Vendredi 13 juin au matin, le monde apprenait, avec une certaine surprise, le début d’hostilités militaires ouvertes entre Israël et l’Iran, qui se poursuivent jusqu’à aujourd’hui. Pour autant, le conflit entre les deux pays n’est pas nouveau.
Johann Habib, Conseiller des Français de l’étranger pour la circonscription de Tel Aviv et Baki Manèche, Conseiller des Français de l’étranger pour la circonscription comprenant l’Iran ont accepté de répondre à nos questions et d’exposer leurs points de vue, différents, sur la situation actuelle. Tous deux sont par ailleurs avocats et binationaux. Leur témoignage nous semble précieux pour permettre aux Français qui nous lisent de mieux comprendre ce qui se passe actuellement au Moyen-Orient, les différences d’opinion et de perception, ceci dans une perspective de dialogue.
Pouvez-vous nous expliquer, selon vous, ce qui explique que ce moment ait été choisi pour transformer soudainement ce qui était un conflit larvé en guerre ou quasi guerre ouverte ?
Baki Manèche : « Malheureusement, la situation géopolitique était déjà très tendue depuis les massacres du 7 octobre et la guerre qui a suivi. La supériorité militaire israélienne a permis d’éliminer une grande partie des groupes pro-iraniens, ou du moins de neutraliser leur capacité de nuisance envers Israël dans la région. Mais surtout, la chute de Bachar al-Assad a détruit un axe stratégique essentiel pour l’Iran, ouvrant définitivement une voie aérienne directe vers l’Iran pour l’armée de l’air israélienne — une voie qu’elle utilise pleinement aujourd’hui.
Par ailleurs, l’antagonisme développé depuis de longues années entre Benyamin Netanyahou et les dirigeants iraniens a fait le reste, sur fond de tensions croissantes autour du programme nucléaire iranien et de l’incapacité de Donald Trump à négocier un accord et à contenir l’escalade ».
Johann Habib : « L’élimination du programme nucléaire militaire iranien fait partie des priorités sécuritaires du monde libre depuis de nombreuses années, sans réelles avancées. Cela a permis au régime des mollahs, ouvertement hostile à l’existence même d’Israël, de jouer la montre et d’atteindre, ces dernières semaines, un stade inédit, couplé à un développement de missiles balistiques très sophistiqué.
Par ailleurs, les iraniens financent leurs « proxy » Hamas, Hezbollah, Houtis et milices en Irak, dont l’essence même est également d’éliminer l’État juif. À partir du 9 octobre 2023, Tsahal a quasiment éliminé la menace du Hezbollah, réduit considérablement la capacité de nuisance des Houtis et du Hamas. En outre, le régime syrien, allié principal des mollahs, s’est écroulé comme un château de cartes. Le momentum était donc favorable à cette nécessaire intervention.
Le caractère spectaculaire des interventions montre qu’on était dans le money time d’un mécanisme qui s’est construit sur le long terme ».
Quel est le sentiment, la position, du peuple israélien et du peuple iranien sur ce qui se produit depuis vendredi ? Tous sont-ils alignés avec les positions de leurs gouvernements respectifs ou existe-t-il des dissonances ?
Johann Habib : « Si des Israéliens peuvent douter que la priorité du gouvernement soit la libération des otages, l’opération contre l’Iran jouit d’un consensus massif. Cette opinion est partagée par toutes les catégories de la population israélienne, y compris la population arabe, pour en être un témoin au quotidien, puisque je vis dans le quartier mixte de Jaffa, et que, par la force des choses, le plus clair de nos nuits actuelles est passé dans les abris publics du quartier. Ils se rendent compte qu’au même titre que le 7 octobre, où le Hamas a assassiné ou kidnappé des citoyens druzes, arabes, bédouins ; les attaques aveugles par le régime iranien touchent tous les civils sans distinction ».
Baki Manèche : « Pour ma part, je suis de très près la situation à travers différents canaux de communication. Je garde le contact avec ma famille, mes amis, mes équipes en Iran, nos élus nationaux, l’administration, ainsi que nos compatriotes qui me sollicitent. J’utilise également les réseaux sociaux et divers réseaux d’information.
Il est évident que, dans les premières heures de ces attaques terribles, les réactions ont été dominées par la colère, la peur et un fort ressentiment vis-à-vis des bombardements. Cependant, la population iranienne a, dans sa grande majorité, toujours su distinguer entre, d’un côté, le peuple israélien, les Juifs dans le monde — y compris les quelque 10 000 Juifs vivant en Iran — et, de l’autre, le gouvernement de Benyamin Netanyahou. Je pense que c’est probablement la même chose côté israélien.
La population iranienne ne comprend pas les pertes civiles, les attaques contre des infrastructures non militaires, ni les propos extrêmement durs — notamment de la part du ministre israélien de la Défense — visant les civils iraniens.
Une action plus mesurée et ciblée aurait peut-être été perçue différemment, dans un contexte où la population exprimait déjà une profonde colère face à la situation économique et sociale du pays. La population iranienne ne se réjouit absolument pas des morts civiles et des destructions, quelles qu’en soient les victimes ».
