L’équipe de l’ASFE a eu l’opportunité de rencontrer Hélène Sandoval, fondatrice du Théâtre Français de Rome. Entrepreneuse dans la culture depuis plus de 15 ans, très attachée à l’apprentissage et à la diffusion de la langue française, elle nous présente son nouveau projet de sensibilisation contre les violences faîtes aux femmes à destination des jeunes.
Pourriez-vous vous présenter pour les Français qui ne vous connaissent pas ?
Je m’appelle Hélène Sandoval, j’ai 48 ans et je vis en Italie depuis 1995. D’abord jeune fille au pair à Florence, j’ai choisi de vivre à Rome où je réside toujours. J’ai pu réunir mes deux passions: mon amour pour la langue française et celui pour le théâtre en réussissant les auditions pour intégrer l’Accademia Nazionale di Arte Drammatica Silvio D’Amico, une des deux plus grandes écoles de théâtre en Italie.
Bilingue, j’ai joué au sein de troupes italiennes des pièces en italien dans tout le pays durant 11 ans et je me suis complètement insérée dans la société italienne. Après la rencontre avec le père de mes enfants, j’ai concilié deux activités. L’entreprise d’expertise comptable que nous avons fondée et que j’ai co-dirigée pendant 16 ans, et peu à peu une reprise de mes activités autour du théâtre.
Souhaitant revenir aux sources et faute de troupe existante jouant en français, j’ai fondé une association puis une entreprise « Le théâtre Français de Rome » en 2003, tout en élevant mes deux enfants.
Pouvez-vous nous parler de votre association « le théâtre Français de Rome » ?
Crée en 2003, nos spectacles ont d’abord été joué en français et en italien mais toujours des pièces d’auteurs français. Cela a eu du succès et on m’a demandé des cours pour enfants, puis pour adolescents et pour adultes qui comptent désormais plusieurs centaines d’élèves par an.
Au cours de ces ateliers, je me suis découvert une passion pour l’enseignement et la transmission, ce qui m’a encouragée à m’y consacrer pleinement, et à ouvrir à tous les publics nos activités.
J’ai ainsi continué à développer l’enseignement du théâtre en français mais cette fois-ci dans les écoles italiennes où nous formons aussi les enseignants à une autre manière de transmettre et d’apprendre le français. L’expression théâtrale permet une meilleure assimilation du langage, une spontanéité et une aisance orale tout en diminuant les peurs et les blocages liés à l’appréhension d’une nouvelle langue. S’exprimer à l’oral en maitrisant sa voix, avec comme instrument son corps, fait oublier l’exercice en lui-même et permet aux élèves de gagner en confiance.
J’ai la chance d’être entourée d’une équipe de 15 personnes pour assurer des cours pour enfants dans une vingtaine d’écoles à Rome et à Milan, des cours dans les écoles françaises du pays, des cours de théâtre pour adultes débutants en français et aussi en italien désormais, pour les nouveaux arrivants ! C’est une grande force de diffusion de nos deux langues et la création de liens forts au sein de la communauté franco-italienne.
Auprès des écoles italiennes, ces liens se matérialisent, par exemple, lors de la production de spectacle par des groupes d’élèves présenté lors d’un grand festival : Festival Interscolaire Jeunes Acteurs – FIJA. Chaque groupe présente un morceau choisi de son spectacle devant un jury composé d’acteurs italiens, d’enseignants français qui remettent un prix de groupe.
Le festival, Goutte de Théâtre, crée en 2008, fait venir des troupes françaises en Italie pour y jouer leurs pièces. On sélectionne des pièces dans toute la France qui parleront aussi à la culture italienne et nous sous-titrons en italien pour inclure le plus grand nombre d’amateurs de théâtre !
Beaucoup d’élèves nous découvrent lors des cours en école ou lors des sorties culturelles avec leurs enseignants, puisque nous jouons dans toute l’Italie pour un public scolaire grâce à des textes adaptés. Le but est qu’ils s’amusent, qu’ils puissent débattre après avec nous. Cette année c’est Molière qui est mis à l’honneur !
Enfin, nous jouons toute l’année des pièces écrites par des auteurs français, plutôt des comédies contemporaines d’ailleurs.
J’ai à coeur d’encourager le dialogue entre nos deux cultures et de permettre au plus grand nombre de bénéficier des bienfaits de l’expression théâtrale, et après ces périodes difficiles, de rassembler.
