« Diagnostiquer tôt pour vivre mieux »

En France, tous âges confondus, les troubles cognitifs concernent 16 millions de personnes directement ou indirectement (5 millions de patients et 11 millions d’aidants).

Fondé en 2004, le réseau Aloïs est un centre d’expertise neurocognitif. Il s’engage à fournir un diagnostic précoce et une prise en charge adaptée des troubles cognitifs notamment chez les Français de l’étranger. En mettant l’accent sur des consultations neuropsychologiques dans la langue maternelle de chaque individu, Aloïs répond aux besoins spécifiques de cette population, visant à améliorer la qualité de vie des personnes touchées, adultes comme enfants. D’après une étude de 2021, les pathologies neurologiques sont désormais la principale cause mondiale de problèmes de santé.

Comment et quels sont les outils mis à disposition par votre réseau pour prévenir au mieux des maladies neurocognitives à tous les âges de la vie ?

Contexte

Depuis les années 80, le vieillissement rapide des populations s’est affirmé comme une tendance démographique de fond aux conséquences sociales profondes. Cette évolution s’accélère, au point qu’en 2047, les personnes de plus de 60 ans seront, à l’échelle mondiale, plus nombreuses que les enfants de moins de 15 ans. En France, les plus de 65 ans, représentaient 20% de la population en 2020 ; ce chiffre s’élèvera à 35% en 2050.

Cette situation est concomitante de l’augmentation du nombre de maladies neurocognitives, la maladie d’Alzheimer (MA) étant la plus représentée. Ces maladies sont considérées par l’OMS comme le problème de santé le plus grave du XXIème siècle. Elles concernent 47 millions de malades dans le monde en 2015, et devraient atteindre 65,7 millions de personnes en 2030.

En France, la prévalence actuelle de la MA et des Maladies Apparentées (MAMA) est estimée à 6-8% après 65 ans, et l’incidence augmente de façon exponentielle avec l’âge. En 2020, on comptait plus 2 millions de personnes atteintes de MAMA et 230 000 nouveaux cas chaque année. Cette évolution a des conséquences majeures sur les plans personnel, familial, social, médico-économique.

Dans le même temps, les connaissances en neurosciences cognitives connaissent une avancée spectaculaire depuis une quarantaine d’années. Ces avancées majeures ont permis une meilleure connaissance des maladies neurodégénératives (MAMA) mais aussi des troubles du neuro développement (TND tels que trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité TDA/H, dyslexie, autisme..) chez les enfants ou adultes jeunes. Les TND constituent également un problème de santé publique et concernent environ 3 millions d’enfants en France bien qu’il n’y ait pas à ce jour de données stabilisées.

Les nouvelles connaissances en neurosciences offrent aux cliniciens (médecins spécialistes, psychologues neuropsychologues…) la possibilité de mieux connaitre, repérer et améliorer la démarche diagnostique et le suivi des troubles cognitifs chez les enfants, les adultes jeunes et les séniors.

Les neurosciences cognitives ont établi que le cerveau se caractérise par sa plasticité à tous les âges. Malgré le caractère incurable des affections cognitives, l’importance d’un diagnostic suivi d’une prise en charge rapide et au stade précoce, non médicamenteuse (soins neuropsychologiques, orthophoniques…) s’est imposée pour retarder ou ralentir l’expression des symptômes des MAMA et pour compenser l’expression de TND chez les enfants et adultes jeunes en utilisant la plasticité cérébrale.

La création des « consultations mémoires hospitalières »

Des consultations mémoires hospitalières ont été créées dans les années 1990 pour faire face à l’afflux de personnes de plus de 50 ans avec plainte cognitive.

Ces consultations multidisciplinaires peuvent nécessiter l’intervention de médecins spécialistes (neurologue psychiatre ou gériatre), de neuropsychologues, d’orthophonistes … pour poser un diagnostic qui permettra d’entamer une prise en charge adaptée. Elles ont rapidement été engorgées et en 2004 le temps qui s’écoulait entre la plainte du patient et la pose du diagnostic était de 2 ans ; le diagnostic n’était fait qu’à un stade modéré voire sévère (enfants ou adultes), et moins de 50% des patients étaient diagnostiqués.

