essentiel de différencier “autisme” de “trouble”. Dans la plupart des “troubles autistiques”, il y a ceux qui sont “subjectifs” (comme l’incapacité à mentir, le désintérêt pour les conversations superficielles, les intérêts perçus comme “pas normaux”…), et il y a des “troubles” qui sont le résultat de souffrances causées par les “atteintes” (incohérences matérielles ou immatérielles), c’est à dire par des “troubles socio-générés”.
On nous force à entrer dans des moules trop petits, dans un “système normé” rudimentaire, aride et spirituellement pauvre, ce que j’appelle le “normalitarisme”… Si on pouvait en finir avec ce regard défectologique qui ne voit que des troubles ou du négatif dans l’autisme alors que les qualités de l’autisme (pas des troubles) sont importantes et utiles, alors le système socio-administratif pourrait mieux prévoir “l’accessibilité aux autistes”, la société serait prête à les accepter, il y aurait moins de souffrances. Il faut aussi arrêter de croire que “l’estime de soi” doit se faire via “la reconnaissance sociale”, car cela oblige les autistes à chercher cette dernière, ce qui est très difficile (et tellement superficiel), et ce qui amène à la dépression puis au suicide.
Quel message auriez-vous envie de transmettre à la société en cette journée mondiale de l’autisme ?
Il faut que les personnes “normales” apprennent que la différence enrichit, il faut qu’elles soient beaucoup plus attentives pour comprendre les causes des “troubles”, car en corrigeant celles-ci (c’est à dire avec un “environnement socio-généré” plus juste et respectueux de l’harmonie et de la naturalité), ce serait bénéfique – voire salutaire – pour l’ensemble de la société (avec “en prime” d’importantes économies).
Ainsi, au lieu de tenter “robotiquement” de conformer les autistes à un “système de pensée majoritaire” défectueux (ce qui revient à essayer de faire porter des chaussettes à un chat) il faut que l’ensemble de la société ait le courage de se remettre en question. Avant de les écraser sans réfléchir, il faut se demander si les autistes et les autres “humains non dénaturés” (comme les personnes trisomiques ou les aborigènes) n’ont pas une utilité dans un monde en pleine perdition matérialiste et superficielle.
Chaque être vivant a son importance et son utilité : l’espèce humaine a déjà fait suffisamment de mal avec les animaux et ce qui reste de la Nature, mais elle commence à “raboter ses propres marges” et elle est en train de perdre sa propre “humanité naturelle”, en devenant asservie aux machines et à l’illusion, comme des “humains robotisés”, des “hommes automatiques”. Il faut donc absolument éviter l’eugénisme des autistes (cf. “dépistage prénatal”, qui hélas a déjà conduit au génocide de la majorité des personnes trisomiques), car nous sommes comme des “détecteurs d’erreurs dangereuses” : il ne faut pas éteindre ni cacher les voyants rouges du système d’alarme et il ne faut pas ignorer les rares personnes autistes qui peuvent “faire des ponts entre les deux mondes”.
En conclusion, tant que “le système” a une attitude “supérieure” par rapport à l’autisme, il ne peut pas écouter nos explications avec l’attention nécessaire. C’est pourquoi il faut commencer par distinguer “l’autisme” des “troubles”, puis par comprendre que “le système social” est défectueux quand on le considère depuis un “référentiel naturel” (harmonie, vérité, justice…) avec lequel il est en conflit.
Les autistes sont en harmonie avec le référentiel naturel, il est donc logique qu’ils soient “peu miscibles” dans un “système social” abstrait, artificiel, dénaturé et même anti-naturel, destructeur. Il faut donc se demander “qui a raison”, lequel de ces deux “référentiels”… En fait, qu’on soit autiste ou “non-autiste”, je crois que pour aller vers l’autre, pour que ces deux “parties de la société humaine” puissent se comprendre et s’accepter et mieux vivre ensemble, c’est surtout une question de courage.
Malgré tous mes efforts pour faire preuve d’ouverture d’esprit, le regard condescendant qu’il porte sur la societé est assez agaçant
Bonjour et merci, ce n’est pas un « regard condescendant » mais juste la description d’une réalité, et ce n’est pas sur « la société » mais sur « le système social ».
Il suffit de regarder ce qui se passe dans le monde (mensonges, crimes, escroqueries, destructions, guerres etc, toutes choses que des autistes « authentiques » ne feraient pas).
Oui, c’est certainement « agaçant » et déstabilisant de lire ces critiques. Mais il est difficile de comprendre l’autisme sans comprendre la manière dont l’environnement social est généralement perçu par les autistes, c’est à dire comme étant absurde, injuste, voire hostile.
C’est au système social de commencer par corriger ses propres erreurs, vices et autres troubles, avant de vouloir y « conditionner » (ou ségréguer ou enfermer) ceux qui n’y adhèrent pas (autistes, trisomiques, et autres « trop différents »).
S’agacer du fait que des défauts systémiques sont mis en lumière (surtout par des personnes handicapées), c’est une chose. Mais ce n’est pas très important.
Les autistes souffrent principalement A CAUSE de ces défauts, donc pardon d’agacer en l’expliquant.
P..S. Pour répondre en quelques mots : le philosophe Jiddu Krishnamurti a dit « Ce n’est pas un signe de bonne santé mentale que d’être bien adapté à une société malade ».
(https://citations.ouest-france.fr/citations-jiddu-krishnamurti-1049.html)
Etait-il « condescendant » ? Je ne crois pas, vu sa personnalité plutôt humble.
Je dirais plutôt « lucide ».
Est-ce « agaçant » ? Peut-être.
Perturbant pour certaines personnes, probablement.
On peut également citer William L. Comer :
« Nous vivons dans une société malade emplie de personnes qui ne voleraient pas directement leur voisin mais qui sont prêtes à demander au gouvernement de le faire pour eux. » https://citation-celebre.leparisien.fr/citations/30863
Et oui, ceci explique cela…