Représentation de la pièce de Marivaux, « Le jeu de l’amour et du hasard »
Crédit photo : Paolo Cencioni
Vous portez un projet à destination d’un public de jeunes cette année » les maux sur des mots » et quoi consiste t’il ?
J’ai souhaité créer un projet propre au public adolescent que je côtoie déjà mais sur le thème précis des violences faites aux femmes. C’est à cet âge là que nos enfants choisissent quel adulte ils deviendront et je crois, qu’ils peuvent prendre conscience que des phrases, des comportements qu’ils répètent ne sont pas anodins.
Nous souhaitons intervenir dans les lycées français à Rome, à Naples, à Florence, à Pérouse et à Saint-Marin cette année.
Concrètement, nous diffuserons un film de quelques minutes, réalisé par nos soins, qui contiendra une scène de la vie courante, familiale, qui comporte des scènes de violences psychologiques. Un débat sur ces images permettra d’ouvrir la discussion autour de la manipulation, de la violence, de comportements problématiques.
Un acteur sera présent et guidera les élèves dans des scènes d’improvisation pour que ces phrases entendues par tout le groupe puissent être identifiées comme violentes. Ces improvisations marqueront les enfants, pourront être l’objet de discussions en famille, avec les professeurs, et entre élèves.
Crédit photo : Paolo Cencioni
Qu’est-ce qui a motivé votre choix de défendre cette cause de la lutte contre les violences faites aux femmes ?
L’année dernière deux évènements m’ont interpellée. J’ai rencontré des femmes victimes de violences conjugales, parfois physiques, toujours psychologiques. Je n’avais pas les outils et les moyens de les aider comme des professionnels ont la capacité de le faire, je connaissais assez peu ces problématiques. J’ai commencé à chercher un moyen de les aider à mon niveau, avec mes outils, sur lesquels ceux et celles qui sont victimes ou témoins de violences, que ce soit familiales, conjugales, psychologiques, morales ou physiques puissent s’appuyer.
J’ai découvert des termes que je n’avais jamais entendus comme personne toxique, pervers narcissique, emprise, manipulation… et j’ai choisi de privilégier la prévention, la discussion auprès des adolescents pour changer durablement les comportements de la génération de nos enfants.
En parallèle, en pleine crise sanitaire, l’Italie a connu les premières semaines, un nombre effroyable de femmes tuées par leur conjoint (presque 15 en quelques semaines pour la région romaine). Peu mobilisé sur ce sujet, le gouvernement italien a lancé un grand plan sur les violences faites aux femmes, notamment au sein des foyers.
Est-il possible de comparer la situation en Italie à celle d’autres pays européens ?
J’ai l’impression qu’il y a un décalage entre la France et l’Italie par exemple. Comme je le disais, je trouve qu’en France, même si les dispositifs sont insuffisants, des outils sont mis en place. En Italie, la société italienne, très patriarcale, l’éducation fortement différenciée entre les filles et les garçons, ont modelé le cliché d’un homme, un vrai, viril, chef de famille, gentiment macho et le tabou sur ces violences a perduré.
Nous avons été confiné pendant plusieurs mois de manière stricte comme par ailleurs, et c’est à la suite de ce décompte morbide du décès de femmes sous les coups de leur conjoint, qu’il y a eu un sursaut national, avec la mise en place d’un numéro dédié, d’un dispositif juridique et de son bureau maintenu ouvert durant la crise du covid.
On pouvait par exemple appeler la police et commander une pizza comme code pour évoquer une situation dangereuse et la demande d’un intervention urgente des forces de police ou des carabiniers était lancée.
Il existe aussi un « code rose » mis en place dans les hôpitaux qui suppose une prise en charge rapide, un personnel médical formé. Les services de police interviennent plus vite, et sont mis à disposition pour protéger ces femmes et leurs enfants avec un accompagnement psychologique.
Que faut-il changer pour mettre un terme aux violences conjugales selon vous ? Comment peut-on mieux développer la prévention ?
Comme je le disais, je pense que c’est avant tout une question d’éducation et d’autant plus de mentalités ici en Italie sur le cliché d’un homme italien qui évite d’aborder le coeur du problème.
Cela passe selon moi, par la prise de conscience qu’on peut élever un jeune homme en lui expliquant la différence entre domination, autorité, virilité, respect, et quelles sont les limites à ne pas franchir tout en transmettant l’identité et la tradition italienne qu’on souhaite. De la même manière, on doit aussi pouvoir expliquer à une jeune femme ce qui relève ou non de la violence, à qui en parler, vers qui se tourner, et les instruments à leur disposition sans toucher à l’héritage culturel italien.