La création d’une association, le réseau Aloïs comme réponse à un problème de santé publique

En 2004 je fonde le réseau Aloïs (Association loi 1901) pour apporter une contribution à ce problème de santé publique en incluant la médecine de ville et ses professionnels libéraux. Ceux-ci ont une connaissance inégalée du terrain et des besoins des patients et de leurs familles, permettant de fonder des démarches différentes de celles en cours à l’hôpital. A titre personnel, j’ai démissionné de mon statut de neurologue hospitalier pour ouvrir un cabinet de ville à Paris (consultation neurologique spécialisée dans les affections/maladies cognitives) pour me mettre en situation d’avoir une double casquette (neurologue clinicienne + directrice d’Aloïs).

En effet, si l’enjeu est médical, dans la mesure où la prévention permet sinon d’éviter, au moins d’amoindrir, les effets négatifs des troubles cognitifs, il est aussi social. L’objectif des prises en charge non médicamenteuses (orthophonique, neuropsychologique, psychologique, psychomotricité…) est d’utiliser la plasticité cérébrale pour mobiliser et faire travailler les réseaux synaptiques spécialisés, et constituer (chez l’enfant) ou utiliser (chez l’adulte) la réserve synaptique. Or ces professions ne sont pas cotées par la sécurité sociale.

Ces prises en charge précoces permettent de réduire le taux de dé-scolarisation, la désinsertion professionnelle et les comorbidités chez les enfants et jeunes adultes, de ralentir l’évolution et retarder l’entrée dans la dépendance chez les adultes, et d’accompagner tôt les aidants.

Cette philosophie de prévention impacte l’individu et son entourage et la société tout entière : coûts évités liés à la déscolarisation, à la désocialisation, au versement des aides sociales handicap et/ou chômage et à la dégradation de l’état de santé du patient et de l’aidant (plan psychologique, physiologique, etc.), au recul de l’entrée dans la dépendance.

L’utilité d’Alois dans la prise en charge des dysfonctionnements cognitifs.

La démarche consistant à intégrer des éléments ayant traits au fonctionnement social au cœur du travail d’Aloïs, a constitué une constante pour l’association.

Il s’agit ainsi de repérer des besoins auxquels le secteur hospitalier répond insuffisamment, tant pour développer des activités pour répondre au manque, que pour conduire le secteur public à renforcer son propre fonctionnement (en le désengorgeant), ainsi qu’à fluidifier la coordination et la communication entre le monde hospitalier et libéral.

Ainsi, à partir de 2004, Alois a développé des parcours de diagnostic (consultations multi disciplinaires en ambulatoire, coordonnées informatisées) en Ile de France, puis à Lyon. Nous souhaitions répondre à la fois à l’insuffisance de diagnostics neuropsychologiques à un prix raisonnable en ville, à une saturation hospitalière, mais aussi, à la difficulté de simplement d’accéder à ces diagnostics dans certaines zones géographiques, tels que les zones rurales et les départements d’outre-mer et les Français de l’étranger.

Notre modèle économique repose sur la recherche de subventions publiques ou privées pour permettre aux patients de bénéficier de l’accès aux actes non cotés par l’Assurance Maladie = les consultations neuropsychologiques et la télé expertise cognitive dans le cas précis des Français de l’Étranger.

Nous travaillons avec le ministère de la santé pour que ces parcours soient pris en charge (intégré au droit commun dès 2026) via l’expérimentation PASSCOG à partir de 2026.

Alors que votre association célèbre ses 20 ans cette année, vous avez sûrement développé diverses approches de diagnostic pour vos patients. Ainsi, pourquoi est-il important que la consultation neuropsychologique se fasse dans la langue maternelle de la personne ?

