Le projet de loi de finances pour 2026 s’impose déjà comme l’un des exercices budgétaires les plus instables de ces dernières années. Non par la radicalité de ses choix. Mais par la fragilité de son parcours et l’incertitude qui entoure désormais son issue. En ce 18 décembre 2025, personne n’est en mesure de dire si la France disposera d’un budget avant la fin de l’année.
Il faut dire que le premier acte de la séquence budgétaire a donné le ton. La première partie du projet de loi – celle des recettes – a été rejetée par l’Assemblée nationale à la quasi-unanimité (une seule voix pour !), entraînant mécaniquement un renvoi vers le Sénat dans la version initiale, c’est-à-dire celle du Gouvernement. L’Assemblée n’a même pas pu se prononcer sur la deuxième partie, celle des dépenses.
C’était un signal politique fort, même si assez incompréhensible pour les Français : pourquoi les députés ont-ils rejeté un texte sur lequel ils ont travaillé d’arrache-pied pendant des semaines ? Il ne pouvait y avoir de révélateur plus fort de cette Assemblée plus fragmentée que jamais, incapable de se mettre d’accord sur les recettes de l’Etat et la fiscalité.
Le texte a ensuite été renvoyé au Sénat. Lundi dernier, après dix-sept jours de débat, la Chambre haute a adopté l’ensemble du projet – recettes et dépenses – dans une version largement réécrite par la majorité sénatoriale de droite et du centre. Mais, loin de rétablir une trajectoire plus rigoureuse, la copie sénatoriale creuse paradoxalement davantage le déficit, en réduisant certaines recettes – dans une volonté de baisse de la fiscalité – sans compenser pleinement par des économies sur les dépenses.
La prochaine étape est désormais devant nous : dès demain, la commission mixte paritaire (CMP) qui sera convoquée devra tenter de rapprocher des visions budgétaires profondément divergentes. Autant dire que son issue est plus qu’incertaine. Non seulement parce que Sénat et Assemblée ne sont souvent pas d’accord entre elles – même si le compromis entre les deux chambres n’est pas une chose si rare que ça – mais surtout parce que l’Assemblée nationale n’arrive même pas à trouver d’accord en son propre sein.
En cas d’échec – un scénario assez plausible – une nouvelle lecture sera obligatoirement engagée dans chaque chambre. Mais le calendrier impose une contrainte supplémentaire : une loi spéciale devra être adoptée entre-temps afin d’assurer la continuité de l’action publique. Or, cette solution, souvent présentée comme purement technique, est loin d’être neutre : elle représente un coût estimé à 10 milliards d’euros, venant alourdir encore un déficit déjà extrêmement élevé.
À ces incertitudes budgétaires s’ajoute une contrainte politique majeure : l’exécutif s’est engagé à ne recourir ni aux ordonnances ni à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. Ce choix – geste de respect envers le travail parlementaire – va considérablement limiter les marges de manœuvre de l’exécutif. Il fait du compromis non plus une option, mais une nécessité – sans pour autant en garantir l’adoption d’un budget au 31 décembre…
Derrière la mécanique institutionnelle, c’est une question plus large qui se pose : comment gouverner sans majorité, sans outils de parlementarisme rationalisé, et avec des équilibres financiers plus que dégradés ? Au bout du compte, le budget 2026 apparaît surtout comme le symptôme d’un système à bout de souffle. Dans les jours à venir, l’enjeu ne sera pas seulement de savoir si un accord est trouvé en CMP. Il sera, finalement, de mesurer le coût – financier, politique et démocratique – d’un budget constamment menacé.