Je caricature car cela peut être aussi des femmes violentes évidemment, mais je parle des rapports de force que j’ai pu rencontrer et qui étaient ceux que je décris entre les hommes et les femmes et qui est latent en Italie.
Chacun élève ses enfants avec le bagage familial et psychologique de sa propre enfance, et on ne se rend pas forcément compte que nos comportements reproduisent une violence intégrée car c’est notre éducation. Je ne parle pas d’une violence physique qui vous amène à l’hôpital mais plutôt à un rapport de force qui s’est installé.
On compte parmi d’autres, des des abus psychologiques qu’on reproduit inconsciemment comme la valorisation excessive d’un garçon mais aussi le rabaissement des opinions, des besoins, le dénigrement de vos compétences ou de vos envies, le contrôle sur l’autre, sur son temps, sur ses dépenses, les moqueries ou les sarcasmes, la sensiblerie de la femme ou des enfants, les menaces d’abandon, le chantage, un langage corporel menaçant, un manque de respect apparent, une indisponibilité notamment émotionnelle quand il le décide, etc… Et je ne parle pas de violences sexuelles, ni physiques et des conséquences sur les enfants et leur construction !
L’école à mon sens, doit permettre de remédier en partie à ce type de comportements mais pour les comprendre, il faut d’abord les connaître puis les identifier pour les changer ou s’y opposer. Or les concepts comme évoqués de manipulation ou de violences psychologiques sont trop vagues pour que les gens puissent s’identifier contrairement à des expressions, des situations jouées.
N’oublions pas aussi que l’isolement d’une femme dans un pays étranger, dont elle maîtrise parfois mal la langue, les institutions, dont elle dépend parfois économiquement, ou socialement rend encore plus difficile ces situations.
Selon vous, existe-t’il des facteurs qui contribuent au développement des violences faites aux femmes ou des similitudes dans les situations dont vous avez eu connaissance ?
J’ai beaucoup travaillé sur ce sujet et tous les milieux sociaux sont touchés. Au contraire,
une aisance financière ou sociale rend plus difficile l’identification de ces mécanismes et contrairement à ce que l’on pense, la décision de quitter ces situations alors que dans les faits, beaucoup jugent qu’elles en ont les moyens.
On oublie l’emprise, le syndrome de sauver son conjoint, l’impact sur sa vie sociale, sa vie familiale, les procédures juridiques, la garde des enfants… On ne pense pas aussi que ces femmes soient concernées : elles maintiennent souvent pendant longtemps les apparences et sont loin de l’image de la femme soumise, faible que l’on serait tenté d’avoir. Ces femmes vivent dans la peur, sont dans une grande solitude, s’adaptent constamment aux changements d’humeur, portent une famille et un équilibre de vie précaire au péril de leur vie.
S’il n’y a pas de facteurs de cause effet directs, il y a cependant des parcours de vie qui accumulent des éléments qui font qu’on tombe plus facilement sur des hommes avec des comportements problématiques ou dans des schémas inconscients qu’on répète ou vers lesquels on se tourne.
Les psychologues avancent notamment que les comportements parentaux subis et l’éducation donnée ont un impact très fort sur la reproduction de ce qu’a vécu un enfant conditionné par des images et des paroles. Cela rend encore plus dur, la mobilisation de ressources pour sortir de ces situations.
Pour finir, une femme ne pense jamais faire partie de ces catégories de personnes : femmes battues, victimes de violences, harcelées, humiliées car les mécanismes psychologiques sont complexes et nombreux.
Si tout ce que je fais peut aider ne serait-ce qu’une seule femme, qu’un seul enfant, mon pari sera gagné.
grand merci pour le témoignage d’Héllène S. que j’aimerais tant rencontrer et échanger sur son engagement similaire au mien au cours des dernières 40 années, en Allemagne cependant. Tout d’abord le théâtre en francais à l’Institut fr. de Stuttgart, suivi d’apprentissage et lecture scénique en allemand dans une école avec grand nombre d’enfants et jeunes issus de l’immigration + depuis 2016 remise de même exercice, assurément + difficile que dans les années 90 auprès de nombreux réfugiés seul ou en famille.
Je ressens ses forces de motivation, le grand désir de transmettre également par les sens et surtout celui d’aider. J’ai maintenant 76 ans, ne peux plus me permettre d’offrir tant de temps, suis très prise par l’assistance physique indispensable à mon mari…
Merci de rendre public les nombreux bons exemples dans l’ International.
Meilleurs sentiments, courage et bonne continuation
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