Si la personne est bilingue l’une ou l’autre langue pourra être utilisée. Sinon : le cerveau se construit entre 0 et 25 ans, avec des périodes critiques pour le langage entre autres. Par exemple : un enfant qui n’aura pas entendu de langage oral avant l’âge de 10 ans ne pourra jamais parler couramment.

Le cerveau est prêt à apprendre à lire et à écrire à partir de 6 ans. Passé cet âge il est possible d’apprendre le langage écrit mais d’autant moins facilement qu’on s’en éloigne.

Pour avoir un profil cognitif optimum (reflétant au plus près les capacités de la personne) il doit donc être évalué dans la langue maternelle, pour ne pas pénaliser la personne du fait d’une barrière de la langue.

Au sein du réseau Aloïs, nous avons remarqué qu’il faut même aller plus loin. Pour apprécier au mieux les capacités cognitives des patients de l’ile de Mayotte nous avons adapté les tests du Français parlé en métropole au Français parlé à Mayotte.

Nous avons également effectué ce travail pour les francophones de l’Algérie où nous avons adapté les tests du Français parlé en Algérie (région Est) au français parlé en France.

Pour les Français de l’Étranger, s’ils vivent dans un pays francophone depuis l’enfance la question peut se poser. Sinon les tests en français (tel que celui qui est parlé en France) sont adaptés.

Selon un dernier communiqué de l’OMS, plus de 80 % des décès et des pertes de santé dues à des causes neurologiques surviennent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Pourquoi les pays émergents sont-ils plus exposés à ce type de pathologie plutôt que les pays développés ?

Les services que nous proposons sont destinés à poser un diagnostic précoce pour entamer une prise en charge précoce. « Diagnostiquer tôt pour vivre mieux » est la devise du réseau Aloïs. Ceci permettra de limiter les impacts décrits plus haut (réduire le taux de dé-scolarisation, la désinsertion professionnelle et les comorbidités chez les enfants et jeunes adultes, de ralentir l’évolution et retarder l’entrée dans la dépendance chez les adultes, et d’accompagner tôt les aidants…)

En effet, si les affections neurodéveloppementales (TDAH, autisme) et les maladies neurocognitives (maladie d’Alzheimer, Parkinson..) sont incurables, il existe tout de même des traitements symptomatiques et des traitements non médicamenteux.

Ces traitements non médicamenteux : soins neuropsychologiques ou orthophoniques… ciblent l’extraordinaire particularité du cerveau : la plasticité cérébrale.

La plasticité cérébrale est la capacité du cerveau à être transformé, jusque dans sa structure même, par nos apprentissages. Toute l’architecture des réseaux de neurones se construit, évolue, se modifie, et s’adapte en fonction de notre expérience et par ce qu’on est en train de vivre. La transformation de notre identité, de nos connaissances, trouve donc une assise biologique.

Un cerveau isolé ne fait rien, il évolue en permanence en interaction avec son environnement et au contact de ses semblables.

C’est donc dès la naissance et jusqu’à 25 ans que se crée ce réseau neuronal et la réserve synaptique, puis il s’entretient entre 25 et 50 ans. Nous avons démontré l’intérêt de créer une bonne réserve synaptique dès l’enfance, de la maintenir à l’âge adulte car elle permettra après 50 ans de compenser les symptômes dû au vieillissement à partir de 50-60 ans, et/ou compenser les effets des lésions des maladies neurocognitives chez les patients en retardant l’expression des symptômes.

La plasticité cérébrale existe à tous les âges de la vie et même en cas de maladie ou d’affection neurocognitive. D’où l’intérêt de faire un diagnostic précoce le cas échéant pour aider le patient à la mobiliser.

Dans les pays en voie d’émergence, l’instruction n’étant pas forcément obligatoire, la constitution de la réserve synaptique n’est pas de même nature que dans les pays où les enfants sont scolarisés dès l’âge de 3 ans. A l’âge adulte : les enfants qui auront été instruits dans l’enfance auront une réserve synaptique plus solide qui leur permettra après 50 ans de compenser les symptômes dû au vieillissement à partir de 50-60 ans, et/ou compenser les effets des lésions des maladies neurocognitives chez les patients en retardant l’expression des symptômes.

