Parmi les facteurs qui fragilisent aujourd’hui durablement le budget de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), la question de la charge des pensions civiles occupe une place centrale. Souvent perçue comme technique, voire opaque, elle est pourtant au cœur des tensions financières actuelles du réseau. Surtout, elle ne constitue ni une anomalie propre à l’AEFE ni un problème conjoncturel : elle révèle un choix budgétaire structurel de l’État, qui concerne de nombreux opérateurs publics.
Le CAS Pensions : un outil de financement, pas un « déficit caché »
Les fonctionnaires titulaires de l’État relèvent d’un régime de retraite spécifique, financé par le compte d’affectation spéciale (CAS) « Pensions ». Ce compte budgétaire retrace, d’un côté, les recettes (principalement les cotisations salariales et surtout les cotisations employeur versées par les administrations et opérateurs) et, de l’autre, les dépenses, c’est-à-dire le paiement des pensions des retraités.
Le CAS Pensions n’est donc pas une caisse autonome comparable à un régime de retraite du secteur privé : il s’agit d’un outil comptable de l’État, destiné à assurer la continuité du paiement des pensions et à rendre visible leur coût réel dans les budgets publics.
Contrairement à une idée largement répandue, ce dispositif ne masque pas un « déficit caché » des retraites des fonctionnaires. Comme l’ont montré plusieurs travaux d’économistes, notamment ceux du Conseil d’analyse économique, il met au contraire en évidence un fait essentiel : le coût complet du travail public est plus élevé qu’il n’apparaît si l’on ne regarde que les salaires nets ou bruts. Il est ainsi surévalué. Le CAS Pensions est un instrument de transparence, pas une anomalie financière.
Une cotisation employeur structurellement dynamique… et appelée à augmenter
La principale caractéristique du CAS Pensions réside dans le niveau très élevé de la cotisation employeur, sans équivalent dans le secteur privé. En 2025, cette cotisation s’élève à environ 78 % du traitement brut pour les fonctionnaires civils. Autrement dit, pour 100 euros de salaire brut versé, l’employeur public doit acquitter près de 74 euros supplémentaires au titre des pensions futures.
Cette cotisation n’est ni stable ni plafonnée. Elle est délibérément ajustée à la hausse pour garantir l’équilibre du compte, en fonction :
- de la démographie des retraités,
- de l’évolution de l’espérance de vie,
- et des choix de politique salariale et statutaire de l’État.
Rien n’interdit donc, sur le plan budgétaire, que cette cotisation continue d’augmenter fortement à l’avenir. Elle peut même, théoriquement, dépasser 100 % du traitement brut. Ce n’est pas une hypothèse abstraite : pour certains corps spécifiques, comme les militaires, la cotisation employeur atteint déjà environ 120 % aujourd’hui. Le signal est clair : le CAS Pensions est un coût structurellement croissant, et non une dépense maîtrisable par les opérateurs.
Le transfert de 2009 : une charge dynamique, une compensation figée
C’est dans ce contexte qu’intervient la décision prise en 2009 de transférer à l’AEFE la charge des pensions civiles de ses personnels titulaires, en intégrant ce coût dans la subvention pour charges de service public versée par l’État.
Sur le principe, le mécanisme peut sembler neutre. Mais dans sa mise en œuvre, il repose sur une hypothèse irréaliste : celle d’un coût stable. En pratique :
- la charge a été intégrée une fois pour toutes, sur la base d’un montant initial d’environ 120 M€ ;
- aucune clause de révision, aucun mécanisme d’indexation ou de suivi n’a été prévu ;
- l’AEFE a donc hérité d’une dépense obligatoire, nationale et dynamique, sans garantie de compensation future.
Autrement dit, l’État a transféré non seulement une charge, mais aussi le risque budgétaire associé à son évolution.
Un effet de ciseau budgétaire désormais insoutenable
Depuis 2009, le coût réel des pensions civiles supportées par l’AEFE n’a cessé d’augmenter. Sous l’effet combiné de la hausse des taux de cotisation, du vieillissement des personnels titulaires et de la progression des droits à pension, cette dépense atteint aujourd’hui plus de 186 M€ en 2025, soit une augmentation de plus de 50 % en quinze ans.
