Il arrive parfois que les débats budgétaires, pourtant souvent austères, disent beaucoup plus que des chiffres. Le 9 décembre, lors de l’examen des crédits de la mission Action extérieure de l’État, c’est un véritable miroir qui s’est tendu dans l’hémicycle du Sénat : celui de la relation que la France entretient avec ses citoyens de l’étranger, ses réseaux diplomatiques, ses établissements scolaires, et sa capacité – ou son incapacité – à assumer son ambition internationale.
Dans cet hémicycle souvent feutré, les Sénateurs ASFE se sont exprimés avec force et complémentarité : Sophie Briante Guillemont, mobilisée sur l’AEFE et la protection sociale des Français de l’étranger, et Evelyne Renaud-Garabedian, déterminée à rappeler l’urgence de moderniser l’action consulaire. Toutes deux ont dessiné les contours d’un même constat : un pays qui prétend être une puissance d’influence doit d’abord se donner les moyens de soutenir ses propres citoyens à l’étranger et ses outils d’influence.
L’AEFE, ou l’aveuglement qui menace notre influence
Le réseau des lycées français à l’étranger constitue un joyau stratégique de la France : éducation, diplomatie d’influence, soft power, lien culturel, attractivité… Et pourtant, il est traité comme une variable d’ajustement budgétaire.
Sophie Briante Guillemont a tiré la sonnette d’alarme : si une réforme en profondeur de l’AEFE est salutaire, et elle ne pourra pas se faire sans le réengagement financier de l’État. Ella a notamment défendu deux amendements visant simplement à rétablir les crédits de l’AEFE au niveau de l’an dernier, ainsi qu’à annuler la nouvelle coupe prévue pour 2026 de 25 millions d’euros. Un geste minimal, guidé par le réalisme : l’agence traverse aujourd’hui une crise financière profonde.
Le refus du Gouvernement d’entendre cet appel n’a surpris personne, mais il interroge. Certes, une réforme en profondeur de l’AEFE est à l’étude, mais elle ne pourra pas se faire, pour Sophie Briante Guillemont, sans un réengagement de l’État. Car comment parler de rayonnement, quand on laisse se déliter l’un des réseaux éducatifs internationaux les plus respectés au monde ? Comment soutenir les familles françaises à l’étranger, quand les frais de scolarité explosent et que les établissements doivent se débattre pour maintenir leur niveau d’excellence ?
La modernisation de l’action consulaire
Si l’AEFE est devenu une urgence politique, l’action consulaire représente tout autant la colonne vertébrale de la présence française à l’étranger.
Evelyne Renaud Garabedian l’a rappelé avec force : sans consulats modernisés, dotés de moyens humains et numériques adaptés, la relation entre l’État et ses ressortissants se délite. Dans son intervention, elle a rappelé des réalités chiffrées et implacables : 200 000 Français de l’étranger supplémentaires en un an, soit l’équivalent d’une ville comme Rennes à absorber par le réseau consulaire ; 500 000 titres d’identité délivrés chaque année, en augmentation constante ; 3 millions de visas instruits, et un état civil consulaire saturé. Tout cela avec 1 800 agents seulement, un effectif quasiment stable depuis des années.
Elle a également pointé une absurdité structurelle : le vivier des 500 consuls honoraires, pourtant implantés dans des zones dépourvues de présence permanente, est sous-utilisé, alors qu’ils pourraient accomplir des tâches simples (remise de documents, collecte de dossiers, repérage des vulnérabilités) sans coût supplémentaire pour l’État.
L’intervention de la sénatrice a replacé ce sujet, trop souvent relégué en marge, au cœur du débat : une politique extérieure forte repose d’abord sur une administration consulaire efficace.
La CFE, un pilier social qui s’effrite dans l’indifférence
Autre enjeu crucial : la Caisse des Français de l’Étranger (CFE). Cette institution est bien plus qu’un organisme technique : c’est la garantie, pour les Français de l’étranger, de conserver un lien de protection sociale avec la France.
Organisme de droit privé, chargé d’une mission de service public, certaines obligations s’imposent à lui : notamment, le fait de proposer des cotisations plus faibles pour les Français les plus en difficulté, ce qu’on nomme la « catégorie aidée ». Cette politique sociale coûte à la CFE 5 millions d’euros, avec une contribution de l’État de 380 000 euros… Sophie Briante Guillemont a défendu des amendements visant à revaloriser cette contribution, sans succès. Par ailleurs, aux demandes de précisions sur la réforme de la CFE, devenue urgente et dont les difficultés ont été mises en avant par un rapport inter-inspections, le Ministre n’a pas apporté de réponses. Là encore, l’État entretient un discours de soutien à nos compatriotes, mais laisse s’affaiblir l’outil qui incarne, dans les faits, cette solidarité.
Une victoire importante : l’adoption de l’amendement sur les bourses scolaires
Au cœur d’un débat marqué par les refus, une bonne nouvelle est pourtant venue éclairer la séance : l’amendement visant à renforcer les bourses scolaires a été adopté. Les crédits de cette enveloppe avaient été diminués avec un argument : les demandes de bourses sont en baisse.
Et c’est vrai. Pour Sophie Briante Guillemont, qui a demandé une étude approfondie, la principale raison est le reste à charge – en hausse – pour les familles lorsque les bourses ne couvrent pas 100% des frais de scolarité. En réponse, Jean-Noël Barrot a précisé lors du débat que la baisse des demandes n’est pas observée partout : un tiers des circonscriptions connaissent une augmentation du nombre de boursiers.
Autre victoire : un financement dédié aux violences conjugales subies par les Français de l’étranger
C’est un sujet qui fait l’objet d’une amorce de politique publique, avec un rôle précurseur et fondamental des associations. Pourtant, les partenariats qui ont pu être signés avec le Ministère des Affaires étrangères et mobilisés dans le discours sur la diplomatie féministe de la France, ne font l’objet d’aucun financement public dédié. Sophie Briante Guillemont l’a souligné lors du débat, demandant un effort budgétaire modeste.
A voir si ces deux avancées resteront dans la copie finale du budget 2026.
Un débat qui interroge la vision française de la présence mondiale
Au-delà des amendements acceptés ou rejetés, une question demeure : que veut vraiment la France pour son action extérieure ?
Car l’examen budgétaire montre une évidence : on ne peut pas prétendre mener une politique mondiale ambitieuse en affaiblissant ses instruments. On ne peut pas parler d’influence, tout en négligeant les infrastructures qui la rendent possible. Le 9 décembre 2025, ce sont finalement deux visions qui sont apparues : celle d’un État comptable et celle d’élus qui refusent de laisser s’étioler la présence française dans le monde.
La politique étrangère, ce n’est pas seulement un discours, c’est surtout un budget. Et un budget dit toujours, très clairement, où vont les priorités d’un pays.
Vous pouvez revoir le débat dans son intégralité ou accéder à son compte-rendu ici.