Par exemple : au sein du réseau Aloïs nous avons déjà remarqué que la maladie d’Alzheimer s’exprime à 74 ans à Paris alors qu’elle s’exprime à 65 ans à Mayotte. Ceci a largement été rapporté par la littérature également.

Les Français de l’étranger sont une population aux multiples particularités et souvent en constante mobilité. Sont-ils plus exposés aux troubles cognitifs plutôt que d’autres du fait de leur situation ? 

A ma connaissance aucune étude n’a démontré que les Français de l’étranger étaient plus exposés aux troubles cognitifs que les Français de France métropolitaine.

Face aux défis posés par les personnes atteintes de troubles neurocognitifs, souvent isolés, la présence de proches aidants est-elle indispensable dans la gestion de ces maladies, et comment votre réseau soutient-il ces aidants dans leur rôle crucial ?

Les caractéristiques des affections cognitives est bien souvent de retentir sur l’autonomie de la personne, ce qui implique l’intervention d’un tiers qui peut être le parent, la fratrie, le conjoint ou les enfants selon l’âge du sujet malade.

Nous proposons des séances de psycho éducation pour les aidants qui peuvent se faire à distance (6 à 15 séances d’accompagnements en visio) individuelle.

Nous expérimentons ceci dans le cadre de l’expérimentation PASSCOG pour les + de 50 ans, et nous proposons des séances de guidance parentale aux parents d’enfants avec un trouble du neuro développement.

Les troubles cognitifs demeurent souvent méconnus du grand public, leur compréhension et leur acceptation s’avèrent essentielles. Est-ce que sur ce point, des efforts ont été déployés par votre réseau pour sensibiliser le grand public aux troubles cognitifs, réduire la stigmatisation associée et encourager un environnement plus inclusif pour ces personnes ?

Notre pôle formation propose de nombreuses formations à différents professionnels de santé impliqués dans les troubles cognitifs avec un accent particulier sur les médecins généralistes. Nous formons les généralistes pour qu’ils intègrent dans leur questionnaire systématique aux personnes de plus de 50 ans « comment va votre mémoire ? »

Nous tenons à votre disposition notre catalogue de formation https://reseau-memoire-alois.fr/formation/

Et nous lançons régulièrement des campagnes de sensibilisation pour le grand public : la prochaine aura lieu le 12/12/2024

Dr Bénédicte Défontaines – Neurologue
Modalités de prise de rdv avec le Réseau Aloïs :
Email : secretariat@reseau-memoire-alois.fr
Téléphone : (+33) 01.45.41.39.57
Télé-consultation neuropsychologique experte 100% prise en charge, sans reste à charge pour le patient/la famille
Sources pour les données chiffrées : https://www.who.int/fr/news/item/14-03-2024-over-1-in-3-people-affected-by-neurological-conditions–the-leading-cause-of-illness-and-disability-worldwide#:~:text=%C2%A9-,Plus%20d’une%20personne%20sur%20trois%20est%20atteinte%20de%20troubles,de%20handicap%20dans%20le%20monde&text=Selon%20une%20nouvelle%20%C3%A9tude%20majeure,atteintes%20d’une%20maladie%20neurologique.

Un commentaire

  1. C’est bien de prôner un diagnostic rapide mais faudrait-il que les médecins s’y prêtent. Si les débuts de la maladie ne vous empêchent pas de fonctionner dans la vie courante (problèmes de mémoire légers), ils minimalisent (c’est comme tout le monde, moi aussi j’oublie etc) . Les maladies neurocognitives sont dans ma famille et je les sens venir, mais mon médecin refuse d’aller plus loin qu’un petit test ultra facile que je passe haut la main bien sûr. Que dois-je faire ? Je pense que votre association devrait tenter de convaincre les médecins de prendre ces débuts de troubles au sérieux sans considérer les gens qui leur en parlent comme des hypocondriaques qui leur font perdre du temps.

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