Dans le même temps, la subvention de l’État suit une trajectoire inverse :
- 455 M€ en 2024,
- 420 M€ en 2025,
- 391 M€ prévus en 2026.
Ce double mouvement crée un effet de ciseau budgétaire particulièrement violent. Faute de revalorisation de la compensation initiale, l’AEFE doit désormais absorber environ 66 M€ par an de surcoût structurel lié aux pensions civiles. Ce montant n’est pas ponctuel : il s’inscrit dans la durée et est appelé à croître encore avec l’augmentation future des taux de cotisation.
Le CAS Pensions en 6 points essentiels
| Point | Explication |
|---|---|
| Qu’est-ce que le CAS Pensions ? | Le compte d’affectation spéciale « Pensions » est un compte budgétaire de l’État qui sert à payer les pensions des fonctionnaires et assimilés. Il ne s’agit pas d’une caisse de retraite autonome, mais d’un outil comptable intégré au budget de l’État. |
| Comment est-il financé ? | Par trois sources principales : les cotisations salariales des fonctionnaires ; les cotisations employeur, versées par l’État et ses opérateurs ; et des ajustements budgétaires si nécessaire, décidés par l’État. |
| Pourquoi la cotisation employeur est-elle si élevée ? | Parce qu’elle vise à couvrir le coût réel des pensions futures dans un régime très majoritairement financé « en répartition », avec un nombre de retraités élevé par rapport aux actifs. Elle sert aussi à compenser des choix historiques (départs précoces, carrières longues, pensions indexées). |
| Peut-elle continuer à augmenter ? | Oui. La cotisation employeur n’est ni plafonnée ni figée. Elle a déjà fortement augmenté et continuera mécaniquement de progresser. Elle peut même dépasser 100 % du traitement brut : c’est déjà le cas pour certains corps, notamment les militaires (environ 120 % aujourd’hui). |
| Qui décide de son niveau ? | L’État, par voie réglementaire et budgétaire. Les opérateurs n’ont aucune marge de manœuvre sur ce paramètre. |
| Pourquoi est-ce un problème pour les opérateurs ? | Parce qu’ils doivent assumer une dépense obligatoire, dynamique et décidée au niveau national, souvent sans compensation intégrale dans leurs dotations. |
Un problème systémique, partagé par d’autres opérateurs de l’État
L’AEFE est loin d’être un cas isolé. Les universités et les grands organismes de recherche sont confrontés au même mécanisme : des hausses rapides et non compensées du CAS Pensions, qui viennent s’ajouter à d’autres charges salariales décidées au niveau national.
Dans une tribune récente, les dirigeants du CNRS, de l’INRAE et de l’Inserm alertent sur l’impossibilité, pour leurs établissements, d’absorber durablement ces surcoûts. Ils rappellent une évidence budgétaire : lorsque l’État décide d’augmenter le coût des pensions, il doit en assumer le financement, comme il le fait pour ses administrations centrales, et non le transférer silencieusement à des opérateurs déjà sous contrainte.
Des conséquences directes pour le réseau d’enseignement français à l’étranger
Pour l’AEFE, les effets sont particulièrement préoccupants. La charge croissante des pensions civiles :
- réduit mécaniquement les moyens disponibles pour l’action pédagogique,
- accentue la pression sur les frais de scolarité demandés aux familles,
- fragilise l’équilibre financier des établissements,
- et limite la capacité de développement du réseau à l’international, pourtant affichée comme une priorité stratégique.
Ce sont ainsi les familles, les personnels et l’attractivité du modèle éducatif français à l’étranger qui supportent indirectement le coût d’un choix budgétaire national.
Un débat éminemment politique
Le débat sur la charge des pensions civiles n’est ni technique ni secondaire. Il pose une question politique simple : l’État doit-il assumer pleinement le coût de ses propres décisions en matière de retraites, ou continuer à le faire porter sur ses opérateurs, au risque de fragiliser des politiques publiques essentielles ?
Tant que la charge du CAS Pensions restera non compensée et dynamique, elle constituera pour l’AEFE – comme pour d’autres opérateurs – non pas un simple poste de dépense, mais un facteur structurel de déséquilibre budgétaire et de désengagement de l’État.