Plus particulièrement, quelle est la situation et le niveau de préoccupation des Français de vos circonscriptions respectives ? Portez-vous des demandes particulières vis à vis des autorités françaises ?
Baki Manèche : « Une grande partie de la communauté française en Iran est binationale (environ 85%), avec l’ensemble de ses centres d’intérêt vitaux en Iran. Il est donc très difficile, voire inconcevable pour beaucoup, de tout quitter.
Néanmoins, quelques demandes nous ont été adressées par des personnes en situation extrême, cherchant à quitter le pays par la route, via la Turquie, l’Azerbaïdjan ou l’Arménie. Nous suivons leur parcours avec attention et relayons les informations via divers canaux (commission sécurité de l’AFE, CDCE, ambassades de France, etc.).
Je suis toutefois inquiet quant à l’accueil qui pourrait être réservé à nos compatriotes — qu’ils viennent d’Iran ou d’Israël — s’ils souhaitent se rendre en France. À ce stade, rien ne semble véritablement organisé pour les recevoir, notamment ceux qui n’ont ni famille ni ressources sur le territoire français. Or, pour certains d’entre eux, la situation est urgente, tant en Israël qu’en Iran.
Nous devons trouver rapidement des solutions, car des civils sont victimes des deux côtés. Et j’espère, à cette heure, que nous ne comptons aucun compatriote parmi les personnes touchées.
Johann Habib : « Il faut distinguer les Français résidents israéliens, qui sont binationaux, des touristes. Ces derniers, légitimement, demandent à rentrer en France. Pour l’instant, l’aéroport est fermé, et le consulat de France leur propose de patienter, en offrant des solutions de logement par le biais d’associations, ou de tenter leur chance à la frontière jordanienne, ce que je trouve personnellement hasardeux.
Les Franco-Israéliens sont hélas habitués aux alertes et aux bombardements, d’où qu’ils viennent, sur des zones urbaines, et, pour les plus anciens d’entre eux, durant la guerre du Golfe en 1991 puis les guerres du Liban et de Gaza depuis 2007. Ils ont acquis les réflexes d’urgence depuis longtemps, et les infrastructures sont aménagées afin de protéger au maximum la population. Par ailleurs, il est à noter que plus de 150 000 Israéliens bloqués en dehors d’Israël demandent en vain à pouvoir y revenir ».
Pensez-vous que le conflit va se prolonger ? Croyez-vous à un établissement où rétablissement de la paix dans un futur proche ?
Baki Manèche : « Nous espérons tous un retour rapide à la paix — pour nos proches, pour les populations civiles, et bien entendu pour nos compatriotes sur place dans les deux pays. Dans l’immédiat, l’évolution de la situation dépendra largement du niveau d’intervention que Benyamin Netanyahou décidera encore de mener. Les autorités iraniennes, de leur côté, ont été très claires : elles mettront fin aux tirs de missiles et de drones dès l’arrêt des bombardements israéliens.
Espérons que toutes les puissances — y compris la France — sauront jouer un rôle actif et constructif pour parvenir à un cessez-le-feu durable entre les deux pays ».
Johann Habib : « Si les États-Unis interviennent, l’opération se terminera assez rapidement, ne serait-ce que par sa force de dissuasion. Une chose est sûre : tant que le programme nucléaire ne sera pas éliminé, il n’y aura pas d’arrêt de la part d’Israël. L’Iran est la tête de ce système terroriste, menaçant non seulement Israël, mais l’Occident tout entier. La paix ne pourra pas intervenir tant que le régime actuel sera encore en place ».
Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Johann Habib : « Dans sa conférence de presse le 16 juin, outre les deux objectifs de la guerre, qui sont la fin du programme nucléaire et la fin d’un programme de missiles balistiques supersoniques, Netanyahou a, entre les lignes, présenté la chute du régime iranien comme une option, en évoquant celle, aussi rapide que surprenante, de Bachar el-Assad. Il est vrai qu’étant le centre névralgique d’une coalition hostile à l’existence d’Israël, leur disparition pourrait voir enfin le retour à une coexistence pacifique dans la région ».
Baki Manèche : « Deux peuples que rien n’oppose fondamentalement — bien au contraire, si l’on considère l’histoire plurimillénaire de l’Iran et du peuple juif.
À force de rhétorique guerrière et triviale depuis plus de deux décennies, une haine réelle s’est installée entre les deux gouvernements — une haine idéologique, qui n’est pas partagée par la majorité des populations, mais qui a malgré tout conduit à l’irréparable aujourd’hui.
Pour ma part, je n’ai jamais rencontré un seul Iranien sensé, en Iran, qui souhaite la destruction d’Israël ou une guerre, même s’il existe — comme ailleurs dans le monde — une critique de la politique du gouvernement israélien.
Se sentir impuissant face à une telle tragédie est une douleur profonde. Mais ce n’est pas une raison pour se taire.
Je m’associe pleinement à l’appel du président Emmanuel Macron, qui exhorte à la cessation immédiate des frappes contre les populations civiles. Cet appel doit être entendu et relayé. Il y va de notre humanité.

